Suite à ce qui a été appelé l’affaire Mila, suite à la saillie (!) concomitante de Mme Belloubet [lors d’une de leurs manifestations récentes, des avocats chantaient sur l’air de Pirouette/cacahuète : Pirouette, Belloubette – à moins que ce ne fût Pirouette-Belle-ou-Bête..], suite aussi au dossier que l’hebdomadaire France Catholique a de ce fait consacré au blasphème (7 février 2020), il a paru intéressant de rapprocher quelques considérations sur ce sujet concernant judaïsme, catholicisme et islam.
Le blasphème, selon le dictionnaire Larousse, est une parole ou un discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré ; le blasphème étant à distinguer du sacrilège : le premier consiste en paroles, le second en actes.
Un article publié en 2012 sur le site du CRIF fournit deux éléments d’une approche juive du blasphème proposée par le rabbin Rivon Krygier. Tout d’abord, c’est une constante évolution vers un adoucissement de la peine préconisée face au blasphème, depuis les temps bibliques pendant lequel le châtiment réservé au blasphème pouvait prendre la forme de la peine capitale la plus infâmante, à savoir la lapidation. On rappellera que la date d’écriture du Lévitique (24,16) est estimée entre -1400 et -1000 avant notre ère, soit entre 1600 et 2000 ans avant le Coran.
Le châtiment encouru va progressivement s’amenuiser, jusqu’au 9ème siècle de notre ère où « on ne parle plus de peine capitale dans les juridictions, mais de hèrèm, de la mise au ban du blasphémateur ». Et encore faut-il qu’il y ait une juridiction juive. Enfin viennent le siècle des Lumières et l’émancipation des juifs au XIXe siècle :
« Pour dire les choses nettement, le blasphème ne fait plus scandale car la sacralité religieuse n’est plus le référentiel commun, le fondement de la société. Dès lors, le discours religieux n’est plus en position d’être imposé mais proposé. Je citerai ici un grand maître du 20° siècle, le rabbin Abraham Isaac Kook : Les véritables justes n’élèvent pas leurs plaintes contre l’iniquité, mais instaurent la justice ; ils n’élèvent pas leurs plaintes contre l’hérésie, mais confortent la foi ; ils n’élèvent pas leurs plaintes contre l’ignorance mais propagent la sagesse ».
Le deuxième élément semble être, au final, une intériorisation de la culpabilité associée au blasphème, un peu comme si la charge de la responsabilité avait basculé vers le juif lui-même :
« Le peuple juif pour sa part s’est habitué à absorber la critique de la religion à travers des formes humoristiques d’autodérision. Et l’humour dédramatise et désamorce les violences. Au fond, en notre temps désormais, la vraie question d’un point de vue religieux n’est pas tant qu’est-ce qui entre dans la définition stricte du blasphème, mais quelle est la réaction adéquate face à ses déclamations diverses. La vraie question n’est pas qui est l’impie ou le profanateur, mais qui est le religieux, celui qui est censé, malgré toutes les faiblesses humaines, porter les valeurs de justice et d’humanité enseignées dans sa religion. On ne force le respect, de Dieu et de la religion, que parce que l’on agit et réagit dans le respect ».
A propos du catholicisme, deux aspects ressortent du dossier proposé par France Catholique.
Le premier est d’ordre théologique et s’appuie sur la Somme Théologique de St Thomas d’Aquin :
Le blasphème est un péché mortel, non pas du point de vue d’une logique de l’interdit ou du tabou, mais parce qu’il sépare l’homme de ce premier principe de vie spirituelle qu’est l’amitié de Dieu. Il porte à son extrême le péché d’infidélité.
Ainsi, le catholicisme ne définit pas un délit, mais un péché. Et cette notion est constante dans la doctrine catholique (La Somme théologique a été écrite au 13èmesiècle).
Le second aspect est l’articulation avec la loi civile. Un Abbé Loiseau commente le fameux « Ne pas haïr son ennemi » et l’attitude des catholiques à l’égard de ce qui est enregistré comme actes antichrétiens : quand le Christ invite à tendre la joue gauche, il invite à renoncer aux réactions passionnelles et à la vengeance personnelle, mais cela n’interdit pas la vertu de justice. Nous devons être capables d’appliquer la justice temporelle quand le droit a été lésé (en usant donc des lois de la République française). Et l’Abbé continue :
« Face à la prolifération des actes de provocation et de haine antichrétienne, nous avons pris dans l’Eglise en France une attitude qui ne me semble pas juste, une espèce de fausse humilité spirituelle, qui devrait nous pousser à toujours courber l’échine et à ne jamais réagir. Bien sûr, le chrétien doit refuser la haine et l’idéologie, mais il a le devoir de dénoncer une culture profondément antichrétienne qui présente deux aspects principaux : un islamisme violent et une idéologie libérale profondément antichrétienne ».
