Dans le Bulletin Juridique des Collectivités Locales, Henri Jozefowicz, Docteur en droit public, écrit à propos du jugement condamnant la ville de Nantes, qui avait versé une subvention à un centre LGBT militant en faveur de la GPA :
"La subvention à un centre LGBT par la délibération d’une commune soulève la question de sa conformité aux critères classiques relatifs à l’intérêt local. D’après une jurisprudence stable, que le tribunal administratif de Nantes prend soin de rappeler, à défaut de dispositions législatives ou réglementaires qui autorisent des concours financiers, la subvention d’une association de la part d’une commune doit être justifiée par un intérêt public communal et ne doit pas être attribuée pour des motifs politiques ou pour apporter un soutien à une partie dans un conflit au travail. Si les critères sont établis et ne soulèvent guère de difficultés, c’est bien leur appréciation qui peut donner lieu à un véritable débat. Cette démarche est nécessairement un exercice in concreto, dans lequel le pouvoir du juge reste souverain. C’est ce que l’on a pu remarquer dans l’un des critères justifiant le soutien financier d’une collectivité locale : l’exigence de sa neutralité politique. Ce critère de légalité de l’intervention locale ne regarde pas seulement les prises de position de nature partisane dans des sujets internes ou internationaux. Pour des raisons qui n’échapperont à personne, les questions dites « sociétales » (drogues, euthanasie, procréation médicalement assistée, gestation pour autrui…) s’introduisent dans le terrain de la controverse politique. D’où la prise en compte délicate de ces questions par le juge administratif.
La particularité de cette décision, qui fera certainement débat dans l’attente de clarifications de la part de la cour administrative d’appel (la ville de Nantes a, en effet, interjeté appel de la décision) et du Conseil d’État, est que le tribunal administratif de Nantes avait apprécié différemment l’existence d’un motif politique par rapport au rapporteur public. En effet, l’appréciation du motif politique s’est située sur le terrain de l’objet de l’association : social pour le rapporteur public, mais ouvertement politique pour le juge administratif. Malgré un militantisme relayant des thèmes défendus au niveau national (la défense, dans le passé, de certains sujets sociaux et le soutien, actuel, à la GPA et à la PMA), le rapporteur public estimait que l’objet principal de l’association consistait dans le « caractère social de prévention, de soutien psychologique, et de lutte contre les discriminations », comme il en ressortait clairement de ses statuts. En se plaçant également sur terrain de « l’action effective » du centre, le rapporteur constatait que cette action s’orientait vers « une entreprise sociale », plutôt que vers une « activité militante ». Sans nier l’existence d’un militantisme en faveur de sujets de sociétés clivants politiquement, le rapporteur refusait d’en faire l’objet principal du centre LGBT, n’y voyant que le simple relais de messages défendus au niveau national par l’association qui portait le même nom.
Le tribunal administratif de Nantes l’a pourtant entendu différemment. Il s’est appuyé sur une analyse manifestement différente de l’action de cette association, tout en relevant que l’objet statutaire de l’association était « la lutte, sous toutes ses formes légales, pour l’accès à l’égalité des droits personnels et sociaux des personnes homosexuelles, transsexuelles et bisexuelles ». Autant dire que la lecture des statuts de l’association a été particulièrement dissonante – d’aucuns diront sélective… – entre les juges du fond et le rapporteur public. Le tribunal administratif a souligné que dans une période proche de l’attribution de la subvention, l’association s’était clairement engagée pour l’élargissement des conditions d’accès à la PMA, ainsi que pour la GPA, dont il prend le soin de souligner le caractère « contraire à l’ordre public et pénalement réprimée ». Le tribunal rejetait clairement un quelconque aspect social dans l’objet de l’association, dont la présence aurait pu éviter de relever un motif politique. Peut-être, eût-il été plus judicieux pour l’association de communiquer sur des thèmes davantage sociaux (l’accueil psychologique, la prévention sanitaire…) que « sociétaux », ce que son militantisme actif en faveur de certaines « causes » nationales ne pouvait que vouer à l’échec. Si la ville de Nantes a péché, c’est bien par le faible « localisme » de son intervention en faveur d’une association adoptant des positions ouvertement clivantes. Une reconnaissance électorale est un exercice qui doit tout de même prendre quelques gants… Pour le tribunal administratif, en raison de ces différentes prises de position publiques du centre LGBT, il y avait bien un militantisme qui pouvait difficilement caractériser la délibération de la ville de Nantes comme exempte de tout motif politique. Pour cette raison, cela suffisait à considérer la délibération du conseil municipal de Nantes du 5 février 2016 comme illégale.
Le caractère politique de ces prises de positions « sociétales » ne semblait donc pas soulever de difficultés pour le juge administratif de première instance. En raison de leur caractère controversé, elles ont nécessairement un aspect politique. C’est peut-être en cela qu’il faut lire la décision du tribunal administratif de Nantes à l’égard des associations qui interviennent dans les domaines « sociétaux ». En revanche, il aurait été intéressant de voir les analyses du juge administratif dans des dossiers moins sensibles et plus consensuels ; on pourrait relever comme exemple d’actualité le soutien aux chrétiens d’Orient, qui ne suscite guère de polémiques. On peut aussi songer à des associations intervenant dans des thèmes « sociétaux », qui entraînaient naguère des controverses, comme l’avortement ou la contraception, mais dans lesquels la « mèche » semble éteinte. Le défaut de caractère polémique d’un sujet permettrait-il justement de constater l’existence d’une neutralité politique justifiant ainsi la légalité d’une subvention sous réserve, évidemment, que les critères de l’intérêt public local soient caractérisés ? La question est posée. Bref, qui dit polémique, dit nécessairement politique : une illustration de cette proximité, pas seulement sémantique, entre pólis et pólemos…"