De Côme de Prévigny sur Renaissance catholique :
Jean XXIII voulait « faire entrer un peu d’air frais dans l’Église » et, il y a soixante ans, les esprits les plus échauffés promettaient au monde catholique un véritable « printemps », un renouveau inespéré qui allait indubitablement redonner espérance et jeunesse à la vénérable institution. Les foules devaient investir les sanctuaires tandis que les ouvriers devaient retrouver, nous promettait-on, le chemin des baptistères. Évidemment, les décennies ont passé et les promesses n’ont pas été tenues. Dans les grandes nefs, on ne respire plus que les odeurs de fiente des pigeons et les moisissures des champignons favorisées par l’humidité. Les églises ont été désertées, les séminaires ont fermé et les rêves ont été déçus. Avec le temps, les prophètes de bonne aventure ont terriblement courbé le front et ils masquent leurs rides pour suggérer chaque jour d’attendre encore une année pour voir une aube nouvelle luire sur la Chrétienté. Il y a encore quelques temps, quelques observateurs bien avisés s’aventuraient à nous dire qu’il fallait bien cinquante ans pour escompter recevoir les fruits du fameux Concile. Désormais, il faudrait attendre cent ans. « Il est vrai qu’il faut un siècle pour qu’un Concile prenne racine. Nous avons encore quarante ans pour le faire prendre racine ! » prévenait sans se décourager le pape François[1]. Qu’en est-il vraiment ? Faut-il garder patience ou bien l’essentiel du message de l’aggiornamento a-t-il été reçu ?
La comparaison avec le Concile de Trente
Le grand argument invitant les chrétiens à la pondération en attendant le renouveau de l’Église après Vatican II consiste à recourir à l’histoire du concile de Trente qui s’est tenu pendant deux décennies, de 1545 à 1563, mobilisant l’énergie de cinq papes successifs. Répondant au grand bouleversement de la Réforme protestante, cet évènement majeur du monde catholique recentra le clergé sur sa mission, précisa la foi sur plusieurs points de la doctrine du salut et de la Sainte Eucharistie, produisit un catéchisme rénové et améliora considérablement la vie de l’Église. Les secousses qu’il produisit dans l’Institution furent telles que, à la fin du XVIIe siècle, les saints vivaient encore du souffle qu’avait lancé la Contre-Réforme pour revivifier le christianisme moderne. D’ailleurs, en France, le fameux Concile de Trente n’était-il pas encore appliqué en 1610 alors même que Louis XIII montait sur le trône ? Les premiers grands séminaires favorisés par les pères conciliaires n’ont-ils pas attendu de voir le jour des décennies plus tard, à la faveur des grandes intuitions de saint Vincent de Paul ou de Messieurs Ollier et Bourdoise ?
Voilà bien un raccourci. Sans doute n’avions-nous ni presse, ni radio, encore moins internet au XVIe siècle. Pour autant, les canons et décrets du Concile n’ont pas tardé à être mis en pratique. Il suffit de constater la fougue de saint Charles Borromée pour s’en persuader. Dès la clôture du Concile, il demanda à être déchargé de ses mandats romains pour être pleinement consacré à ses prêtres. Il regagna Milan pour multiplier les tournées diocésaines, y fonder un séminaire et combattre partout les dérives du clergé peu assidu. Une bonne partie des évêques de son temps imitèrent ce grand confesseur de la foi dès la fin du XVIesiècle. Non seulement aucun ne fit obstacle aux points doctrinaux qu’avaient précisés les Pères réunis à Trente mais ils en adoptèrent rapidement les recommandations pastorales pour solidifier la spiritualité catholique. L’un des modèles de cet épiscopat particulièrement entreprenant fut saint François de Sales qui sillonna la Savoie au cours des deux premières décennies du XVIIesiècle.
