Alors que l’Azerbaïdjan multiplie les violations des droits de l’homme, l’Union européenne (UE) et le Conseil de l’Europe peinent à adopter une réponse ferme. Le rapport de novembre 2024 du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), sur le sort tragique des détenus arméniens, azéris mais aussi français dans les prisons de Bakou, dresse un tableau accablant : tortures, détentions arbitraires, homogénéisation ethnique et répression systématique de la société civile sont le lot quotidien sous le régime d’Ilham Aliyev. Alors que la COP29 s’est tenue à Bakou, la complicité tacite des institutions européennes est mise en lumière. Pourquoi l’Europe reste-t-elle silencieuse ?
Depuis l’accession au pouvoir d’Ilham Aliyev en 2003, prenant la suite de son père Heydar Aliyev au pouvoir entre 1993 et 2003, l’Azerbaïdjan est devenu un État où les droits fondamentaux sont piétinés. Les modifications constitutionnelles successives ont consolidé un régime dynastique, supprimant les limites des mandats présidentiels et augmentant les pouvoirs du président au détriment des autres institutions. En 2016, Ilham Aliyev crée le poste de vice-présidente, qu’il attribue à son épouse Mehriban Aliyeva, poste qu’elle occupe jusqu’à présent. Le pays est classé parmi les États les moins libres du monde par l’indice 2024 de Freedom House, entre l’Afghanistan et la Biélorussie.
Les otages arméniens après le nettoyage ethnique du Haut-Karabakh
En septembre 2023, plus de 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh ont été forcés à l’exil, dans un nettoyage ethnique dénoncé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), le Parlement européen, mais aussi l’Assemblée nationale française. Une centaine d’Arméniens, militaires comme civils, dont des hauts responsables politiques, ont été faits prisonniers et sont gardés en otages par Bakou. Depuis lors, ils subissent tortures et traitements inhumains et dégradants dans les prisons azerbaïdjanaises. Pour les soutenir, l’ECLJ a coorganisé avec Christian Solidarity International une conférence au Palais des Nations à Genève en marge de la 57e session du Conseil des droits de l’homme, le 1er octobre 2024.
Un exemple marquant : Ruben Vardanyan, philanthrope et ancien ministre d’État d’Artsakh. En juin 2024, son avocat a déposé un appel urgent auprès de la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la torture, alléguant des actes de torture et des traitements dégradants tels que l’interdiction de dormir, de boire de l’eau, ou de s’asseoir. Ces pratiques violent les Conventions de Genève et la Convention européenne des droits de l’homme, auxquelles a pourtant souscrit l’Azerbaïdjan. La torture dans les prisons n’est cependant pas nouvelle, comme l’indiquent régulièrement les rapports des Comités contre la torture du Conseil de l’Europe ou de l’ONU.
La répression politique en Azerbaïdjan et les représailles contre la France
Les dissidents politiques azerbaïdjanais ne sont pas épargnés. Gubad Ibadoghlu, économiste critique du régime, a été arrêté en juillet 2023. Sa détention illustre la répression systématique des opposants, souvent sous couvert d’accusations fabriquées. Plus de 300 prisonniers politiques, opposants ou simples militants des droits de l’homme, et 23 journalistes languissent actuellement dans les geôles du pays. Bakou traque même ses opposants réfugiés à l’étranger, comme le blogueur Mahammad Mirzali, poignardé à 16 reprises à Nantes en mars 2021 et qui a miraculeusement survécu, tandis que Vidadi Isgandarli est décédé de ses blessures en octobre 2024 à Mulhouse.
Les citoyens étrangers hors arméniens ne sont pas à l’abri des abus du système judiciaire azerbaïdjanais. Trois ressortissants français sont actuellement arbitrairement détenus à Bakou, où le président français Emmanuel Macron et la ministre française Agnès Pannier-Runacher ont renoncé à se rendre à la COP29 sur fond de tensions diplomatiques à leur paroxysme. Aliyev reproche à Macron son soutien à l’Arménie, tandis que Macron reproche à Aliyev son ingérence dans les territoires ultramarins français, en particulier la Nouvelle-Calédonie. La condamnation en septembre 2024 du Français Théo Clerc à trois ans de prison pour un graffiti (sans message politique) dans le métro de Bakou, alors qu’étaient responsables avec lui un Néo-Zélandais et un Australien qui n’ont écopé que d’une simple amende, illustre bien l’utilisation du système judiciaire azéri comme levier diplomatique contre la France.
Le scandale de la COP29 en Azerbaïdjan et le silence de l’Union européenne, tenue par le gaz azéri
Dans un tel contexte, l’ECLJ s’indigne qu’il ait été donné à l’Azerbaïdjan d’accueillir la COP29, grand sommet international en faveur du climat, en novembre 2024. Et ce, d’autant plus en considérant que les hydrocarbures représentent 90 % des exportations du pays, fournissent près de la moitié des recettes de l’État, et comptent pour environ un tiers du PIB, selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE). La COP29 blanchit doublement l’Azerbaïdjan : d’une part elle lui donne une image trompeuse de responsabilité écologique, et d’autre part elle fait passer au second plan les graves violations des droits de l’homme.
L’Europe ne peut plus se permettre d’être spectatrice. En tolérant les exactions de l’Azerbaïdjan, elle trahit ses propres valeurs et compromet son influence morale. La Commission européenne doit appliquer les sanctions demandées par le Parlement européen et remettre en cause l’accord gazier de 2022. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, qualifiait alors l’Azerbaïdjan de « partenaire fiable ». Elle doit maintenant ouvrir les yeux, tout comme Charles Michel, le président du Conseil européen, qui s’est rendu à Bakou pour féliciter chaudement Aliyev pour l’organisation de la COP. Alors que l’APCE a suspendu la délégation azérie en janvier 2024, le Conseil de l’Europe doit lui aussi sanctionner l’Azerbaïdjan pour ses graves violations des droits de l’homme et l’un des pires bilans en matière d’application des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.