Et l’islam ? On a parlé d’humour juif, y a-t-il un humour musulman ? La réponse est oui. Si, si. En effet, un article du journal La Croix titré : « Que dit l’islam du blasphème ? », commence par la citation suivante de Tareq Obrou, imam à la mosquée de Bordeaux :
« La notion de blasphème n’a pas d’équivalent en islam ».
Et l’humour continue avec un certain Dr Mustafa Baig, enseignant en études islamiques dans une université anglaise, intervenu en 2013 lors d’une table-ronde sur la liberté d’expression et le blasphème à Aix-en-Provence. Dans son intervention, il précise, en cas de blasphème (NDLR : tiens, ça existerait donc ?),
« il est nécessaire que soit en place une autorité détenant le pouvoir exécutoire (nifaaz). Cela n’existe pas dans les territoires non-musulmans. Il n’est donc pas question que les lois islamiques concernant le blasphème soient appliquées ici en Occident ».
Bien évidemment on a couru annoncer ces bonnes nouvelles à Salman Rushdie, Asia Bibi et aux mânes des journalistes de Charlie Hebdo et des policiers chargés de leur protection.
Le blasphème existe bien sûr dans l’islam et est le plus souvent associé à l’apostasie, elle-même passible de la peine de mort selon la charia. Et le blasphème n’est pas du domaine du péché, ni son analyse du domaine du théologien, ni le châtiment du domaine du confesseur : le blasphème est du domaine du délit et son analyse et le châtiment associé du domaine du juriste et du juge.
Donc, il n’y a que dans l’islam que l’acte considéré blasphématoire peut actuellement entraîner quasi-mécaniquement (comme si bien démontré dans l’affaire Mila) passion exacerbée, menaces, violences, exécutions, application de la charia dans les pays islamiques ou demande répétée de loi contre l’islamophobie dans les pays non encore chariatisés.
Et d’ailleurs, Anastasia Colosimo, enseignante en théologie politique, donne une explication parfaitement éclairante dans son livre Les bûchers de la liberté, paru en 2016. Elle y montre comment le blasphème a généralement été un concept récupéré par la politique plutôt qu’un problème théologique grave [NDLR : elle explique aussi de façon intéressante comment la loi Pleven, à la fois par la notion d’appartenance à une religion, et par l’autorisation faite aux associations de porter plainte au nom d’une communauté, a été facteur d’aggravation du communautarisme]. Or, l’islam est tout à la fois une législation et une foi ; une politique et une religion.
De ce fait, il y a, en raison de cette stratégie de l’intimidation par la violence musulmane à l’égard du blasphème, l’usage de plus en plus reconnu de l’autocensure dans nombre de pays occidentaux. Même pas nécessaire de parler de caricatures : en 2006 [NDLR : soit 9 ans avant le massacre de Charlie Hebdo], Abdelwahab Meddeb, écrivain, auteur notamment de La Maladie de l’islam paru en 2002, rapportait la situation suivante dans un article du Monde :
Question : Êtes-vous d’accord avec l’autocensure artistique liée à la peur de représailles extrémistes ?
Réponse d’Abdelwahab Meddeb : « J’en ai été moi-même victime. En France, cet état d’esprit commence à s’installer, ce qui est très grave. Mais il est déjà en acte dans les pays anglo-saxons, en raison de leur tradition multiculturaliste et du politically correct que cela exige.
Je voulais pour mon dernier livre avoir comme couverture une très belle image d’une peinture musulmane du début du XIVe, et qui montre pour la première fois en islam l’image du Prophète. Une très belle image d’un Prophète en pleine méditation philosophique, angoissé, comme le dit le récit traditionnel, quand il reçoit pour la première fois l’ange Gabriel qui va lui dicter le Livre…
Cette peinture est conservée à la bibliothèque de l’université d’Edimbourg, Or voilà que les conservateurs de la bibliothèque ont refusé de nous donner les droits de reproduction. Les raisons qu’ils ont évoquées sont doubles : 1) on ne veut pas recevoir de bombe sur la tête ; 2) nous respectons nos amis musulmans qui n’aiment pas cette image ».
Et qu’en serait-il si l’islam n’était pas une religion de tolérance et de paix…..