Cependant, il est de coutume d’affirmer que les canons du Concile ont rencontré une forte résistance en France et, à vrai dire, les parlements ne l’ont finalement jamais complètement agréé de façon officielle. La raison ne provient pas d’une opposition doctrinale de notre pays, loin de là, mais plutôt de la fierté gallicane désireuse de conserver une tutelle temporelle sur les hôpitaux. Ce point de détail, joint au souci des rois de France de ne pas trop contrister les partisans huguenots au cœur d’un pays meurtri par les Guerres de religion fit que les parlements rechignèrent très longtemps à entériner les canons du Concile de Trente tandis que légats et nonces s’évertuèrent à faire approuver les décisions romaines. Mais, dans les faits, les décrets du Concile avaient été adoptés par les évêques français dès la décennie 1580. Par ailleurs, une bonne partie des nouvelles mesures avaient été reprises à son compte par le roi Charles IX lors de l’ordonnance de Blois en 1579 puis lors de l’édit de Melun en 1580. Aussi peut-on affirmer que le Concile de Trente a été appliqué dès le xvie siècle à travers le monde, à commencer par l’Italie ou l’Espagne. Même dans la France gallicane, la contre-réforme avait été instaurée dans les diocèses. Les fruits s’en faisaient ressentir et, cinquante ans après la clôture des sessions, la pratique religieuse avait été considérablement solidifiée.
Le Concile aurait-il été mal interprété ?
On ne peut imaginer que Vatican II ne fût pas appliqué dans la foulée des sessions qui réunirent deux mille cinq cent pères entre 1962 et 1965. La mobilité des évêques traversant le monde en quelques heures et les moyens de communication avertissant la catholicité toute entière des grandes décisions facilitèrent largement la pénétration des esprits. D’ailleurs, les mesures prises ne tardèrent pas. La plus emblématique, touchant à la liturgie, fut la promulgation d’un nouveau missel qui fut diffusé dans les diocèses du monde entier cinq ans seulement après la clôture du Concile. Sur ce point, l’application de Vatican II fut tellement violente qu’à partir de cette date, les prêtres qui refusaient de célébrer les saints mystères selon la forme rénovée étaient condamnés les uns après les autres, à moins de pouvoir revendiquer un âge avancé. De même, les catéchismes anciens étaient interdits pour laisser place aux livres rénovés. Le Droit Canon fut également réformé. Tous les aspects de l’Église furent touchés, depuis l’habit religieux jusqu’aux chants sacrés, en passant par les relations avec les États, le dialogue avec les autres religions ou l’organisation des communautés religieuses. En quelques années, le Concile avait changé le visage de l’Église.
Devant les bouleversements provoqués, nombreux furent ceux qui constatèrent des erreurs de transmission. Paul VI avouait qu’il avait le sentiment « que, par quelque fissure, la fumée de Satan, était entrée dans le peuple de Dieu » à l’occasion de ce grand évènement. Dans un discours devenu célèbre, Benoît XVI chercha à distinguer le vrai Concile, dont les principaux acteurs étaient les évêques, du faux Concile, celui que les médias avaient fantasmé et qu’ils auraient, d’une certaine manière, imposé au monde entier : « Il y avait le Concile des Pères – le vrai Concile – mais il y avait aussi le Concile des médias. C’était presqu’un Concile en soi, et le monde a perçu le Concile à travers eux, à travers les médias. Donc le Concile immédiatement efficace, qui est arrivé au peuple, a été celui des médias, non celui des Pères. » Pourtant, si Vatican II a été mis en application dans les séminaires immédiatement à la fin des débats, ce n’était pas du fait des médias. Si des textes ont été promulgués pour réformer la liturgie en un temps record, si la mise à jour de la vie des congrégations a été actée dès les années 1960, c’est bien du fait des prélats de Curie et des évêques diocésains qui portaient la plume et non des journalistes.
