La revue Conflits évoque le djihadisme en Ukraine. Extraits :
[…] Côté ukrainien, on trouve la présence d’anciens membres de groupes islamistes comme Abdul Hakim al-Chichani, de son vrai nom Rustam Azhiev, qui combattait auparavant en Syrie. Côté russe, différentes autorités musulmanes et le dirigeant de la République de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, ont appelé au jihad contre l’Ukraine et le « satanisme occidental ». On observe que le jihad est présent des deux côtés mais émane d’acteurs différents qui sont non-étatiques, infra-étatiques ou religieux. Ensuite, des éléments mobilisés par ces acteurs comme la justification religieuse, les discours ou encore la communication au travers des réseaux sociaux, n’est pas sans rappeler les modes d’action des groupes terroristes islamistes. Dès lors, le conflit en Ukraine apparait comme une hybridation entre des acteurs et des méthodes issus de guerres non conventionnelles mobilisant un narratif religieux au sein d’une guerre de haute intensité entre deux États laïques à majorité chrétienne. On peut donc se demander si la mobilisation du jihad dans le conflit en Ukraine témoigne-t-elle d’une mutation durable des conflits ? Comme chaque conflit, la guerre en Ukraine se tient dans un contexte historique et politique singulier. Pour comprendre les dynamiques propres à chaque acteur il faut d’abord s’intéresser aux guerres de Tchétchénie (1994-1996 et 1999-2000) qui ont été particulièrement violentes et marquantes pour les belligérants. Elles constituent le point de départ du parcours de certains nationalistes qui par la suite créeront ou rejoindront des groupes islamistes dans le Caucase et au Moyen-Orient. Nous verrons ensuite comment ces combattants ont intégré différents bataillons de la Légion Internationale ukrainienne et leur rôle dans ce conflit. Dans une seconde partie nous étudierons les discours djihadistes côté russe. Il s’agit d’analyser le positionnement des autorités religieuses et politiques ainsi que leur réception par soldats. Enfin, nous verrons le rôle de la communication massive au travers des réseaux sociaux et comment elle sert de caisse de résonance afin d’unir les troupes et de démoraliser l’adversaire. […]
La défaite des indépendantistes tchétchènes les a conduits à l’exil. Si certains, notamment islamistes, ont poursuivi la lutte dans le Caucase et au Moyen-Orient, une large partie des indépendantistes ont quant à eux trouvé refuge en Europe et en Turquie. L’Ukraine a également fait figure de terre d’accueil en raison de sa proximité géographique, de l’usage de la langue russe et d’une communauté musulmane Tatar bien implantée. Par la suite, cette destination fut le choix d’anciens djihadistes car il y était simple d’en acheter la citoyenneté, un passeport ou des armes. En 2014, lorsque la Russie annexe la Crimée et que des mouvements indépendantistes apparaissent dans la région du Donbass, la diaspora tchétchène se mobilise derrière les Ukrainiens. En mars de cette même année, l’intelligentsia laïque tchétchène en exil au Danemark notamment Isa Munayev, fonde le bataillon Djokhar Doudaev du nom du président qui a déclaré l’indépendance de l’Itchkérie en 1991. De ce premier bataillon un second va être créé, le bataillon Cheikh Mansour qui est une figure tchétchène du XVIIIème siècle pour s’être battu contre l’impérialisme tsariste en unissant la population autour de l’islam. Les raisons de la scission entre ces deux bataillons est floue. Certains évoquent des divergences au niveau stratégique sur les zones de combat où agir en Ukraine. D’autres mettent en avant une séparation idéologique avec le bataillon Doudaev qui serait nationaliste et laïque tandis que le bataillon Cheikh Mansour serait guidé par des considérations islamistes et dont certains membres auraient combattu dans les rangs de l’État Islamique. Un troisième bataillon, Bechennaya staya (« la meute enragée »), a été créé. Peu d’informations à son sujet sont disponibles mais selon le média pro-russe Donbass Insider, il serait devenu une composante de la 57e brigade motorisée de l’armée ukrainienne. Jusqu’en 2022 les bataillons Djokhar Doudaev et Cheikh Mansour n’étaient pas reconnus par le gouvernement ukrainien. Le bataillon Doudaev comprendrait entre 300 et 500 hommes, principalement des tchétchènes mais également des volontaires issus du reste du Caucase. Les motivations de ces volontaires sont avant tout idéologiques. Ils sont issus de la diaspora tchétchène en Europe et se sont engagés dans l’objectif de contrer l’impérialisme russe qu’ils ont eux même subit. Il s’agit principalement de vétérans des guerres de Tchétchénie qui disposent ainsi de compétences militaires et de connaissances des tactiques de l’armée russe qu’ils mettent désormais à profit sur le théâtre ukrainien. Certains se battent dans l’objectif de déstabiliser la Russie à travers une décrédibilisation du pouvoir de Vladimir Poutine afin de reprendre ensuite le combat indépendantiste en Tchétchénie. L’invasion russe de 2022 constitue un catalyseur qui a mobilisé davantage de tchétchènes en exil. Deux nouveaux bataillons ont ainsi été créé : le Khamzat Gelayev Joint Task Detachment et le Separate Special Purpose Battalion (OBON).
