Sachons apprécier au contraire dans l’argumentation le souci des démonstrations scrupuleuses. Voilà bien une méthode méprisée par le politiquement correcte ! Etre rigoureux serait-il coupable ! Utilisons avec Jean Ousset la « méthode de comparaison qualitative »[1]. L’argument sera probant. On verra que Zemmour se retrouve en bonne compagnie…
Ichtus propose des formations inspirées des méthodes développées par Jean Ousset. « Anthropologie et Politique » à l’école de JP II avec Bruno de Saint Chamas, « Faire aimer la Civilisation » par l’Art avec Nicole Buron, « Les ateliers de l’Histoire » avec Martin Dauch.
« Analogue à la méthode des comparaisons quantitatives, (vue la semaine dernière dans le Salon Beige) cette méthode sera plus facile à présenter rapidement.
Les comparaisons quantitatives en effet supposent une documentation suffisante, mais relativement facile à employer, tandis qu’une formation, une érudition plus sérieuse risquent d’être nécessaires, pour peu que l’on tienne à faire face dans les discussions que les comparaisons qualitatives ont plus de chances de provoquer..
Ici encore les applications en peuvent être variées à l’extrême.
Soit d’abord celle suggérée par un passage de Condorcet (illustre franc-maçon); extrait de son Tableau historique des progrès de l’esprit humain
« Nous devons aux scolastiques, écrit-il, des notions plus précises…
… sur les idées qu’on peut se former de l’Etre suprême et de ses attributs, …
… sur la distinction entre la cause première et l’univers qu’elle est supposée (sic) gouverner, …
… sur celle de l’esprit et de la matière, …
… sur les différents sens que l’on peut attacher au mot « liberté », …
… sur ce qu’on entend par création, …
… sur la manière de distinguer entre elles les diverses opérations de l’esprit humain et de …
… classer les idées qu’il se forme des objets réels et de leurs propriétés… »[2].
Quel admirable passage ! Et que les philosophes, bien sûr, apprécieront davantage.
« En somme, mauvaise humeur à part, fait observer Gilson à son propos, Condorcet reconnaît que les scolastiques ont précisé toutes[3] les notions essentielles de la métaphysique et de l’épistémologie[4] ; c’est un assez bel hommage et qu’il serait facile de transformer en une apologie décidée ».
Le souci des démonstrations scrupuleuses
Autre exemple. Comparaisons entre les diverses conceptions que les hommes se sont faites et se font encore de la notion de Dieu. Il est très facile (au prix certes d’une certaine érudition) de montrer à quel point la pensée chrétienne l’emporte par l’exigence et la rigueur de ses démarches, son souci constant des démonstrations scrupuleuses… Et cela face à la somme des formules bâclées, des termes mal définis, des affirmations gratuites, des principes qui n’en sont pas. Arguments ordinaires de tant de systèmes en honneur parmi nous. Quel contraste dès lors. Quelle comparaison qualitative inoubliable quand il nous fut donné d’ouvrir pour la première fois la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin. Voici qu’il y avait là un auteur, un penseur, un philosophe, un théologien qui loin de se lancer, sans scrupule, dans l’exposé de ses opinions prenait soin, tout au contraire, au début de chaque « question », de prévenir honnêtement le lecteur, en lui faisant part de tout ce qui, à première vue, semblait interdire ce qu’on se proposait de démontrer.Certes, un « sed contra » assez dynamique faisait immédiatement comprendre que malgré le nombre des opposants (cinq à six parfois), on allait passer outre…Et l’on passait bien outre, en effet, tout au long du « corps de l’article », par une démonstration d’autant plus rigoureuse qu’elle se faisait ainsi comme sous l’oeil de l’ennemi.
Encore n’était-ce point suffisant… car la pleine et solide démonstration étant fait, saint Thomas revenait aux objections annoncées au début. Les reprenant une après l’autre. Non pour les écarter avec désinvolture, ou mépris… mais pour expliquer comment, pourquoi leur auteur s’était trompé ; ou mieux encore comment, pourquoi le fonds n’en était pas si mauvais, la forme seule en étant à revoir et à mieux préciser.
Quelle merveille ! Quel soin ! Quels scrupules dans la démarche ! Quelle insurpassable qualité dans la méthode de cette poursuite du vrai !
Sincèrement, ami lecteur, t’arrive-t-il souvent de rencontrer des maîtres aussi loyaux ?
Qui dit mieux ? Et pourtant, si !
Il en est un autre. Dans un autre domaine ! Domaine de l’histoire ! Maître dont la méthode rappelle celle de saint Thomas.
Méthode Fustel de Coulanges ; dans son Histoire des institutions politiques de l’Ancienne France. Démarche analogue à celle de saint Thomas, puisque rappel en chaque début de chapitre de ce qui paraît s’opposer à ce que l’on va soutenir. Même souci de loyauté donc. Même sens de la démonstration serrée. Mêmes scrupules dans l’interprétation des documents. Et tout cela comme sous le regard du lecteur.
Quelles leçons pour nous dans ces deux exemples !
Saint Thomas et Fustel !
Serait-ce pour cela qu’on les méprise tant ? ».
Et maintenant Eric Zemmour… en belle compagnie… !
A suivre …la semaine prochaine…
[1] Permanences n° 178, mars 1981, p. 34 à 38
[2] Marie Jean Antoine Cariat, marquis de Condorcet : Tableau historique des progrès de l’esprit humain – Paris, G. Steinheil, 1900, p. 87.
[3] C’est Jean Ousset qui souligne.
[4] Cf. dans le « Robert » : « Epistémologie : étude critique des sciences, destinées à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée. L’épistémologie entre dans la théorie de la connaissance ».