De Jean-Pierre Maugendre :
Fondée en 2005 par l’abbé Fabrice Loiseau, la Société des Missionnaires de la Miséricorde divineest une société de vie apostolique au diocèse de Toulon-Fréjus. Ses trente membres vivent et témoignent de la miséricorde divine à l’école de sainte Faustine Kowalska, célèbrent habituellement la messe romaine traditionnelle et ont pour vocation particulière la prédication de l’Evangile aux musulmans. Cependant, alors que les ordinations ont repris au diocèse de Toulon, suite à la nomination d’un évêque auxiliaire aux pouvoirs élargis, Mgr François Touvet, six séminaristes de la communauté sont toujours bloqués aux ordres. Le litige porte sur le rite de l’ordination lui-même (ancien ou nouvel ordo) et sur la possibilité pour les futurs prêtres de célébrer, ensuite, la messe romaine traditionnelle, conformément à leurs constitutions. Le dicastère compétent à Rome se montre inflexible et la situation est bloquée, sans égards pour le scandale absolu et la souffrance que représente, pour les futurs ordinands, leurs familles et leur amis cette interdiction. Imagine-t-on des fiancés attendre deux ans le bon vouloir d’on ne sait trop quelle autorité pour se marier ?
Une situation étrange
Il faut avouer que nous vivons une situation bien étrange et mystérieuse.
La Fraternité Sacerdotale Saint Pie X aux relations historiques complexes avec le Saint-Siège et incontestable poids lourd de la Tradition poursuit son développement et s’installe, où elle le souhaite, sous réserve qu’il y ait une demande effective de fidèles. Ses prêtres, selon la lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 27 mars 2017, disposent des pouvoirs, que doivent leur accorder les ordinaires, pour célébrer les mariages et cela dans les églises de leur choix.
Les communautés ex Ecclesia Dei, de droit pontifical, paraissent tributaires des évêques diocésains qui peuvent révoquer, quand ils le souhaitent, les conventions qui lient les diocèses aux dites communautés. C’est dans ce cadre que la Fraternité Saint Pierre vient d’être expulsée du diocèse de Quimper-Léon. Une autre jurisprudence est cependant en train d’apparaître : les prêtres des communautés ex Ecclesia dei peuvent célébrer la messe et donner les sacrements (mariages et baptêmes) mais uniquement dans les lieux où cette messe est célébrée habituellement et uniquement pour leurs ouailles. Les mariages et les baptêmes selon la forme traditionnelle deviennent ainsi impossibles dans les églises paroissiales. Dans certains diocèses le sacrement de confirmation ne peut plus être conféré que selon le rite réformé. Ces communautés peuvent cependant continuer à voir leurs prêtres ordonnés selon le rite traditionnel.
Les Missionnaires de la Miséricorde, de droit diocésain, constituent, à eux seuls une catégorie à part. Le fondateur de la communauté, l’abbé Fabrice Loiseau, concélèbre régulièrement avec l’évêque, ses fidèles participent aux grands évènements diocésains, les mariages sont célébrés selon le nouveau rituel, l’herméneutique de la continuité est au cœur de la prédication, les séminaristes sont intégrés au séminaire diocésain de la Castille et y participent à la messe. Résultat : six séminaristes sont retardés sine die pour recevoir le diaconat ou l’ordination. L’un d’entre eux attend depuis près de deux ans. La Congrégation pour le Culte divindemande aujourd’hui aux séminaristes de signer une lettre affirmant qu’ils s’en remettent à la décision de l’Eglise qui leur permettra de célébrer, ou non, la messe traditionnelle. Les Missionnaires ont refusé. Les mesures prises récemment à l’encontre des dominicaines du Saint-Esprit (voir Dominicaines duSaint-Esprit. Tout ça pour ça !), invitées à adopter une semaine sur quatre le rite réformé, ne les ont pas encouragés à accepter de signer ce blanc-seing. Notons de plus que les constitutions des Missionnaires de la Miséricorde, approuvées définitivement par l’Eglise en juillet 2021, quelques jours avant le motu proprio Traditionis custodes,précisent que les ordinations seront effectuées dans le rit traditionnel.