À l’objection selon laquelle le Concile aurait été mal interprété et qu’il faudrait en connaître le véritable esprit, Jean Madiran objectait que, dans le cas de Vatican II, il ne pouvait justement pas exister d’équivoque dans la mesure où le législateur et l’exécutif étaient un seul et même corps. Ce sont les évêques catholiques qui ont à la fois décidé des changements et qui les ont mis en pratique. Par conséquent, ils pouvaient bien être certains de la façon dont il fallait appliquer le fameux Concile dont ils étaient à la fois les auteurs et les interprètes.
La déchristianisation à marches forcées
Lors du Concile de Trente, l’Europe chrétienne a connu un regain de ferveur, comme l’a analysé l’historien Alain Tallon, spécialiste de la question. À partir du XVIIe siècle, l’assiduité du clergé, l’élan des nouvelles congrégations comme les Jésuites, les Lazaristes, les Oratoriens puis les Montfortains ont véritablement rechristianisé des régions entières puis évangélisé le monde alors que des secteurs avaient commencé à connaître une déchristianisation marquée à l’occasion des Guerres de religion. Or, on peine à remarquer l’élan de ferveur qui aurait suivi Vatican II. Dans son livre publié en 2018, Guillaume Cuchet a analysé la chute de la pratique en France et expliqué « Comment notre monde a cessé d’être chrétien ». Or, pour lui, l’année de cassure fut précisément 1965, au cours de laquelle la pratique s’est effondrée pour ne jamais retrouver ses niveaux d’antan. Inutile d’épiloguer sur le sujet, l’époque post-conciliaire est dramatique pour le catholicisme. Dans notre pays, les vocations se tarissent désormais et les églises d’Europe sont vouées, tôt ou tard, à la reconversion profane ou à la destruction.
Avec l’internationalisation de l’Église, les cœurs tentent un instant de ne pas se laisser gagner par le désespoir et ils considèrent les foules provenant de l’autre bout du monde. Désormais l’hémisphère sud vient à la rescousse du Vieux Continent essoufflé et le pape ne nous arrive plus de nos latitudes désabusées. Mais gardons-nous des mirages des promesses conciliaires. Depuis soixante ans, le catholicisme d’Amérique latine est en terrible perte de vitesse. Pas un seul de ces pays n’a augmenté sa proportion de catholiques depuis le Concile. Par exemple, la Colombie qui l’avait vue augmenter de 15 % entre 1910 et 1970 a perdu tous ces gains entre 1970 et 2014. L’Église romaine ne revendique même plus deux tiers des Brésiliens alors qu’ils étaient quasiment tous catholiques à la veille de Vatican II. Un pays comme le Honduras où la part avoisinait les 100 % a vu ce chiffre dégringoler sous la barre des cinquante ces dernières années. Les évangéliques et les agnostiques y sont devenus majoritaires. C’est dire à quel point nous devrions être particulièrement circonspects à l’égard du catholicisme d’Amérique latine qui vit des feux que les siècles missionnaires lui avaient jadis conférés.
Samuel Beckett avait écrit sa plus célèbre pièce au tout début des Trente Glorieuses, au cours desquelles les pères conciliaires avaient promis monts et merveilles sur cette terre. Sans doute était-ce dans l’air du temps. Après les années de guerre, les hommes de ce siècle, enivrés par un irénisme sans faille, ont souhaité nous garantir le paradis ici-bas par de pieuses intentions. Mais tout cet esprit s’est évanoui et les défenseurs invétérés de Vatican II ressemblent, soixante ans plus tard, aux personnages de En attendant Godot qui tout au long de la pièce guettent l’arrivée d’un personnage qui ne vient jamais. Les jours passent, les années aussi et nos amis continuent à nier les faits en croyant dur comme fer à l’éclosion de fruits qui ne germeront raisonnablement plus. Recourir aux comparaisons historiques douteuses ou aux promesses qui n’engagent à rien pour sauver un texte daté n’est plus de saison. Sans doute la riche histoire de l’Église nous apprend-t-elle à tenir des attitudes autrement plus courageuses.