Fils du secrétaire de l’abbé Perrot Herry Caouissin, Youenn Caouissin vient de publier une imposante biographie de l'abbé Yann-Vari Perrot, après cinquante ans de recherches fondées sur la consultation d’archives personnelles et inédites (plus de 500 pages).
L’abbé Yann-Vari Perrot (1877-1943) est une figure intellectuelle et spirituelle majeure de la Bretagne contemporaine. Ses quarante ans de sacerdoce, sa personnalité, son érudition et sa parfaite maîtrise de sa langue natale en font une autorité morale encore reconnue. Face à la IIIe République uniformisatrice, l’abbé Yann-Vari Perrot voulu garder l'identité bretonne, sa langue, ses costumes, ses coutumes,…, convaincu que cette identité est le creuset de la foi catholique en Bretagne. A tel point que l'on pourrait dire, avec un brin d'anachronisme, que l'abbé Perrot est un identitaire avant l'heure. D'ailleurs, comme ceux d'aujourd'hui, il dut batailler envers et parfois contre les autorités religieuses de son époque. Il se démarqua aussi des nationalistes bretons de son époque :
"[I]l y avait un authentique drapeau historique breton, le drapeau à croix noire, en breton "Kroaz-Du". On ne pouvait trouver mieux. Il fut donné en 1095 par le pape Urbain II au duc Alain Fergent pour partir en croisade. En 1099, le duc breton à la tête de ses chevaliers entra dans Jérusalem délivrée, et il hissa au sommet de la mosquée Al-Aqsa l'étendard breton. Par la suite, le Kroaz-Du sera le drapeau de la marine et de l'armée bretonne de la Bretagne souveraine. Après son annexion en 1532, les navires bretons arboreront encore ce pavillon. Bien des villes portuaires de Bretagne se distingueront par ce drapeau à croix noire, comme Nantes, renforcé d'un liseré blanc.
Les jeunes nationalistes n'ignoraient rien de cet historique, mais à cette époque, nous sommes en 1923, l'un de leurs membres des plus dynamiques, Morvan Marchal, adhère au mouvement séparatiste Breiz Atao, imagine un drapeau qui soit une synthèse entre vision ancienne et vision moderne de la Bretagne. Avec des amis, il crée le drapeau à neuf bandes blanches et noires représentant les divers pays de Bretagne. Les hermines rappelant, elles, la Bretagne dans toute sa symbolique. Sa composition ne manque pas d'allure, le drapeau est séduisant, d'autant qu'il reprend les couleurs traditionnelles de la Bretagne, le noir et le blanc. Néanmoins, malgré son esthétisme, il va s'attirer bien des critiques. Le barde Léon Le Berre-Abalor y voyait un "caleçon flottant au vent". D'autres y verront une inspiration du drapeau américain, ce qui n'est pas faux. Plus grave, Morvan Marchal qui se disait franc-maçon et anti-chrétien ne démentira guère que son choix, c'est-à-dire le rejet non-avoué du Kroaz-Du, était motivé par justement cette croix noire. S'il voulait un drapeau qui se démarquât d'un passé ducal, d'un régionalisme, il voulait aussi le démarquer de toute connotation religieuse. Son tour de force est d'avoir réussi à la faire adopter."
Ecrite sous la forme d'une autobiographie, mêlant parfois témoignages et réflexions de l'auteur, ce récit s’articule autour de la vie, de l’oeuvre et du rayonnement catholique et breton de ce fier curé. Après l’enfance et l’éveil d’une vocation, l’auteur aborde la genèse du fameux Bleun Brug (fête des bruyères), créé en 1905 pour promouvoir histoire, traditions, culture et langue celtique. Soutenu par l’Église et plus encore par Albert de Mun, cet événement annuel favorise une vraie renaissance spirituelle et culturelle en pays breton avec la revue Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne) qu’il lance au même moment.
Héroïque brancardier pendant la Grande Guerre, Yann-Vari Perrot s’engage par la suite avec ardeur dans la lutte contre les idéologies destructrices de la foi et des patries : modernisme, athéisme, néopaganisme, laïcisme, jacobinisme et communisme. Sa correspondance avec son évêque largement citée éclaire d’une réflexion profonde tous les cancers qui rongent nos sociétés. En poste à Plouguerneau à partir de 1920, il est muté à Scrignac en 1930, bastion du Parti communiste, par sa hiérarchie qui tente de décourager ses engagements. La Seconde Guerre mondiale et l’Occupation offriront l’opportunité de le calomnier et de l’abattre lâchement au retour de sa messe.
Auteur de très nombreux écrits, vies de saints, articles, pièces de théâtre, prédications familiales, l’abbé Perrot est aussi à l’origine du renouveau de l’académie de Bretagne, de la résurrection de l’abbaye de Landévennec ainsi que du mouvement de restauration des chapelles bretonnes. Il fait partie de la commission d’écrivains qui adopte en 1941 l’orthographe unifiée du breton (peurunvan).