Partager cet article

France : Laïcité à la française / L'Eglise : L'Eglise en France

1 000 Raisons de croire, en festival à Nice

1 000 Raisons de croire, en festival à Nice

Du 4 au 12 octobre, le Festival 1 000 Raisons de croire est organisé à Nice en co-production avec le magazine 1000 raisons de croire. Il se tient autour de deux grandes fêtes niçoises : la fête de Sainte Réparate, patronne de la ville et la fête de Notre-Dame du Rosaire.

Cette semaine se tient, à Nice, la première édition de 1 000 Raisons de croire, rouage d’un vaste plan d’évangélisation piloté par l’entrepreneur Olivier Bonnassies, proche du frère de Vincent Bolloré. Le soutien apporté par la municipalité de Christian Estrosi est dénoncé par l’opposition comme une entorse à la laïcité, pointant la démarche prosélyte de l’événement.

En le contactant au sujet de 1 000 Raisons de croire, on devine une petite gêne au sein du service de presse de la mairie de Nice. Ce festival qui tient sa première édition du 4 au 12 octobre revendique un « haut patronage » de la ville… que la communication municipale se presse d’infirmer. « Il n’y a pas de haut patronage », nous certifie-t-on. Mais à tout le moins un soutien appuyé, à commencer par la mise à disposition de la Maison de la métropole de Nice, dans les beaux quartiers de Paris. A deux pas des Invalides, les organisateurs, Frédéric Bard et Olivier Bonnassies, tenaient une conférence de presse, lundi 29 septembre, pour présenter ce festival destiné à faire « découvrir la fécondité extraordinaire du christianisme, qui est une part essentielle de notre histoire et de notre culture ».

Les dates de l’événement n’ont pas été choisies au hasard : 1 000 Raisons de croire relie deux célébrations chrétiennes, la fête de la Sainte-Réparate – la martyre du IIIe siècle est la patronne de la ville de Nice – et celle de Notre-Dame-du-Rosaire. Au programme, huit concerts pour montrer « la richesse de la scène musicale chrétienne », qui permettront, entre autres, de savourer « les plus beaux Ave Maria du répertoire » et une interprétation de Natasha Saint-Pier consacrée à Thérèse de Lisieux ; vingt et une conférences sur « les raisons de croire », où est notamment programmé l’écrivain à succès Eric-Emmanuel Schmitt ; un village accueillant des artistes et vingt monastères, ainsi qu’une exposition en forme de parcours invitant à découvrir 500 « raisons de croire », qui égrène des prophéties et autres miracles ; et aussi un concours artistique organisé avec dix classes de l’enseignement catholique privé, dont les élèves créeront des œuvres autour de ce qui motive leur foi.

Ce programme XXL, essentiellement gratuit, qui espère attirer 3 000 personnes, n’aurait pas été possible sans l’aide bienveillante de la ville de Nice. Location à prix d’ami du palais des congrès flambant neuf OcéaNice, mise à disposition du sublime écrin du Centre universitaire méditerranéen (CUM) sur la promenade des Anglais, affichage publicitaire sur les tramways et les Abribus, coup de main pour la sécurité… Autant de largesses municipales qui n’ont rien à voir avec un soutien officiel, insiste la mairie : il s’agit d’une « aide indirecte », surtout pas d’une « subvention ». Laquelle faisait formellement l’objet d’une délibération lors du conseil municipal qui s’est tenu mercredi 1er octobre, noyée au milieu des 132 autres à l’ordre du jour. Celle-ci évalue officiellement à 15 000 euros l’aide apportée par la ville. Adoptée sans suspense, la délibération a tout de même fait l’objet d’une protestation de la présidente du groupe écologiste, Juliette Chesnel-Le Roux, s’élevant contre le financement d’un « prosélytisme religieux ».

« Moi, j’ai 10 000 raisons de croire ! »