Ce dernier a été fondé par le gouvernement d’Itchkérie en exil et se veut être son bras armé. Ce groupe serait principalement chargé de conduire des opérations commandos de reconnaissance. Peu d’informations sont disponibles au sujet de ces groupes. Seul un article émanant du site internet pro-russe « Donbass Insider » décrit de manière détaillée le bataillon OBON. L’auteur affirme que l’unité ne serait composée que d’environ 200 combattants dont beaucoup seraient des vétérans du djihad en Syrie et leur salaire en Ukraine serait de 400 euros par mois. Selon le site pro-israélien MEMRI c’est au sein de ce bataillon que combattrait Rustam Azhiev. Depuis 2015, il dirigeait le groupe islamiste tchétchène en Syrie Ajnad Al-Kavkaz. Il serait arrivé en Ukraine vers la fin de 2022 après avoir transité par la Turquie accompagné de quelques dizaines de combattants venus avec lui de Syrie. Il fut accueilli par le chef du gouvernement tchétchène en exil Akhmed Zakaïev. Ces différents bataillons ont été intégré au fur et à mesure à la Légion Internationale ukrainienne. Elle regroupe des volontaires internationaux venus combattre aux côtés de Kiev. Ils sont ainsi formés et équipés par les forces ukrainiennes. Bien que parmi les conditions pour la rejoindre il soit fait mention de l’interdiction d’avoir un casier judiciaire, on constate la présence d’anciens combattants djihadistes. Leur organisation est difficile à établir en raison du manque de sources claires et précises sur le sujet. Certains sont présents depuis 2014 tandis que d’autres ne sont arrivés qu’en 2022. Ils semblent s’être fondus dans la masse auprès d’autres combattants tchétchènes dans les différents bataillons. Leur présence est relativement discrète à l’exception de Rustam Azhiev qui a médiatisé sa venue. Du côté ukrainien, la présence de ces éléments djihadistes est difficile à gérer. En 2019 le gouvernement avait dissous et désarmé le bataillon Cheikh Mansour en raison de ses dérives islamistes avant de le réactiver en 2022. Un dilemme s’impose alors entre conserver ces combattants expérimentés ou les retirer pour éviter de décrédibiliser l’armée dans son ensemble. Si le pays a arrêté et extradé certains djihadistes jusqu’en 2021, cela ne semble plus d’actualité en raison du besoin croissant de soldats depuis le déclenchement de l’invasion. Par ailleurs le parlement ukrainien a œuvré à la mobilisation des indépendantistes tchétchènes en reconnaissant le 18 octobre 2022 l’indépendance de la République d’Itchkérie qui serait « temporairement occupée par la Russie ».
Dans un même temps, l’Ukraine compte environ 500 000 musulmans, principalement des tatars issus de Crimée. Pour autant, il n’y a pas la présence de discours promouvant un jihad contre la Russie de la part des autorités religieuses du pays. Selon l’ancien moufti ukrainien, Saïd Ismahilov, la guerre menée est un jihad car « selon la charia nous avons la permission de protéger nos vies, nos familles et nos propriétés », il n’appelle cependant pas au jihad en raison de la laïcité ukrainienne. On constate ainsi que le djihadisme du côté ukrainien relève davantage de la présence de vétérans du djihad que d’une organisation structurée autour d’un islam radical. Ces éléments semblent disséminés au sein des quatre bataillons « tchétchènes » qui appartiennent à la Légion Internationale Ukrainienne avec, semble-t-il, une prédominance dans les bataillons Cheikh Mansour et OBON. Leur présence sur ce théâtre n’est pas commanditée par d’autres organisations islamistes mais découle d’une volonté personnelle. Leur motivation à prendre les armes en Ukraine ne semble finalement pas si différentes que pour les autres volontaires : lutter contre l’impérialisme russe. Il subsiste cependant une dimension indépendantiste ou revancharde à l’égard de la Russie avec, chez certains, une volonté d’ensuite reprendre le combat en Tchétchénie. Leur présence constitue à la fois un atout militaire pour les forces ukrainiennes mais également un fardeau à gérer en raison de l’image qu’ils peuvent renvoyer à l’international. Il réside également un risque à plus long terme de savoir ce que deviendront ces mercenaires une fois la guerre terminée.