Des arguments spécieux
Les autorités romaines et Mgr Touvet argumentent que les Missionnaires de la Miséricorde étant de droit diocésain ils ne sauraient bénéficier des dispositions prises au bénéfice de la Fraternité SaintPierre, de droit pontifical, par le pape François dans une lettre du 11 février 2022. Or le fait est que cette distinction spécieuse n’est mentionnée dans aucun texte qui traite de cette question. Ainsi les bénédictins de l’Immaculée en Italie et les religieux de la Sainte Croix de Riaumont, en France, les uns et les autres de droit diocésain, viennent-ils de bénéficier d’ordinations sacerdotale ou diaconale. Où se trouve le droit ? Sommes-nous dans le règne de l’absurde et de l’arbitraire ? Où sont les promesses de l’Eglise et le respect des constitutions d’une communauté approuvée par l’Eglise ?
Paradoxalement les Missionnaires de la Miséricordeconstituent la communauté, attachée à la messe traditionnelle, qui est allée le plus loin dans l’intégration à la vie de l’Eglise diocésaine. Elle est aussi la plus punie. Cela, alors que la mort lente de l’Eglise en France se poursuit par disparition progressive du sacerdoce catholique. En 2024 il reste en France 7 000 prêtres diocésains actifs (moins de 75 ans) dont 1/3 – soit entre 2 et 3 000- sont des prêtres Fidei donum, c’est-à-dire des prêtres africains. Ces prêtres diocésains étaient 40 000 dans les années 1960.
Un évêque obéissant
Mgr Touvet n’est pas l’héritier spirituel de Mgr Gaillot. Issu d’une famille d’officiers de marine il a lui-même fait son service militaire à l’école des Fusiliers marins de Lorient après avoir été Scout d’Europe. Il a, semble-t-il, reçu du nonce à Paris, Mgr Migliore, la mission de normaliser la situation du diocèse de Fréjus-Toulon, c’est-à-dire d’y réduire, voire supprimer, la place des communautés traditionnelles. Mgr Touvet mène à bien, a priori sans états d’âme et en bon soldat, la mission qui lui a été confiée. Il a la légitimité et l’obéissance dans le sang, ce qui nous renvoie à la truculente tirade de Maurice Biraud dans « Un taxi pour Tobrouk » : « Mon père est un homme qui a la légalité dans le sang. Si les Chinois débarquaient il se ferait mandarin. Si les nègres prenaient le pouvoir il se mettrait un os dans le nez. Si les Grecs… Oui, enfin passons ». Si cette attitude est celle d’un zélé fonctionnaire, laïc ou ecclésiastique, elle semble loin de la responsabilité première de l’évêque qui est celle d’être le père de son diocèse. Puisque Mgr Touvet est fusilier marin et féru d’obéissance nous nous permettons de lui rappeler que c’est au péril de leur carrière et contre les ordres officiels que des officiers de la DBFM (Demi-Brigade de Fusiliers-Marins) rapatrièrent en métropole un millier de harkis et leur famille en juin 1962. Ceux qui étaient restés sur place furent massacrés. Qu’aurait fait Mgr Touvet en de telles circonstances ? Obéi ou résisté à des ordres manifestement injustes et criminels ? Le salut des âmes ne vaut-il pas autant, si ce n’est plus, que le salut des corps. Le plus curieux est que Mgr Touvet a su montrer de l’indépendance quand il s’est démarqué de Fiducia Supplicans en refusant la bénédiction des couples homosexuels.
L’inquiétude ne porte pas uniquement sur les Missionnaires de la Miséricorde mais aussi sur les autres lieux de cultes traditionnels qui semblent menacés par une application stricte de Traditionis custodes. Déjà la communauté saint Tarcisius de l’abbé Trézière a été dissoute, l’abbé Campo, chancelier du diocèse, a été démis de son poste. Sont en péril : l’abbé Forestier à Carnoule, les abbés Ansaldi à Olioule, l’abbé Lambillote à Fréjus. Plus sombre encore paraît l’avenir du séminaire de la Castille. La messe traditionnelle n’y est plus célébrée et l’abbé Dubrule, supérieur des Missionnaires de la Miséricorde, a dû quitter son poste de Préfet des études. Le nombre de séminaristes a diminué, ils ne sont plus qu’une trentaine et, pour la première fois depuis quarante ans, il n’y a eu aucune entrée en propédeutique en septembre 2024 alors que les Missionnaires ont eu quatre entrées. Prions pour que Mgr Touvet dans un sursaut de courage et de réelle paternité ne mérite jamais, au vu des désastres qui s’annoncent, le triste constat qui pourrait être ainsi formulé : Tout ce que Mgr Touvet fit, il le fit non pas par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au pape, par soumission à l’ordre, par respect pour l’Eglise. Bref, en homme de devoir mais en définitive en simple exécutant. Et c’est justement cela qui fait frémir.
Jean-Pierre Maugendre