François-Xavier Bellamy, philosophe, enseignant, maire-adjoint de Versailles, vient de publier un essai sur la nécessité vitale de revenir à la transmission de la culture. Il répond à La Nef :
"La crise que nous traversons, sous toutes ses formes, me semble avoir une seule et même racine : dans nos sociétés occidentales, quelques générations ont refusé de transmettre à leurs successeurs ce qu’elles-mêmes avaient reçu. Il s’agit là d’un phénomène tout à fait inédit dans l’histoire des hommes : une immense majorité d’adultes en sont venus à penser qu’enseigner à leurs enfants le savoir, la culture, la morale, la religion dont ils avaient hérité avant eux, allait enfermer leur liberté et les priver de leur spontanéité. Cette rupture de la transmission, qui s’est opérée aussi bien à l’école que dans les familles, dans les institutions publiques comme dans l’Église, est la cause unique des nombreuses facettes de la crise que nous vivons : échec éducatif, érosion du lien social, isolement individualiste, fragilisation des familles… Même sur le terrain de l’économie et de l’environnement, nous vivons une rupture de la transmission. […]
Pour le dire simplement, je crois que nous avons raison de décrire la situation présente comme une crise ; et cependant, contrairement à ce que l’on pourrait penser spontanément, cette crise n’est pas un échec, ni un accident. Elle est le résultat de la critique dont la modernité a fait son obsession. La modernité, vous le savez, commence avec le travail de Descartes, qui par l’effort du doute tente de se libérer de tout ce qui lui a été enseigné : pour la première fois, le fait d’avoir reçu une éducation apparaît comme une malédiction, dont l’esprit critique peut seul nous délivrer. Rousseau prolonge cette perspective en interdisant à l’adulte d’influencer l’enfant : il faut le laisser, pour ainsi dire, à l’état naturel, le protéger de l’inutile fatras de la culture. Bourdieu, enfin, accomplit cette dénonciation de la transmission, en la présentant comme l’occasion d’une discrimination, d’une ségrégation sociale. […]
Ce qui anime cette volonté de déconstruction, c’est l’orgueil de l’homme qui voudrait que rien ne le précède, qui refuse d’avoir besoin de rien recevoir. Et cet orgueil – nous le constatons malheureusement dans nos propres vies, qui n’en sont jamais complètement indemnes – cet orgueil nous conduit irrémédiablement à nier le réel lorsqu’il nous oblige à reconnaître que nous ne pouvons nous suffire à nous-mêmes. Cette négation peut durer jusqu’au moment où le réel se rappelle brutalement à nous : c’est ce moment que l’on appelle une crise. [Lire la suite]"