Ainsi, on constate une continuité entre le conflit tchétchène et la présence actuelle de djihadistes en Ukraine. Ce premier conflit a mené à la constitution de groupes armés radicalisés sous l’impulsion de prédicateurs venus notamment d’Arabie Saoudite. Devenus persona non grata en Russie après leur défaite, ils ont poursuivi leur lutte au fil des organisations islamistes. Le début du conflit en Ukraine en 2014 a représenté une opportunité pour certains djihadistes de reprendre les armes contre la Russie. Le besoin en soldats de l’Ukraine et leur recours à combattants étrangers a permis à ces vétérans de s’insérer au sein de bataillons musulmans. Leur présence en Ukraine résulte donc d’un contexte particulier qui remonte aux années 1990. Dans le cadre de ce conflit les vétérans du djihad ne semblent pas revendiquer un objectif religieux ou politique mais davantage lutter contre l’impérialisme russe avant d’envisager de reprendre le combat en Tchétchénie. De l’autre côté du front, la République de Tchétchénie fait également parler d’elle dans le conflit en Ukraine. Depuis son accession au pouvoir en 2007, son dirigeant Ramzan Kadyrov tient la république d’une main de fer. L’invasion de 2022 est une nouvelle occasion de démontrer sa loyauté forte envers Vladimir Poutine en mobilisant les kadyrovtsy et un discours imprégné d’islamisme. […]
Bernard Mitjavile
“Qu’est-ce qu’il veut faire dans cette galère!” aurait dit Molière à propos des intentions bellicistes de Macron.
VIVANT
Article intéressant mais qui met sur le même plan les soldats du dirigeant Kadyrov reconnu par la Fédération de Russie et des mercenaires payés par Zelensky et l’Otan. Que vont devenir ces mercenaires si l’Ukraine se réduit comme peau de chagrin ? Une mafia incontrôlable dont certains membres décapiteront des profs en France ?
LANASPRE
DANSE SUR UN VOLCAN !! ou les musulmans contemplent les kouffars s’entretuer !! *Pas sur que le jour ou KADIROV disparaitra ,les choses restent en l’etat…
Meltoisan
Le monde civilisé découvre peu à peu qu’aujourd’hui, dès qu’il y a un conflit quelque part, il y a des “islamistes” dans un camps ou dans l’autre ou parfois dans les deux camps comme c’est le cas ici, qui sont là pour mettre la pagaille puis récolter les fruits de la discorde. C’est là le vrai adversaire.
Il est temps que l’occident chrétien s’en rende compte et qu’il organise des réunions de paix entre émissaires russes et ukrainiens qui sont en fait si proches. C’est avant tout leur intérêt mais c’est aussi le notre.
Il faut éliminer du monde politique les va-t-en-guerre comme le président français qui est prêt à tirer sur tout ce qui bouge, fut-ce un virus chinois ou un combattant de l’est … avec ses fléchettes : Nous ne sommes plus de enfants !
SouvenirdeBainville
Il prétend éclairer le sujet. Mais il lui faudrait nommer justement les faits.
Nous rappeler plusieurs fois le narratif imposé par la CIA, l’OTAN, de l'”invasion” de” l’agression “de la Russie en vers l’Ukraine pacifique, cela disqualifie le discours qui se veut pédagogique.
Conflits n’est pas subventionné pourtant, ils pourraient donc être objectifs et remonter aux causes du conflit, 1990, 2088, 2014, et non février 2022, même si ce n’est pas le coeur de leur article.
Qu’il y ait des islamistes des deux côtés, peut être, mais ils sont surtout du côté de l’Ukraine belliciste jusqu’au bout.
SouvenirdeBainville
Erratum : ” aux causes du conflit, 1990, 2008, 2014…”