Grzegorz Kucharczyk, historien et professeur des Humanités polonais spécialisé dans l’étude de la pensée politique des XIXe et XXe siècles, ainsi que dans l’histoire de l’Allemagne, vient de publier un livre intitulé Chrystofobia: 500 lat nienawiści do Jezusa i Kościoła (« Christophobie : 500 ans de haine envers Jésus et l’Eglise »). Il a donné un entretien téléphonique à Sébastien Meuwissen. Extraits :
Pourquoi choisir un titre pareil pour votre livre ? Pourquoi ne pas avoir préféré, par exemple, le terme christianophobie ?
Parce que la christianophobie n’est qu’une manifestation d’un processus plus profond, qu’on appelle christophobie. On peut l’observer sous la forme de manifestations d’hostilité à l’encontre de Chrétiens ou du christianisme, que nous appelons christianophobie. Mais en réalité, il s’agit d’une hostilité à l’encontre du fondateur et chef de notre Eglise lui-même, c’est-à-dire de Jésus Christ, et c’est cela, la réalité à laquelle nous avons été confrontés, par exemple l’année dernière, dans les rues de nos villes. Les manifestations dites de la « foudre rouge » [une série de manifestations pro-avortement organisée en Pologne à l’automne 2020 – n.d.l.r.] débordaient d’hostilité à l’encontre de Jésus Christ. Des slogans blasphématoires ont été gribouillés sur des façades d’églises, et il y a même eu des interruptions de messes. Il s’agissait vraiment d’exprimer une haine spécifique de Jésus, et tel est le cas depuis des temps anciens. Ce qu’on appelle la persécution des Chrétiens et de l’Eglise n’est que l’épiphénomène d’une persécution et d’une haine initiales à l’encontre de Jésus. […]
Votre livre commence sur la Réforme Protestante. Quelle fut la signification de cette Réforme ? Vous rappelez au lecteur que de nombreux lieux de dévotion ont été non seulement vandalisés, mais aussi soumis à toutes sortes d’actes blasphématoires et profanatoires. Quelle fut la réaction des sociétés affectées par cette révolution ?
Contrairement à la propagande dominante dans les milieux où l’on ne voit la Réforme que comme un progrès historique, la Réforme ne s’est pas produite seulement de bas en haut. Ce n’est pas le peuple qui réclamait un évangile purifié et l’abolition de la Sainte Messe, du latin, du culte des Saints, la destruction de l’art sacré, et ainsi de suite. Les « gens du commun » n’ont jamais rien réclamé de tel.
Dès le début, la Réforme Protestante a été un projet révolutionnaire, né dans le cœur et l’esprit de certains des dignitaires de l’Eglise catholique. Martin Luther était prêtre avant de devenir un « réformateur ». Tout cela était essentiellement un programme révolutionnaire très complet. Une révolution qui rejetait l’Eglise en tant que telle.
Le fond du problème, ce n’était pas la vie dissolue de tel ou tel pape : le caractère scandaleux de ce qui se passait à la curie de Rome constituait un lieu commun au sein de l’Eglise.
Il s’agissait avant tout de rejeter l’Eglise en tant qu’institution créée par Dieu lui-même, et investie par Lui de la mission de conduire le peuple au salut. C’est cela que Martin Luther et les autres ont rejeté, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent.
L’une de ces conséquences a été le vandalisme culturel dont vous venez de parler : destruction de monuments de l’art sacré, actes de profanation des Saints Sacrements. Ce fut tout particulièrement le cas des régions où la faction calviniste montait en puissance. Dans ces régions, cette activité destructrice a été particulièrement violente : aux Pays-Bas, en Allemagne et en Angleterre. Les peuples s’y sont opposés. En Angleterre comme en Suède, toute une série de soulèvements paysans a montré que les peuples n’étaient pas en faveur de ce genre de changements révolutionnaires.
Le facteur décisif a été l’implication de l’Etat – c’est-à-dire des souverains en personne, qui avaient un intérêt matériel direct à se rendre complices de la confiscation des propriétés de l’Eglise. Le slogan en faveur de « l’Eglise pauvre » dérivait généralement du fait que certaines personnes – à savoir le souverain et un certain nombre de magnats issus de la bourgeoisie ou de la noblesse – y trouvaient l’occasion de s’enrichir. C’est de cette façon qu’a été créée une communauté d’intérêts qui, détenant les instruments du pouvoir, a fini par avoir le dessus sur les soulèvements populaires qui s’opposaient à la Reforme. […]
Vous considérez la génération dite « génération de 1968 », qui représente la majorité du Parlement européen, comme les héritiers de cette idéologie du relativisme, élevant même ce relativisme au rang de dogme. Peut-on, pour autant, les appeler « dogmatiques » ?
Je vais citer le cardinal Gerhard Müller, qui a affirmé que personne n’est aussi dogmatique qu’un relativiste dont le relativisme est contesté. C’est là le schéma qu’on voit se reproduire encore et encore. A l’époque de la Révolution française, le slogan, c’était « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Aujourd’hui, on entend dire qu’il n’y a « pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance. » Etrangement, les défenseurs de la liberté d’expression n’ont rien dit quand le Président Trump a été banni de tous les réseaux sociaux. Tous ceux qui, d’ordinaire, nous parlent tant de liberté, de tolérance et de liberté d’opinion, pour une raison ou une autre, n’ont pas cru bon de réagir.
Le droit positif inspiré par le relativisme a pris le dessus sur la loi naturelle. Mais de nos jours, on va encore plus loin. De nos jours, on ne se contente pas de remettre en cause la loi naturelle et la nature elle-même. Il suffit de s’intéresser à la redéfinition en cours de choses comme le mariage, la famille, le genre… Autant de confirmations de cette ancienne vérité selon laquelle une crise de la foi attire toujours et inévitablement aussi une crise de la raison. Récemment encore, on aurait jugé absurde le remplacement sur les formulaires de catégories comme « nom du père » et « nom de la mère » par « parent A » et « parent B », ou encore d’éliminer les toilettes pour hommes et pour femmes, en faveur de nouveaux termes exotiques. […]