Le site Aleteia, mis en cause par le site américain Church Militant, vient de publier une mise au point. Comme le Salon beige avait relayé une synthèse du long article de Church Militant traduite par le site Benoit-et-moi, la moindre des corrections consiste à relayer cette mise au point. Vous pourrez la trouver intégralement ici ou en version abrégée ici. En quelques mots, Church Militant accusait un certain nombre de sites internet catholiques, dont Aleteia, qui ont lancé un consortium de « fact checking », d’être financés par Google et de cibler d’autres journalistes catholiques critiques sur le vaccin anti-covid. Je précise en passant qu’Aleteia compte plusieurs rédactions en différentes langues qui ne sont pas toutes exactement sur la même ligne éditoriale (le plus fin connaisseur français du catholicisme américain que j’aie connu, mon vieux camarade Daniel Hamiche, par ailleurs fidèle lecteur de Church Militant, me disait qu’il lisait plus volontiers la version anglaise que la française, mais je ne suis pas assez régulier lecteur de cette version anglaise pour en parler avec la même autorité que lui – mais je dis ça car il est possible qu’une partie du débat tienne à un débat au sein du catholicisme orthodoxe américain et je ne suis pas sûr que nous en comprenions toutes les subtilités de ce côté-ci de l’Atlantique. En tout état de cause, il sera sûrement intéressant de lire la réponse de Church Militant).
Dans cette affaire, deux éléments sont à prendre en compte : la charité et la vérité. Sur le premier point, je présente bien volontiers mes excuses à ceux que nous aurions pu blesser : il y a là incontestablement un manque à la charité fraternelle (dont nous ne sommes pas seuls responsables, j’y reviendrai, mais dont une part de responsabilité nous incombe).
Au sujet de la vérité, je distinguerais là aussi deux éléments : les faits et l’interprétation des faits.
Sur la deuxième, la mise au point d’Aleteia me semble claire : le fait que le consortium catholicfactchecking soit financé par Google n’implique pas de dépendance financière, ni moins encore de dépendance éditoriale. Dont acte. Mon premier mouvement aurait de trancher en sens contraire, ç’aurait été une erreur. Deo gratias !
Mais je me permets de faire remarquer que l’article de Benoît-et-moi relayé par le Salon beige n’a nullement affirmé cette dépendance ; il s’est contenté de poser la question d’un possible conflit d’intérêts. Aleteia répond à la question, et je me réjouis vivement de sa réponse, mais il me semble tout de même que cela n’a rien à voir avec de la calomnie.
Ce qui m’amène au plan des faits – je n’évoque pas tout ici, d’abord parce que je ne connais pas tout de ce débat, et ensuite parce que l’article relayé par le Salon beige n’évoque qu’une partie de celui de Church Militant.
- Il est dit que c’est un mensonge d’affirmer qu’Aleteia appartient à Média Participations, mais cela me semble plutôt une erreur vénielle : sur le site d’Aleteia, il est écrit :
« A partir de juillet 2015, le groupe français Média-Participations est devenu l’Opérateur industriel d’Aleteia. Media-Participations est un groupe multi-médias franco-belge, spécialisé dans l’édition (plus de 40 éditeurs), la presse (10 magazines), la production audiovisuelle et les sites internet. »
Chacun conviendra, je pense, qu’il ne s’agit donc pas uniquement « d’un actionnaire minoritaire de Aleteia, un parmi la quarantaine d’actionnaires français et étrangers qui détiennent les parts de la Société », comme le dit la mise au point.
- Il est dit que Church Militant commet un faux témoignage en citant mensongèrement le site de Google News Initiative:
Dans la même phrase qui commence par « Selon son site internet », Church Militant donne une information qui ne figure pas sur le site internet : « dans ce cas, les catholiques ayant des préoccupations morales ou de sécurité concernant l’avortement. »
Mais, si on lit la phrase en question sur le site de Church Militant, on voit bien que le bout de phrase sur les catholiques est un ajout du site et non une citation de Google :
According to its website, the Google project pays journalists to counter “misinformation” on the China-virus jabs “to reach audiences underserved by fact-checking or targeted by misinformation” — in this case, Catholics with moral or safety concerns about the abortion-tainted shots.
