De Bernard Antony :
La ménagerie croassante et jacassante de toute la chienlit médiatique s’est à nouveau livrée ces dernières heures à un concert de vertueuse indignation contre Eric Zemmour, coupable une fois encore d’avoir enfreint les lignes jaunes du politiquement correct.
L’excellent chroniqueur, victime de l’inquisition du CSA (Censure Sans Appel ?) a en effet émis l’offense à la bienpensance obligatoire de dire que s’il ne se prononçait pas pour le rétablissement de la peine de mort il en avait regretté l’abolition. Et d’ajouter qu’il était « philosophiquement pour » ; ce que je partage et je vais y venir.
Mais en rappelant tout de suite combien j’ai encore apprécié hier dans l’émission de Pascal Praud les pertinents et incisifs propos de Gilles-William Goldnadel, le président d’ « avocats sans frontières ». Ce dernier a évoqué l’incongruité des idéologues abolitionnistes ne disant mot de la pression des fanatiques de l’avortement pour que la vie des enfants à naître puisse être supprimée jusqu’au… neuvième mois de grossesse ! Autrement dit, la légalisation de l’infanticide.
La seule objection, compréhensible, de Gilles-William Goldnadel à la peine de mort est le risque d’erreur judiciaire. Soit. Mais il y a des cas où il n’y a aucun risque d’erreur ! Ainsi de celui d’Eichman dont il a d’ailleurs rappelé la légitimité de l’exécution !
Et il n’y eut par exemple aucun risque d’erreur dans la condamnation à la plus haute peine de Pierre Bodein, l’assassin tortionnaire de la petite Jeanne-Marie Kegelin.
Par avance donc, j’admets que dans l’éventualité (peu plausible en ce moment, mais tout peut changer !) d’un rétablissement de la peine capitale, il faudrait qu’elle ne puisse être prononcée que dans pareils cas de culpabilité irréfutable ne souffrant aucune objection.
Puisqu’en effet, mieux vaut mille fois ne pas condamner que de risquer de tuer un innocent.
En entendant Eric Zemmour évoquer son adhésion de nature philosophique à la peine de mort, je me suis remémoré le grand et poignant témoignage d’un des grands écrivains, penseurs et religieux du siècle dernier que j’admire le plus, malgré, disons, ses originalités : le père dominicain Raymond-Léopold Bruckberger.
« Bruck », comme l’appelaient familièrement ses proches, fut souvent nommé aussi « l’aumônier de la Résistance ».
Mais avant cela, il s’illustra dans la guerre, au sein d’un Corps franc sous les ordres du magnifique combattant Joseph Darnand, fantastique héros de la I° guerre en 1918, qui devient -à la vie à la mort- son ami. Blessé à Chantilly, fait prisonnier, Bruck s’évade tout comme Darnand qu’il retrouvera à Nice. C’est alors que les deux frères de combat vont tragiquement se séparer. « Bruck » qui est rentré dans la Résistance va, en vain, essayer de dissuader Darnand qui, à l’appel du Maréchal, va s’engager dans la Milice naissante dont il deviendra le chef.└
À son ami, devenant désormais son ennemi, Bruck, dans une encore fraternelle et déchirante séparation, va dire prophétiquement : « Si vous continuez dans cette voie, vous passerez en Haute Cour pour trahison, vous serez fusillé et je serai assez con pour vous défendre ».
Et c’est ce qui se passa.
Mais en 1942, Bruck, arrêté par la Gestapo, ne va pas bien comprendre comment il ne va être condamné qu’à cinq mois de prison. Ce n’est qu’après la Libération, comme il le raconte dans son livre poignant, « Nous n’irons plus au bois » qu’il apprendra que ce fut sur l’intervention de Darnand.
Mais ce dernier, jusqu’à sa mort au poteau, eut à l’honneur de ne jamais lui en dire mot.
C’est le général de Gaulle qui avait tenu à doter la Résistance d’un aumônier général et voulu que ce soit le père Bruckberger alors dans la clandestinité.
Bruck fut alors officiellement nommé « aumônier des Forces françaises de l’intérieur » : et c’est lui qui, en octobre 1945, vint parler en Haute Cour pour Darnand, comme il le lui avait promis, et qui vint chaque jour le visiter et prier avec lui dans sa cellule et qui l’accompagna, tel sainte Catherine de Sienne auprès de Nicolas Tuldo, jusqu’à sa dernière minute.
S’il y eut donc un homme, et un chrétien à côtoyer la mort, la tragédie de la peine de mort, ce fut bien le père Bruckberger. Et c’est lui encore qui, dans l’appendice III de “Nous n’irons plus au bois” démolit alors, avec tout son talent, tous les arguments usuels en faveur de la peine capitale : celui de la juste vengeance, la théorie de l’exemple…
Et pourtant, c’est lui qui écrira en 1985 un livre allant totalement à l’encontre de la doxa abolitionniste tout simplement titré « Oui à la peine de mort ! ».
