Antoine de Lacoste, de retour de Syrie, raconte sur Boulevard Voltaire :
Depuis l’autoroute Damas-Alep, un petit détour s’impose vers le monastère de Mar Moussa. L’inégalé guide de Georges Pillement (Liban, Syrie et Chypre inconnus) paru en 1971 n’incite guère à la visite :
« Abandonné et bien délabré mais où des pèlerins se rendent encore le jour de la Saint-Moïse, le 28 août. »
Mais depuis, il y a eu l’action étonnante d’un jésuite italien, le père Paolo Dall’Oglio. Étudiant à Beyrouth puis à Damas, il découvre ce site somptueux, devenu inaccessible. Il réhabilite les bâtiments, notamment la chapelle, ornée de belles fresques, et aménage un magnifique et très long escalier qui permet d’accéder au monastère.
Lorsque éclate la guerre, en bon jésuite, il prend le parti de la « rébellion » (terme unanimement employé en Occident pour éviter d’appeler un chat un chat). Il quitte la Syrie en 2012. L’incroyable se produit alors : il revient clandestinement en juillet 2013 et se rend à Raqqa, capitale de l’État islamique, pour négocier la libération d’otages occidentaux. On ne reverra jamais le malheureux et l’on reste confondu devant tant de naïveté. Ah, les jésuites…
L’autoroute M5 qui nous emmène à Alep n’a été que récemment rouverte. Depuis 2012, une longue portion entre Hama et Alep était tenue par les sympathiques sbires d’Al-Nosra (rebaptisé, si l’on ose dire, Hayat Tahrir al-Cham, tant les crimes attachés à Al-Nosra étaient légion). Une offensive de l’armée syrienne, appuyée par l’aviation russe, permit sa libération en février 2020, repoussant les terroristes plusieurs kilomètres à l’est. La banlieue d’Alep fut aussi dégagée, permettant à la ville de ne plus être sous le feu des mortiers islamistes.
La ville peut enfin souffler. Elle a tellement souffert. Les destructions sont monstrueuses. Des rues entières sont jonchées de gravats, des kilomètres d’immeubles réduits à l’état de carcasses fantomatiques. Ce tragique spectacle est d’autant plus poignant que les immeubles non effondrés (criblés de balles tout de même) laissent entrevoir la beauté disparue d’Alep, la plus belle ville de Syrie.
Les combats ont été terribles, on le sait. Les plus beaux souks d’Orient ont été ravagés, les coquettes maisons du quartier chrétien défigurées et pillées. Mais, symbole de victoire, l’antique citadelle se dresse, magnifique sous le soleil. Les islamistes n’ont jamais pu la conquérir malgré des années de siège.
Le mythique hôtel Baron, qui accueillit le gotha mondial, vaut le détour. Fermé depuis 2012, il est resté dans son jus, sentinelle d’un glorieux passé. Même le bar n’a pas bougé, alignant ses bouteilles, et l’on imagine de Gaulle buvant un verre avec Agatha Christie et Lawrence d’Arabie, des habitués du lieu.
Des 300.000 chrétiens, il n’en reste plus que 30.000. Ruinés, pour la plupart. Alep est donc perdue ?
Mgr Jeanbart balaye ce défaitisme. Ses 78 ans et la guerre n’ont en rien entamé son énergie. Le patriarche de l’Église grecque-catholique a fait reconstruire ses bâtiments ravagés. Il célèbre la messe dans une église rénovée et nous fait l’amitié de dire en français une partie de son sermon.
Ce lointain descendant du célèbre corsaire nous reçoit avec affabilité et nous remercie d’être venus en Syrie. Il sait toute la désinformation à l’œuvre en Occident sur cette guerre qui restera le plus grand djihad des temps modernes : « Vos évêques ont été très gentils avec moi : ils m’ont invité en France pour que je m’exprime sur la Syrie. J’ai dit la vérité sur la guerre. » Avec un sourire malicieux, il ajoute : « Alors ils ne m’ont plus jamais invité… »
Mgr Jeanbart croit en l’avenir des chrétiens syriens. Nous doutons un peu : issu d’une famille de douze enfants, il est le seul de ses frères et sœurs à vivre en Syrie. C’est un symbole terrifiant. Mais il garde l’espérance et nous sommes admiratifs. C’est lui qui a raison.
Il faut maintenant laisser Alep la martyre pour aller vers la vallée des chrétiens et le crac des chevaliers.