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Les Impropères (première partie)
La liturgie du Vendredi saint est un sommet de l’année et les chants sont à la hauteur de l’événement commémoré. Voyons un des moments les plus importants, juste après l’Adoration de la Croix, les Impropères. Nous nous basons sur deux ouvrages édités par Solesmes : le Graduale Romanum de 1979 et le Missel grégorien de 1984. Les textes sont dans la langue de l’Église, le latin.
Les Impropères, en latin Improperia, du mot latin improperium, sont les « reproches » que le Messie adresse à son peuple ingrat qui, malgré toutes les faveurs accordées par Dieu, et en particulier pour l’avoir délivré de la servitude en Égypte et l’avoir conduit sain et sauf dans la Terre promise, lui a infligé les ignominies de la Passion. C’est un émouvant dialogue entre Dieu et le monde, entre le divin Crucifié et ceux qui le livrent au supplice.
A chaque fois, un bienfait de Dieu dans l’Exode est mis en contraste de façon saisissante avec un épisode de la Passion. Le texte est issu de l’Église syrienne antique (d’où la présence le la langue grecque) et a été conservé dans la liturgie romaine.
La 1ère partie commence par l’antienne Pópule meus, sur une mélodie plaintive, remontant à une haute antiquité. Il s’inspire du IVe Livre d’Esdras.
Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi.
Ô mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
Elle est suivie du verset :
Quia edúxi te de terra Ægýpti : parásti Crucem Salvatóri tuo.
T’ai-je fait sortir du pays d’Égypte pour qu’à ton Sauveur tu fasses une croix ?
Puis alternativement le chœur chante le Trisagion ou triple invocation au Dieu trois fois saint, en grec et en latin.
Agios o TheosSanctus Deus Agios ischyrós Sanctus fortis Agios athánatos, eléison imás. Sanctus immortális, miserére nóbis |
Dieu SaintDieu Saint Saint et fort Saint et fort Saint immortel, ayez pitié de nous. Saint immortel, ayez pitié de nous. |
Ensuite deux voix du 1er chœur chantent :
Quia edúxi te per desértum quadragínta annis…
Est-ce parce que je t’ai conduit dans le désert pendant quarante ans, que je t’ai nourri de la manne et que je t’ai fait entrer dans une terre excellente que tu as préparé une Croix à ton Sauveur ?
Et les deux chœurs reprennent alternativement Agios o Theos, etc.
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Les Impropères (deuxième partie)
La seconde partie des Impropères (ou petits Impropères) se poursuit par des petits versets psalmodiés sur une mélodie très simple. C’est toujours Notre Seigneur qui s’adresse à son peuple, et chaque verset comporte deux phrases commençant par « ego » = moi et « et tu » = et toi, suivies par la reprise de l’antienne du début, Pópule meus, véritable refrain de tous ces Impropères, avec cette envoûtante mélodie, grave, triste, mais pénétrée de tendresse.
Dieu rappelle tous les bienfaits qu’il a accomplis et rappelle toutes les indignités dont il a été accablé. Les chantres de Solesmes n’ont retenu que 4 des 9 versets qui peuvent être chantés :
Ego propter te flagellávi Ægýptum cum primogénitis suis : et tu me flagellátum tradidísti.
J’ai frappé, à cause de toi, l’Égypte avec ses premiers-nés, et tu m’as livré pour être flagellé.Ego edúxi te de Ægýpto, demérso Pharaóne in Mare Rubrum : et tu me tradidísti princípibus sacerdótum.
Pour te tirer de l’Égypte, j’ai englouti Pharaon dans la mer Rouge, et tu m’as livré aux princes des prêtres.Ego ante te apérui mare : et tu aperuísti láncea latus meum.
Je t’ai ouvert un passage à travers les flots, et tu m’as ouvert le côté avec une lance.Ego ante te præívi in colúmna nubis : et tu me duxísti ad prætórium Piláti.
J’ai marché devant toi comme une colonne lumineuse, et tu m’as mené au prétoire de Pilate.
Joris-Karl Huysmans conclu :
Ce temps de la sainte quarantaine était, au point de vue liturgique, admirable ; la tristesse y allait grandissant chaque jour, avant que d’éclater en les lamentables impropères, en les douloureux sanglots de la Semaine sainte (Huysmans L’Oblat, t. 2, 1903, p. 42)
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La fonction liturgique de l’après-midi du Vendredi saint se poursuit avec l’antienne Crucem tuam, ancien chant byzantin :
Nous adorons votre Croix, Seigneur, et nous louons et glorifions votre sainte résurrection, car c’est par ce bois que la joie s’est répandue dans l’univers entier.
Puis c’est le début du verset du psaume 66 Deus misereátur nostri qui sera psalmodié avant la reprise de l’antienne :
Que Dieu ait pitié de nous et qu’il nous bénisse, que la lumière de sa face brille sur nous et qu’il ait pitié de nous.
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Nous achèverons notre émission avec la dernière partie des Impropères qui commence par une antienne.
Crux fidélis, inter omnes arbor una nóbilis….
Croix fidèle, arbre unique, noble entre tous ! Nulle forêt n’en produit de tel par ses feuilles, ses fleurs et ses fruits !Dulce lignum, dulces clavos, dulce pondus sústinet.
Douceur du bois, qui d’un doux clou, porte un si doux fardeau.
Puis l’on chante l’hymne Pange língua gloriósi dont les paroles sont de Venance Fortunat, à ne pas confondre avec l’autre Pange língua que Saint Thomas d’Aquin composa pour la Fête-Dieu.
Pange, língua, gloriósi prœlium certáminis….
Chante, ma langue, le combat, la glorieuse lutte ; dis le noble triomphe du trophée de la Croix : le rédempteur du monde, immolé, est vainqueur.
On répète l’antienne Crux fidélis jusqu’à Dulce lignum.
Le créateur, attristé de l’égarement du premier père, précipité dans la mort en mordant le fruit néfaste, choisit lui-même un arbre pour réparer l’arbre de mort.
Puis la reprise se fait cette fois à partie de Dulce lignum.
Et l’on achèvera avec la conclusion qui ne doit pas être omise quand l’hymne est chantée.
En voici la traduction dans la version des moines de Solesmes :
Gloire et honneur à Dieu au plus haut des cieux, à la fois au Père et au Fils et au saint Paraclet : à qui est la louange et la puissance pour les siècles éternels.