Dans un article pour la revue Études, Yann Raison du Cleuziou, professeur de science politique à l’Université de Bordeaux, explore le basculement du catholicisme français dans une condition minoritaire. À rebours de discours sur un «retour au religieux», il décrypte une recomposition marquée par une fracture générationnelle dans l’Église. Extrait :
[…] Chez les plus de 60 ans, près d’une personne sur deux se dit encore catholique. Chez les 18-29 ans, ils ne sont plus que 15%. Cette donne minoritaire pousse ces jeunes catholiques à rechercher l’intensité de l’expérience religieuse pour résister à l’effacement. Cette transition minoritaire se caractérise par une recherche de solennité dans la liturgie, une certaine verticalité de l’autorité sacerdotale, une théologie bien plus classique, une quête de cadres pour la vie quotidienne, ainsi que par de multiples dévotions individuelles et collectives. Ce changement de style peut être pensé comme une «désécularisation interne», c’est-à-dire que l’expression spirituelle ne cherche plus à converger avec les valeurs de la société séculière. Elle est donc socialement plus clivante.
Cette évolution concerne-t-elle tous les catholiques ?
Pas du tout! C’est même là que réside la principale tension dans l’Église. Cette désécularisation interne concerne surtout les jeunes pratiquants et les marges observantes, tandis que les catholiques plus âgés ou de sensibilité plus conciliaire (en référence au concile Vatican II, NDLR) restent marqués par l’expérience d’un catholicisme majoritaire. Dans mes conférences en paroisse, j’entends régulièrement des fidèles seniors s’inquiéter de ce qu’ils perçoivent comme un retour en arrière chez les jeunes prêtres et pratiquants. Ils ne comprennent pas cette réappropriation de formes qu’ils avaient délaissées au profit d’un engagement social et d’une ouverture au monde.
Comment expliquer cette fracture générationnelle ?
Cette opposition est souvent vécue comme générationnelle mais en fait elle dépend du contexte du vécu catholique. Les aînés ont grandi dans un catholicisme culturellement dominant, même si affaibli. Leur stratégie pour en perpétuer l’attrait a été d’en atténuer les pesanteurs, de proposer plutôt qu’imposer. Les jeunes, eux, évoluent dans un paysage où leur foi est une exception. Leur réponse est inverse: affirmer leur identité religieuse. D’un côté, compromis; de l’autre, distinction.
Comment l’Église catholique gère-t-elle cette fracture ?
Pas toujours bien. Les diocèses sont souvent dominés par des catholiques qui conservent un éthos majoritaire et qui interprètent les manifestations de la transition minoritaire comme un repli sur soi ou une dérive identitaire. Pourtant, les mêmes tendances se retrouvent au sein du judaïsme, des protestantismes et de l’islam. La réaction à une sécularité dominante favorise les courants religieux plus observants. C’est une manifestation de la culture contemporaine. Refuser de composer avec ces tendances ne fait que les radicaliser, là où plus de collaboration permettrait de les influencer et de les modérer. […]