« On se situe clairement dans une rupture de laïcité, car ce festival a ouvertement pour but de promouvoir la foi chrétienne », s’indigne auprès du Monde la future tête de la liste commune de gauche (Parti socialiste, Parti communiste, Les Ecologistes) aux élections municipales de 2026. Son groupe entend saisir le préfet pour non respect de la loi de 1905. La majorité, elle, plaide pour une aide à un événement culturel, s’appuyant sur le statut de l’opérateur juridique du projet, l’association Festival 1 000 Raisons de croire, dont les statuts déposés en février déclarent une activité en « arts du spectacle vivant », sans mention cultuelle. Du haut de sa tribune, Christian Estrosi a balayé sous les applaudissements de sa majorité l’intervention de l’élue d’opposition : « Si vous avez zéro raison de croire, moi, je trouve que 1 000, c’est insuffisant. Moi, j’ai 10 000 raisons de croire ! » La ferveur assumée de Christian Estrosi tranche néanmoins avec une omission surprenante. Le texte de la délibération, que nous avons consulté, ne mentionne à aucun endroit le caractère chrétien ni même religieux de la manifestation, alors que c’est sa thématique unique… Du côté des organisateurs aussi, on minimise la portée prosélyte du festival. « Chacun fait comme il veut, se convertit ou pas, croit ou ne croit pas. Ce n’est pas mon propos : mon but est de transmettre le bagage fantastique dont on a hérité », assure Frédéric Bard, le président de l’association. Ce retraité niçois de 70 ans, à l’origine de l’initiative, se prévaut de la « bienveillance » des « deux parrains » de l’événement que sont la ville et le diocèse, évoquant même une possible visite de l’évêque de Nice, Jean-Philippe Nault. Un enthousiasme que ne partage pourtant pas cette autorité. Contacté, le diocèse précise qu’il n’y a « pas de soutien particulier de l’évêque » à cette manifestation. Peut-être parce que, au-delà de la foi, l’événement s’insère dans un vaste projet qui a pour objectif affiché une « évangélisation à grande échelle » de la France ? Le nom de ce projet est identique à celui du festival : 1 000 Raisons de croire. Emanation de l’Association Marie de Nazareth, ce programme est piloté par Olivier Bonnassies, entrepreneur touche-à-tout de 59 ans, qui a créé et dirigé plusieurs sociétés dans le conseil et la communication. Ce catholique fervent, cofondateur d’Aleteia, un média en ligne notamment soutenu par le Vatican, est parvenu à donner un écho inattendu à sa cause, en publiant en 2021 le best-seller Dieu, la science, les preuves (Guy Trédaniel), avec Michel-Yves Bolloré, frère du milliardaire breton. Les deux auteurs, qui revendiquent 400 000 exemplaires vendus, entendent y démontrer l’existence de Dieu à partir de preuves puisées dans les sciences, comme la physique quantique.

Angoisse civilisationnelle

Le contenu de l’ouvrage, qui fera prochainement l’objet d’une adaptation en documentaire sur Canal+, propriété de Vincent Bolloré, se veut l’illustration du concept qu’entend promouvoir Olivier Bonnassies, celui du « grand retournement » qui caractériserait notre époque. « Pendant quatre siècles, nous n’avons plus eu besoin de Dieu pour expliquer le monde. A présent, les sciences convergent pour dire que le commencement de l’Univers est inexplicable sans Dieu », explicite le polytechnicien. Avec ce succès, il s’est imposé comme une figure incontournable sur le terrain de l’apologétique, une branche théologique visant à démontrer la crédibilité de la foi par des arguments rationnels, après avoir plutôt débuté du côté charismatique : son parcours est placé sous le signe de Marie et de la passion pour les mystiques. C’est avec les Vierges pèlerines, un vaste mouvement de prière lancé en 1995 par Edmond Fricoteaux (1937-2007), notaire et fondateur de la Confrérie Notre-Dame-de-France dont il dit avoir été le « bras droit », que le jeune homme a d’abord fait vibrer sa foi. Aussitôt naît l’envie de la partager : la dynamique des Vierges pèlerines débouche en 2001 sur la création de l’Association Marie de Nazareth, dont Olivier Bonnassies est aujourd’hui le directeur exécutif. Cette association est donc devenue la maison mère de 1 000 Raisons de croire, un projet d’évangélisation lancé en mai 2023 pour cinq ans et qui revendique 15 000 donateurs. Cette appellation unique se veut la bannière d’une myriade d’initiatives : le magazine trimestriel 1 000 Raisons de croire, qui vient de publier son dixième numéro ; une newsletter envoyant chaque jour des « raisons de croire » à ses abonnés ; des brochures et des livres publiés aux éditions Marie de Nazareth ; une kyrielle d’interventions, de débats et de conférences, dont les vidéos sont diffusées sur les réseaux sociaux. Et désormais un festival, donc, que les organisateurs affirment tenir hors de toute affiliation politique. « On ne veut absolument pas entrer dans ce domaine », jure Olivier Bonnassies.