Non seulement, les guillemets délimitent la citation, mais le commentaire de Church Militant est introduit par un tiret et l’expression « in this case » qui marquent tous deux une rupture assez peu équivoque. (Accessoirement, on imagine assez mal Google dire publiquement qu’il vise à contrer les catholiques ayant des objections morales à l’avortement !)
- Church Militant est ensuite accusé de calomnie pour avoir fait « de Aleteia l’équivalent d’un bras de propagande de Pfizer », mais ce n’est pas du tout ainsi que se présente le passage visé : Church Militant relaie les propos d’un moraliste britannique, dont je ne savais rien, mais qui est cité nommément, le Dr Niall McCrae, qui – sans parler d’Aleteia – parle de Reuters Fact Check comme d’un instrument de propagande de Pfizer (j’ignore si la chose est vraie mais, de toute évidence, cela ne peut pas être une calomnie contre Aleteia). Ledit moraliste dit que Reuters Fact Check est l’homologue laïc du consortium catholique de « fact checking ». On peut considérer que le parallèle est outré, mais toutes les attaques sont sur Reuters, pas sur le consortium catholique, ni, moins encore, sur Aleteia.
- En quelques phrases, voici ce que je retiens principalement de cette mise au point :
- Aleteia dirige un dispositif catholique de « fact checking » réunissant 35 médias catholiques de toute tendance (le site du consortium dit « headed up »).
- Ce consortium est financé par Google News Initiative.
- Ce consortium n’a rien à voir avec Bill Gates, ni avec George Soros (et, en particulier, Aleteia n’a rien à voir avec ces milliardaires « progressistes). Cependant, certains de ces acteurs sont bel et bien financés par l’un ou l’autre (ou les deux), spécialement les plus acquis au lobby LGBT et à la culture de mort – ce qui n’est évidemment pas le cas d’Aleteia –, comme l’Instituto de Salud Global (qui est mentionné sur le site – en espagnol, mais pas en français – comme l’animateur du conseil scientifique du consortium et qui a bien été financé, la chose n’a rien de confidentiel, puisqu’elle est assumée sur le site de l’institut, par l’Open Society Foundation de George Soros et par la fondation Bill et Melinda Gates, les liens ne donnant qu’un exemple et ne prétendant nullement à l’exhaustivité).
- Aleteia demeure parfaitement indépendant de ce financement par Google et, a fortiori, par Soros ou Gates.
Encore une fois, je demande volontiers pardon si l’article que nous avons relayé a pu laisser croire qu’Aleteia était financé par Soros ou, plus grave encore, qu’Aleteia était payé pour attaquer des journalistes pro-vie, faisant le jeu du lobby de l’avortement ou du lobby LGBT.
Personnellement, je n’ai jamais cru à cela. Je n’ai aucun doute sur le fait que la rédaction et les lecteurs d’Aleteia sont massivement pro-vie. Mais j’avoue que je persiste à trouver dangereux de faire du « fact checking » avec Google.
Car, malgré ce que le nom laisse supposer, le « fact-checking » – au sens contemporain du mot – n’est pas la recherche de la vérité, mais l’élimination des discours dissidents. Ayant personnellement fait l’objet d’opérations de « fact checking », je peux témoigner que le souci de la vérité de la part des médias dominants y est particulièrement faible : le principal objectif est de discréditer l’adversaire comme « non professionnel ». Et, là-dessus, j’assume sans problème le fait que la rédaction du Salon beige ne soit pas composée de journalistes professionnels. Notre but est de rappeler lesdits journalistes professionnels à leur déontologie, pas de nous substituer à eux : pour parodier Joseph de Maistre, la réinformation n’est pas une désinformation en sens contraire, mais le contraire de la désinformation ; nous nous contentons donc de suivre l’actualité et les médias, avec notre point de vue totalement partial (et que nous assumons partial).
