Explications d’Olivier Bault dans Présent :
Après la succession de défaites à la Chambre des communes d’un gouvernement Johnson devenu largement minoritaire à la suite de l’expulsion d’une vingtaine de députés des rangs du Parti conservateur et du départ de plusieurs autres, la situation à Londres est paradoxale à bien des effets.
Le premier paradoxe, c’est que l’opposition vient de refuser à deux reprises les élections anticipées demandées par un Premier ministre qu’elle accuse pourtant de se comporter en dictateur. Deuxième paradoxe : cette accusation tient au fait que Boris Johnson a décrété, en tant que Premier ministre du gouvernement de Sa Majesté, la clôture de la plus longue session parlementaire qu’ait connue le Parlement britannique depuis la guerre civile de 1642-1651. Cette clôture s’est déroulée mardi matin, après le deuxième vote sur les élections, sur fond de protestations bruyantes de l’opposition. Depuis une loi de 2011, le Premier ministre ne peut plus décider librement de la date des élections et il faut une majorité des deux tiers de la Chambre des communes pour des élections anticipées. En l’occurrence, il aurait fallu 434 députés sur 650 pour soutenir la demande de Boris Johnson et il n’a obtenu que 293 voix.
Autre paradoxe : alors que Boris Johnson avait déclaré qu’il ne demanderait en aucun cas un report du Brexit et qu’il préférait plutôt être retrouvé mort dans un fossé, non seulement l’opposition lui refuse des élections anticipées, mais elle a fait passer, avec le soutien des transfuges du Parti conservateur, une loi censée le contraindre à demander contre son gré un report aux 27 si aucun accord n’a été trouvé d’ici au sommet européen prévu pour le 17 octobre. « Ils veulent que le Premier ministre se rende à une négociation vitale sans avoir la capacité de quitter la table des négociations », a reproché Boris Johnson aux députés.
Et c’est bien là l’ultime paradoxe dans l’attitude de ces députés hostiles à une sortie sans accord le 31 octobre : sous prétexte de prévenir une telle éventualité, ils ont privé leur Premier ministre de la puissance de dissuasion qui lui aurait peut-être permis d’arracher à Bruxelles un accord de dernière minute. D’autant que Boris Johnson ne demande qu’une chose : la suppression du « filet de sécurité », ou backstop, nord-irlandais, une clause qui lierait les mains de Londres dans les négociations à venir sur un accord commercial et remettrait en cause l’unité territoriale du pays.
Après les derniers votes au palais de Westminster, les 27 peuvent continuer d’espérer une capitulation britannique. Boris Johnson tentera sans doute de son côté de contourner l’obligation qui lui est faite de demander un report du Brexit, par exemple en faisant tout pour que les 27 refusent. Ceci pourrait conduire à un vote de défiance conduit par le leader du Parti travailliste Jeremy Corbyn, mais qui ne pourra avoir lieu qu’après le discours de la reine inaugurant la nouvelle session du Parlement le 14 octobre prochain, et sans doute après le sommet européen des 17 et 18 octobre, ce qui reporterait le renversement du gouvernement Johnson au 21 ou 22 octobre, à moins de dix jours de la date du Brexit. Le marxiste d’extrême gauche Corbyn aura alors 14 jours pour trouver une majorité de gouvernement, faute de quoi il faudra convoquer des élections.
Aujourd’hui, on ne connaît donc toujours ni les conditions ni la date du Brexit, et même s’il aura finalement lieu, mais un Brexit sans accord survenant « par accident » semble être le scénario le plus probable.