Du père Danziec dans L’Homme Nouveau :
Nos intelligences n’en peuvent plus. Mais le savent-elles ? Elles sont abreuvées d’informations, saturées de nouvelles, inondées de « flashs », « d’alertes » ou de « priorité au direct », pas une journée ne file sans que nos smartphones ne fassent d’accrocs à la trame de notre quotidien. Vibrations, sonneries, tintements nous arrachent, bien plus que nous ne le pensons, à la grande introspection à laquelle chacun est appelé.
Réfléchir sur soi-même, s’arrêter sur le monde dans lequel on vit, considérer son âme, méditer sur le bien à accomplir et le mal à éviter : voilà les premières conditions pour mener la grande quête intérieure, la seule qui vaille et qui garantisse à notre existence toute l’épaisseur qu’elle mérite, la quête de Dieu. Le fameux Quaerere Deum – chercher Dieu – évoqué par Benoît XVI dans sa conférence aux Bernardins en 2008.
La nature humaine s’étiole
Cette diversion continuelle mériterait une réflexion en profondeur. Pas seulement sur un plan métaphysique, organisationnel ou psychologique mais véritablement sur un plan spirituel, c’est-à-dire de la vie de notre âme, de la qualité de sa relation à Dieu. « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre », écrivait Blaise Pascal. Faits pour l’au-delà mais englués dans l’immédiat, telle est la triste condition de milliards d’hommes perdus dans les contradictions internes de la postmodernité.
Ne pensons pas que tout cela soit affaire de contingences, le fruit inattendu, quoique amer, du hasard. Ce grand chambardement spirituel répond à un processus précis, inversement logique à celui de la gangrène sur le corps. Privée de flux sanguin, la zone tissulaire se nécrose, noircit et meurt. Submergée dans ses appétits, la nature humaine s’étiole, se morfond et s’éteint.
Selon une détermination classique, trois grandes facultés fondent en effet l’homme dans sa capacité d’action : la sensibilité, la volonté et l’intelligence. À les regarder de plus près, chacune d’elle, à l’image de la grenouille de la fable, souhaite se faire Dieu. Trop pleines d’elles-mêmes, elles crèvent l’une après l’autre.
La révolution sexuelle des années soixante-dix a considérablement modifié le rapport au plaisir. Le « jouir sans entraves » a débouché sur une misère affective sans nom. Saturée à l’extrême par l’hyper-sexualisme, la sensibilité devient aussi exigeante qu’impuissante.
La société de consommation, apparue aux trente glorieuses, ne cesse de nous infliger « des désirs qui nous affligent », pour reprendre les mots de Souchon. Notre volonté ne sait plus où donner de la tête. Frustrée de ne pas pouvoir satisfaire tout ce à quoi elle est invitée par l’hyper-publicité, elle rumine puis s’épuise.
Enfin, la révolution numérique initiée au début des années 2000 n’en finit plus d’assaillir nos intelligences d’une avalanche de renseignements et d’informations inouïs. Que pourrions-nous ignorer que nous ne voudrions savoir ? Dans la jungle de la connaissance sans limite, les intelligences se perdent et meurent de trop d’excès. L’hyper-information nous assomme. Soljenitsyne, en 1978 déjà, en appelait dans son discours à Harvard au droit de ne pas savoir, au droit de ne pas voir son âme divine « étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines».
Un temps pour chaque chose
Au gré de mes lectures d’été, je tombai à cet égard sur un petit opuscule de l’abbé Gaston Courtois intitulé Jeune prêtre, notes de pastorale pratique. J’y puisai des conseils proverbiaux : « Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place », ou encore « Un temps pour chaque chose et chaque chose à son temps. »
Mais surtout, aux jeunes prêtres débutant leur ministère en paroisse, l’auteur donnait ce premier conseil, de prime abord étrange mais dont on mesure sans peine ensuite le bon sens extrêmement précieux qui l’habite :
« Si paradoxal que cela puisse paraître au premier abord, le point le plus important du règlement d’un jeune prêtre, celui qui commande tous les autres, est sans contredit la fidélité à se coucher d’assez bonne heure pour s’assurer un temps de sommeil suffisant. »
Nous pouvons refaire le monde sur le zinc d’un comptoir des heures durant sans que rien ne change pour autant à la course des événements. En revanche, l’heure de la rentrée et de la reprise, après la période estivale, peut nous donner l’occasion d’une résolution vitale : préserver la santé de notre sensibilité, de notre volonté et de notre intelligence. Retrouver en somme une véritable hygiène de vie. Profitable et avantageuse pour l’âme. Puis, par capillarité, bénéfique pour notre prochain et le monde entier.