Je persiste à penser que l’intelligence humaine est ainsi faite que, sans discours dissident, elle est incapable de trouver la vérité. On peut bien sûr regretter qu’au XXIe siècle, des discours aux apparences aussi peu scientifiques que les discours « anti-vax » soient aussi répandus, mais revenez simplement un siècle en arrière et vous comprendrez toute l’utilité de tels poils à gratter. S’il n’y avait pas eu une critique de la théorie de la génération spontanée, très largement dominante au XIXe siècle, Pasteur n’aurait pas pu produire de vaccin et nous serions encore en train de mourir de la rage ou de la variole. Je ne dis évidemment pas que les discours anti-vax sont aussi scientifiques que la critique de la génération spontanée, mais je dis que l’on ne peut répondre à de tels discours que par l’argumentation et non par le matraquage numérique, voire par l’élimination pure et simple de tels discours hors du cercle « républicain » des opinions présentables.
Je crois personnellement que les vaccins sont utiles. Je ne suis pas sûr du tout que les « vaccins » contre le covid soient des vaccins. Et je suis certain que le « passeport vaccinal » est un viol gravissime de nos libertés. Je suis tout prêt à changer d’avis sur l’une ou l’autre de ces affirmations (y compris la troisième bien sûr !), mais je ne le ferai que sur la base d’arguments rationnels ; l’argument d’autorité n’a guère de pris sur moi en dehors du cas de la foi elle-même.
Donc, oui, tout en reconnaissant que le Salon beige a probablement posé trop vite des questions sur une possible collusion qui n’existe pas, je continue à penser que faire du « fact checking » avec Google n’est pas du tout la même chose qu’utiliser Google comme moteur de recherche (voire comme agence de publicité, ce que j’ai moi-même fait naguère sans aucun complexe) : pour chercher la vérité en commun, il vaut mieux avoir une conception commune de la vérité et je ne vois toujours pas comment Aleteia pourrait partager celle de Google.
Parlant de publicité, je me permets une petite digression qui n’est pas sans rapport. Il est fréquent d’entendre dire dans les salles de rédaction parisiennes que la publicité n’a aucune conséquence sur la ligne éditoriale. Voire. Evidemment, Lancôme ou Carrefour ne vont pas siéger au comité de rédaction pour demander que tel article soit rédigé par tel journaliste avec tel angle. Mais qui prétendrait qu’il soit facile de publier un article à charge sur les méthodes de management d’une société dans un journal où la même société ferait de la publicité ? J’ai assisté en personne à la discussion musclée entre un élu local important, présidant aux destinées de plusieurs collectivités locales dotées de millions d’euros de budget de communication (et donc, entre autres, de publicité) et un dirigeant médiatique tout aussi important : l’élu avait été pris à partie dans un grand média et appelait le rédacteur en chef pour lui signifier qu’en conséquence, les budgets publicitaires qu’il contrôlait iraient ailleurs. Il est clair que cela eut de sérieuses conséquences sur la ligne éditoriale dudit média. Encore ne puis-je faire état que de ce que j’ai vu moi-même, et donc d’un appel téléphonique tout ce qu’il y a d’explicite, mais comment douter que certains médias s’auto-censurent pour éviter de tels problèmes avec leurs annonceurs ?
Dernier point : la mise au point d’Aleteia parle de correction fraternelle et regrette que l’article de Church Militant (et, en filigrane, celui relayé par le Salon beige) manque à la charité.
