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Culture

Voter n’est pas un commandement inscrit dans les tables de la Loi

Voter n’est pas un commandement inscrit dans les tables de la Loi

Nous avons interrogé le père Jean-François Thomas à propos de son dernier ouvrage, La France en son âme, que nous avons évoqué ici :

Tout d’abord pourriez-vous présenter aux lecteurs du Salon beige. Nous vous voyons régulièrement dans l’émission Les Belles figures de l’Histoire sur CNews, mais vous avez été, je crois, missionnaire ?

Comme jésuite, j’ai été amené à vivre dans plusieurs pays, soit au cours de ma formation, soit ensuite en effet dans un contexte missionnaire, notamment en Roumanie et aux Philippines. D’abord essentiellement consacré à l’enseignement de la philosophie, je me suis ensuite attaché, toujours dans une démarche spirituelle, à l’action en faveur des enfants pauvres, des enfants des rues et des bidonvilles, ceci en Asie. Depuis mon retour en France, je partage mon temps entre l’écriture, la direction spirituelle, la distribution des sacrements dans le rite antique. L’important n’est jamais ce que l’on fait. S’identifier totalement à une tâche ou une mission en particulier est très dangereux car il existe alors des risques de vanité, de superficialité ou d’activisme, travers si répandus dans le clergé. Je préfère la souplesse qui est la caractéristique de la vocation dans la Compagnie de Jésus, saint Ignace de Loyola ayant compris très tôt la nécessité de répondre aux besoins de la sainte Église tels que définis par le Souverain Pontife.

Dans votre ouvrage, vous semblez condamner toute participation électorale. Faut-il réellement cesser de voter et fuir tout engagement politique ?

Mon engagement n’est pas politique, pas plus que ma réflexion, sans doute rapide. Beaucoup de voix aujourd’hui dans l’Église affirment que de ne pas voter est un péché mortel. Il ne me semble pourtant pas que ce commandement soit inscrit dans les tables de la Loi ancienne ou nouvelle. Un vote serait utile s’il s’agissait de choisir le bien contre le mal. Or, de nos jours, tous les partis politiques se retrouvent opposés à ce qui, pour un catholique, est non négociable, notamment le respect absolu de la vie humaine de sa conception à sa fin naturelle. Le fait que le régime républicain, de façon unanime, ait inscrit dans la Constitution l’avortement comme un droit inaliénable est un motif suffisant pour ne pas entrer dans le labyrinthe électoral. Je suis très bloyen lorsqu’il écrit que « le suffrage universel c’est l’élection du père de famille par les enfants. » (Le Vieux de la montagne) Cela n’empêche pas bien sûr l’engagement au service du bien commun, sans pour autant être élu et sans épouser les vices d’un système pervers. Bernanos parlait de ces acteurs politiques comme « de petits prélats intrigants, d’une bassesse à écœurer. » (L’Imposture). Il y a risque de perdre son âme en se jetant dans cette fosse à crocodiles.

Vous qualifiez la démocratie de nouvelle religion. Ne peut-on donc pas être catholique et démocrate (ou démocrate-chrétien) ?

Tout dépend de la définition et du contenu de la démocratie. La démocratie athénienne et les républiques de Venise ou de Gênes sont bien éloignées de la démocratie héritée de la Révolution ou des démocraties populaires de Chine ou de Corée du Nord. La démocratie est un fourre-tout et elle affiche désormais des promesses trompeuses. Là encore, je résonne avec Bernanos : « Lorsqu’un grand Roi, devant toute sa cour, fait signe à la servante de venir s’asseoir avec lui sur son trône, ainsi qu’une épouse bien-aimée, il est préférable qu’elle n’en croie pas d’abord ses yeux, ni ses oreilles, et continue à frotter les meubles. » (Dialogues des Carmélites) Quant aux « démocrates-chrétiens », leur sort a été vite réglé dans les pays où ils furent un temps puissants, comme en Italie ou en Allemagne : ils ont été peu à peu parasités et ont perdu toute ferveur chrétienne, ne défendant plus aucune vertu mais épousant le monde ambiant.

Dans un entretien récent, Mgr de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, déclare que “le Christ n’a pas fondé l’Eglise catholique pour créer des Etats catholiques, ni même une société catholique”. Qu’en pensez-vous ?

Un évêque peut avoir des opinions personnelles mais ces dernières n’ont pas force de foi. À lire la prédication publique de Notre-Seigneur, il ressort pourtant bien que le Sauveur nous demande de transformer le monde en évangélisant et en baptisant. Il est le Christ Roi et tout lui appartient. L’Église est justement cet « État catholique » que le Maître a bien fondé, comme le rappelle en d’autres termes Pie XI dans Quas primas, l’encyclique sur le Christ-Roi. Et Léon XIII, dans Annum sacrum, avait déjà précisé : « Son empire [du Christ] ne s’étend pas exclusivement aux nations catholiques ni seulement aux chrétiens baptisés, qui appartiennent juridiquement à l’Eglise même s’ils sont égarés loin d’elle par des opinions erronées ou séparés de sa communion par le schisme; il embrasse également et sans exception tous les hommes, même étrangers à la foi chrétienne, de sorte que l’empire du Christ Jésus, c’est, en stricte vérité, l’universalité du genre humain. » Pour que cet empire demeure et croisse visiblement, des générations de chrétiens, dans les siècles passés, ont bien compris qu’il fallait mettre la main à la pâte en essayant de donner à leurs pays, à leurs royaumes, des structures et des lois qui les transforment en « société catholique ». Tels furent, par exemple, le royaume des Francs créé par Clovis le baptisé catholique, l’empire de Charlemagne, le siècle de saint Louis etc. Aucune société n’est parfaite, mais certaines ont essayé d’échapper le plus possible à la médiocrité et au mal en vivant des principes catholiques. Considérer que seul César doit régner n’est pas conforme à ce que Dieu veut. Et faire son deuil d’une société chrétienne, par lâcheté, par souci de se conformer au monde et de rendre à César ce qui est à César n’est jamais digne d’un disciple qui ne doit servir que le Maître.

Jean-François Thomas s.j.

Vendredi IVe semaine de Carême

4 avril 2025

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