Mardi 22 juillet était étudié à l'assemblée le projet de loi contre le terrorisme, présenté par le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve. Ce projet de loi est soutenu par le premier ministre Manuel Valls, qui avait déjà mis l'affaire sur le tapis lorsqu'il était place Beauvau. Le texte retenu par les députés sera soumis au débat en séance plénière à la mi-septembre. Le but du projet de loi est de lutter à la fois contre le terrorisme et la pédo-pornographie. Le projet prévoit la mise en place d'un système de blocage administratif des sites web douteux, et ce sans intervention de la justice.
Une commission de réflexion ad hoc pointe l'impact qu'aurait une telle pratique sur l'exercice des droits et des libertés à l'âge du numérique. Elle a rappelé fermement aux parlementaires que
"le préalable d'une décision judiciaire apparaît comme un principe essentiel, de nature à respecter l'ensemble des intérêts en présence, lorsque est envisagé le blocage de l'accès à des contenus illicites sur des réseaux numériques".
La commission rappelle en outre que le blocage des sites web est très difficile à mettre en oeuvre, et très aisément contournable :
"[…] la Commission rappelle qu’en l’état actuel des technologies, un même serveur pouvant héberger plusieurs contenus, les solutions de blocage sont susceptibles d’entraîner du sur-blocage, c’est-à-dire le blocage de contenus légaux autres que ceux visés, ce qui constitue une atteinte à la liberté d’expression et de communication de tiers. Ce risque est important dans le cas présent puisque 90 % des contenus de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme semblent se situer sur des réseaux sociaux ou des plateformes de partage de vidéos comme Youtube ou Dailymotion. Compte tenu de ce risque, il est à craindre que les mesures de blocage ne concernent en pratique que 10 % des contenus en cause."
"D’autre part, la Commission rappelle qu’il existe des techniques permettant de contourner chaque type de blocage de manière relativement simple : l’utilisation de sites « miroir », c’est-à-dire d’une réplication du site sur une autre adresse IP, une autre url et un autre nom de domaine, l’utilisation d’un proxy, c’est-à-dire d’un site servant d’intermédiaire de connexion entre l’utilisateur et le site auquel il souhaite se connecter, le chiffrement ou le recours à un réseau privé virtuel. […] "
La commission préconise donc une demande de retrait des contenus illicites auprès des hébergeurs, plutôt qu'un blocage du site web. Encore faut-il que l'hébergeur soit coopératif. Dans le cas contraire, la commission recommande l'utilisation du blocage à titre subsidiaire et sur décision judiciaire.
La censure d'internet a pour effet de développer des outils très performants, permettant aux "cyberdissidents" de lui échapper, ce qui rend encore plus difficile la découverte des activités illégales, à plus forte raison les activités terroristes. En 2013, alors que Manuel Valls émettait la prétention de surveiller les terroristes en surveillant le web, le juge anti-terroriste Marc Trévidic avait expliqué que c'est précisément grâce aux imprudences des terroristes sur Internet que la police peut les repérer et les empêcher de nuire.
"Le Point" fait une remarque intéressante, en soulignant que l'Etat, si ce projet de loi sur la censure du net est validé en septembre, pourrait se retrouver malgré lui, promoteur des sites terroristes :
"Mais ce contrôle des sites bloqués impliquerait la publication de la liste noire, ou du moins sa circulation dans des cercles qui, s'ils sont restreints, ne resteront pas muets. L'État offrira alors une publicité inespérée aux sites qu'il souhaite bloquer, car à l'ère des WikiLeaks et autres Edward Snowden, la diffusion de la liste ne sera qu'une question de temps. C'est ce qu'on appelle sur Internet l'effet Streisand : quand on veut à tout prix étouffer quelque chose, on finit par le promouvoir. Dans ce cas, l'État aura gentiment constitué les marque-pages du parfait petit terroriste."
On a tout à craindre d'une telle mesure, si elle est prise, car il se pourrait bien que sous prétexte de vouloir nous protéger du terrorisme, l'Etat-nounou-qui-veut-notre-bien restreigne encore un peu plus notre liberté.