J’en tombe volontiers d’accord – en tout cas pour ce qui concerne le Salon beige. Et, encore une fois, j’en demande pardon aux intéressés. Mais pour la correction fraternelle, il faut être deux frères. Pour une raison que j’ignore, une partie au moins de la direction d’Aleteia a choisi de considérer le Salon beige (est-ce moi ? est-ce un rédacteur ? est-ce le profil, réel ou supposé, de nos lecteurs ? je ne sais) comme des ennemis. Je n’en prendrai qu’un exemple (mais j’en ai d’autres en magasin !) : voici quelques années, je discutais avec Mme Lejeune, la veuve du professeur, lors d’un cocktail à la nonciature ; elle voulut me présenter un dirigeant d’Aleteia, mais, à peine celui-ci entendit-il mon nom, qu’il tourna les talons, laissant la pauvre Mme Lejeune un peu désemparée. Ayant un peu l’expérience de ce genre de réactions, je l’ai rassurée sur le fait qu’elle n’y était pour rien. Je dois dire que j’ai une certaine habitude d’être traité en paria dans certains milieux, y compris catholiques (votre serviteur est probablement le seul écrivain catholique à avoir les « honneurs » de deux « fatwas » épiscopales : deux évêques, et non des moindres, ont demandé à mon employeur de me virer au motif que j’avais l’incroyable audace de considérer que la loi Taubira, même votée, demeurait illégitime !), Mais, repensant à l’anecdote, je me suis fait la réflexion qu’il était un peu rude de laisser supposer que toute la bienveillance était du côté d’Aleteia et toute la malveillance du côté du Salon beige ou de Church Militant.
Une telle anecdote n’est évidemment pas une excuse pour avoir manqué à la charité. Mais elle peut être une explication au fait que nous n’ayons pas pu avoir une conversation conforme à l’idéal de la correction fraternelle avec nos confrères.
En tout cas, si je puis tirer un signal positif de cette triste affaire, dans laquelle, encore une fois, nous avons une part de responsabilité, dont je demande bien humblement pardon, j’aimerais que nous en tirions collectivement quelques enseignements. Il me semble, en particulier, qu’il est utile d’avoir plusieurs médias catholiques aux opinions divergentes. Je me réjouis donc bien volontiers non seulement de l’existence d’Aleteia, mais aussi de « La Vie » ou de « La Croix ». Ce que je n’aime pas, c’est le journalisme « chauve-souris » qui prétende à l’indépendance, tout en vivant de l’institution (je dis « chauve-souris » à la façon de La Fontaine : je suis oiseau, voyez mes ailes ; je suis souris, vivent les rats ; ou plutôt, en l’occurrence, je suis le journal officiel de l’Eglise de France, obéissez aux évêques en vous abonnant ; je suis un journal totalement libre, appréciez mon indépendance). Je n’ai aucune objection à l’existence de médias officiels ; je ne suis pas candidat pour les concurrencer. Je n’ai pas davantage d’objection à l’existence de médias sur d’autres lignes que la nôtre ; je tiens trop à notre indépendance pour entraver celle des autres. Et, en l’occurrence, je suis persuadé que la ligne d’Aleteia et celle du Salon beige sont complémentaires et non contradictoires.
De façon générale, nous avons un grave problème dans l’Eglise de France : nous refusons désormais toute forme de débat. Il est vrai que le débat à l’heure du net peut être un peu âpre. Mais il est certain aussi que, si nous refusons le débat, nous refusons la vie et nous sommes tout proches de crever ! Et quand nous voyons ce qu’étaient les controverses au grand XIIIe siècle, nous ne pouvons que constater notre effondrement : Saint Louis résistait publiquement aux injonctions du Pape, saint Thomas polémiquait avec saint Bonaventure ; et pourtant tous ces hommes étaient authentiquement chrétiens et leurs divergences de vues ne les empêchaient pas de reconnaître cette foi commune.
Alors je forme le vœu, pour cette année 2022, que nous soyons assez libres pour débattre et assez charitables pour constater que ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous divise.
Et que l’on puisse réellement dire, comme le proposent nos confrères (et, j’espère, nos frères) d’Aleteia : Voyez comme ils s’aiment.
Guillaume de Thieulloy