Historienne, Marie-Josèphe Bonnet est une figure du mouvement féministe et homosexuel. Elle a milité dans le Mouvement de libération des femmes (MLF), dans les années 1970, a participé à la création du Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAH) et des Gouines rouges. Pas vraiment réactionnaire donc… Et pourtant : elle est hostile à la loi Taubira et estime que lobby LGBT fait le jeu du capitalisme :
"Je suis contre le commerce des bébés, contre la marchandisation du corps des femmes. Ces pratiques supposent que certaines d'entre elles seraient un ventre à disponibilité pour faire un enfant et ensuite l'abandonner à un couple, qui lui achète. Je trouve ça très choquant. C'est une manière de nier la mère, de nier les mères. Et c'est le patriarcat dans toute sa splendeur. Et même pire. Maintenant, vous avez une filiation qui est masculine, ce que l'on appelle la filiation spermatique. La branche maternelle n'apparaît plus. Je trouve ça très grave. Un enfant a deux branches, deux lignes, c'est ça qui fait la diversité humaine, c'est cela qu'il faut respecter.
Certains parlent cependant de « GPA éthique ». Est-ce une notion crédible, selon vous ?
Il n'y a pas d'éthique, dans ce domaine-là. D'une manière ou d'une autre, il y a de l'argent. Ce qu'ils appellent une « compensation financière ». Cela peut être une compensation symbolique, mais ce sont des cas très rares. On nous cite toujours l'exemple d'une femme qui veut faire un enfant pour sa sœur, mais même dans ces cas-là, je trouve que ce n'est pas une situation très très saine. Après, la sœur sera débitrice. C'est une illusion de croire qu'il peut y avoir de l'éthique dans un échange commercial. D'ailleurs, on s'aperçoit bien que les pays qui, comme la Belgique, essayent d'introduire un peu de règles, pratiquent très peu de maternité de substitution. Les gens vont acheter des bébés ailleurs. Quand on parle de GPA éthique, c'est une confusion volontaire. Le principe de l'éthique, c'est que la vie ne s'achète pas.
Vous allez plus loin et vous vous opposez aussi à la Procréation médicalement assistée (PMA). Pour quelles raisons ?
Le don anonyme de sperme me choque, car, ainsi, on fabrique des enfants qui n'auront pas accès à la connaissance de leur origine. On n'a vraiment pas le droit de mettre un enfant au monde de la sorte, sachant que c'est important de savoir d'où l'on vient, pour se construire. Tous les enfants nés sont X deviennent, à un certain moment, obsédés par leur origine.
Depuis l'aube des temps, ce n'est pas un problème de faire des enfants ! Et ça n'a jamais été non plus le choix des médecins. En réalité, dans la PMA, c'est le médecin qui, d'une certaine manière, va choisir le père. Donc les femmes acceptent que ce moment très important qu'est celui de faire un enfant leur échappe. C'est le pouvoir médical qui prend complètement la main sur la procréation et la maternité. Je trouve ça inquiétant, dans l'évolution de notre monde.
Par le recours à la GPA par certains couples, vous écrivez que le mouvement homosexuel s'est en quelque sorte vendu au libéralisme…
Tout à fait. Il faut, cela dit, faire la différence : ce n'est qu'une certaine partie du mouvement gay. Il y a une autre partie qui est encore prolétaire. Vous avez beaucoup, chez les gays, de garçons qui ne peuvent pas s'offrir un bébé aux Etats-Unis, ou bien en Chine, ou je ne sais où. Dans le mouvement homosexuel, il y a aussi des lesbiennes. Et les lesbiennes ne sont pas d'accord avec la GPA. C'est vraiment la frange riche des gays qui est en question, ceux qui sont très bien intégrés dans la société, qui gagnent beaucoup d'argent, et qui n'ont qu'une envie, celle de se normaliser, pour mieux se faire accepter. La seule chose qui leur manque, c'est de pouvoir faire un enfant. Autrement, ils ont tout. Et comme il ne peuvent pas faire un enfant, ils achètent les services d'une femme.
L'enfant n'est pas un droit, l'enfant n'est pas une chose que l'on acquiert. C'est une personne. Ils veulent tout, le beurre, l'argent du beurre… Avec, par dessus le marché, la bénédiction de la loi. C'est une normalisation à outrance, oui, un embourgeoisement. Mais aujourd'hui l'embourgeoisement, on ne sait plus très bien ce que cela veut dire. Ils rentrent dans le moule hétérosexuel, dans le moule de la famille. On pourrait même dire de la famille napoléonienne. En faisant croire que c'est un droit. Et ça, pour moi, c'est de l'usurpation complète.
Le mouvement homosexuel et le féminisme sont liés, à l'origine. Dans ces conditions, peuvent-ils toujours faire combat commun ?
On peut dire qu'une partie du mouvement gay a trahi la cause féministe. Ils ont émergé grâce au femmes. Ce sont les lesbiennes qui ont créé le Front d'action révolutionnaire. C'est grâce à notre engagement que, justement, ils ont fait leur coming out et qu'ils ont pu sortir de la clandestinité. Ce sont les femmes qui leur ont ouvert la porte de la liberté. Et je trouve qu'ils ont abandonné le combat pour l'égalité entre les sexes au profit de l'égalité entre les sexualités. C'est ça que je critique dans l'évolution d'un certaine homocratie. L'égalité entre les sexes, ça ne les intéresse plus. Ils n'en ont plus besoin pour leur propre liberté. Mais c'est une erreur car leur liberté dépend de celle des femmes."