Les arguments du père Bruckberger ne relèvent pas exactement de ceux qu’il démolissait en 1948 dans son sublime « Nous n’irons plus aux bois ». Sans doute a-t-il évolué. À la Libération il est vrai, lui, le grand résistant qui avait échappé à la peine capitale, eut le cœur soulevé non seulement par les insupportables scènes de lynchage, par les vengeances atroces, par les règlements de compte mais aussi par les condamnations à mort. Il est alors totalement hostile à la peine de mort. Mais déjà, alors qu’il a donné le meilleur de lui par son témoignage pour que soit épargné le peloton d’exécution à son ennemi malgré tout demeuré son ami, il n’invoque pas l’injustice de la peine capitale, il émet simplement alors qu’elle devrait être appliquée selon que les criminels aient agi par passion ou misérablement par intérêt.
Mais au fil des ans, la réflexion de Bruck l’a conduit à prendre une position radicalement contraire de celle du Garde des Sceaux, l’abolitionniste Badinter.
Par philosophie, dirait Zemmour.
Pas exactement, pas vraiment. Tout simplement, nous le verrons, par méditation de l’Évangile !
Mais d’abord, il assène ceci à Badinter : « …Vous transférez instinctivement sur la société la responsabilité de tout ce que les hommes peuvent faire de mal ou de criminel. Le paradoxe d’un gouvernement socialiste est qu’il veut amender, éventuellement punir la société au lieu d’amender et de châtier les hommes qui commettent des crimes».
Mais c’est dans l’exemplarité évangélique que le père Bruckberger a puisé non seulement la légitimation en certains cas de la peine capitale mais même la réflexion sur sa grandeur.
Il nous amène à la Passion du Christ, à la Crucifixion, au comportement des deux brigands crucifiés avec lui.
Extrayons ces lignes : « … L’un des malfaiteurs, qui étaient crucifiés avec Jésus, l’insultait : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et nous avec toi ! ». Mais l’autre brigand éleva la voix pour le faire taire : « Tu n’as donc aucune crainte de Dieu, toi qui endures le même supplice ? Pour nous, justice est faite : nos actes ont mérité le châtiment que nous subissons. Mais lui, il n’a rien fait de mal… ! ».
Et il dit à Jésus : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans l’éclat de ton Royaume ! ».
JÉSUS – « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis ! ».
Il s’adresse ensuite à son ami Albert Camus profondément abolitionniste : « Voyons, mon cher Camus, s’il y a des chrétiens abolitionnistes de la peine de mort, ils doivent avoir un patron dans l’Évangile. Je crois avoir trouvé ce patron, c’est le mauvais larron. Que veut le mauvais larron ? Avant tout et uniquement, sauver sa peau, sa misérable peau temporelle. Il a la chance d’être crucifié avec un type qui a fait des miracles. Qu’attend-il pour en faire un de plus, il y a urgence. « Puisque tu es Christ et messie, sauve-toi, sauve-nous ! ». La justice ? Il n’y pense pas. L’essentiel est pour lui d’échapper au châtiment, d’échapper une fois de plus. Il est bien mal tombé. »
Extrayons ensuite, plus loin, ces lignes : « Voici le bon larron. Ce fut un bandit redoutable, le voici parvenu au terme de son destin, il ne menace plus personne, pour lui tout finit comme il se devait : « Justice est faite, dit-il. Nos actes nous ont valu le supplice que nous subissons !».
Le père Bruckberger poursuit : « Cet homme rejeté par la Cité de Dieu ; cet excommunié devient le concitoyen du peuple innombrable des saints, seul et unique saint canonisé par Jésus-Christ ; cet homme sans toit va mourir sous l’aile des chérubins ; cette nuque sans lit va se reposer sur le sein de la miséricorde divine. Une main essuiera sur son visage la sueur de la mort et une voix dira à son oreille : « Enfant, souris ! Je suis ton Père ! ».
Naturellement, dans une société laïque, à la manière de la nôtre, la raison tirée de l’Évangile ne saurait suffire pour fonder le rétablissement de la plus haute des peines.
Du moins, son rappel devrait-il suffire à prouver l’inconsistance du raisonnement prétendument évangélique pour en justifier le refus. Le fait que le pape François ait fait supprimer du catéchisme de l’Église catholique la mention de la légitimité de son application par les États pour punir les crimes les plus atroces n’y change rien. Cela n’a pas valeur de dogme !
C’est en effet un alignement sur ce que notre ami le professeur de droit Jean-Louis Harouel a nommé un « humanitarisme anti-pénal » dans son ouvrage « Libres réflexions sur la peine de mort ». Comme il le développe, la peine capitale constituait en effet « la clé de voûte d’un système pénal fondé sur l’idée de responsabilité. Au lieu de quoi, sa suppression a frayé la voie à une perversion de la justice – l’imposture de la perpétuité de vingt ans ! – au profit des criminels et au détriment de la sécurité des innocents ».
Car, bien sûr, la peine de mort ne saurait s’appliquer qu’à des êtres qui, par l’horreur de leurs crimes, se sont eux-mêmes dépossédés de leur droit à la vie.
Ajoutons enfin qu’aujourd’hui, au-delà des divers aspects de la justification philosophique ci-avant rappelée, mentionnée par Éric Zemmour, elle devrait s’imposer en considération d’une nécessité de bon sens de défense des personnes.
En effet, la détention à perpétuité étant fort peu prononcée et encore moins appliquée, et le nombre des terroristes incarcérés devant être libérés un jour allant grandissant, ce sont toujours plus des récidivistes du terrorisme que va sécréter notre système judiciaire. Un prétendu humanisme ne sert en fait qu’à multiplier les assassins qui, eux, n’aboliront pas la peine de mort !