A première vue, aucune couleur politique ne se devine, en effet, dans le discours officiel, qui s’affiche résolument positif et rassembleur. Sauf que, derrière le plaidoyer pour la beauté de la foi chrétienne, l’angoisse civilisationnelle affleure. Elle se devine dès la page Facebook du projet, qui postait récemment un message à la gloire de l’influenceur trumpiste Charlie Kirk, assassiné le 10 septembre. Et elle s’assume ouvertement dans une lettre adressée en juin par Olivier Bonnassies aux donateurs : « A l’image de David, nous sommes bien faibles et petits contre ces Goliaths que sont l’athéisme, l’islam et les autres idéologies dominantes qui dénaturent notre civilisation. » Cette anxiété se traduit par une « grande opération de réponse à l’islam », visant à démontrer les aberrations théologiques qui fonderaient cette religion. Une stratégie, en apparence moins frontale que les discours offensifs tenus dans les médias du groupe Bolloré, a récemment conduit 1 000 Raisons de croire à nouer un « partenariat » avec un certain Bruno Guillot.

Evangéliser les musulmans

Cet homme, qui se présente comme un « ancien imam salafiste converti au christianisme », a publié, fin août, un livre de témoignage intitulé Adieu Soulayman sous la bannière éditoriale Nour Al Aalam (« Lumière du monde »). Créé pour l’occasion, cet éditeur offre à l’ouvrage un habillage orientaliste imitant explicitement les publications islamiques. Depuis la parution, Bruno Guillot écume les médias de la droite dure (Le Figaro, Europe 1, CNews, Sud Radio) pour délivrer un même message : « Dénoncer les dangers du salafisme pour l’Occident et témoigner de la liberté et de la paix que j’ai trouvées dans la foi chrétienne. » Quel rôle a tenu 1 000 Raisons de croire dans ce projet éditorial monté ex nihilo ? Olivier Bonnassies nous explique que son programme a « levé de l’argent » pour aider à la création de Nour Al Aalam, évoquant une somme « de l’ordre de 50 000 euros ». « On les soutient pour une raison de fond. On dit que le glaive de la parole de Dieu est à double tranchant : il faut annoncer la vérité et dénoncer l’erreur », justifie l’entrepreneur, qui loue le talent de cet « évangélisateur de musulmans ».

Le chemin d’Olivier Bonnassies n’a croisé que tardivement celui de Frédéric Bard. Tout a commencé en janvier 2024, lorsque ce dernier s’est ouvert à un ami d’une idée : organiser un festival de musique sacrée à Nice. « J’ai beaucoup évolué dans la sphère musicale, et j’avais envie de faire quelque chose pour élever l’âme. » L’ami en question est un haut fonctionnaire du nom d’Antoine-Tristan Mocilnikar − il est mort le 31 août, à 59 ans. C’est cet ingénieur des mines ayant fait sa carrière au sommet de l’Etat, notamment à l’Elysée sous Nicolas Sarkozy (2007-2012), qui a mis en contact Olivier Bonnassies, ex-camarade de promotion à Polytechnique, avec Frédéric Bard. Cette rencontre, le Niçois en parle comme d’un « coup de foudre amical ». On comprend, en outre, que l’arrivée d’Olivier Bonnassies a changé le concept, transformant le projet d’art sacré en nouvelle branche de 1 000 Raisons de croire, jusqu’à en adopter le logo. Cette visée évangélisatrice gêne-t-elle l’initiateur originel ? « C’est vrai que mon focus est plutôt artistique », évacue Frédéric Bard, dont le profil ne se résume pas au portrait sous lequel il se présente – celui d’un simple retraité épris de beauté sacrée, qui veut « rendre à Nice » ce que la ville lui a donné. Peu disert sur sa vie professionnelle, il évoque sans s’attarder une carrière en Afrique dans la « protection antiterroriste » au sein d’une société de sécurité privée. Mais il a aussi été membre de l’UMP (devenu Les Républicains) à Paris, et même chargé de mission au ministère de l’immigration et de l’identité nationale d’Eric Besson, sous la présidence Sarkozy.  On retrouve également sa trace dans une curieuse histoire, cette fois-ci comme fondateur du Collectif Respect, lancé après l’affaire de La Marseillaise sifflée lors du match France-Algérie de 2001, pour « promouvoir le respect » de la République : l’association s’est retrouvée en 2009 habilitée par le ministère de l’immigration pour assister les étrangers placés en centre de rétention, à la stupeur des associations spécialisées, dont certaines ont vu une manœuvre du pouvoir en place.

En attendant le duc d’Anjou

Des réseaux politiques de droite ont-ils joué dans les services « adorables » offerts au festival par la ville ? Frédéric Bard ne fait pas mystère de son amitié avec le directeur de cabinet du maire,  Lauriano Azinheirinha, mais dit ne plus avoir de lien avec des organisations politiques. « Ce festival s’est fait de bric et de broc, grâce à des réseaux amicaux », avance-t-il, minimisant avec bonhomie nos suspicions. Une conception artisanale, donc, comme en attesterait le sort de son « comité d’honneur prestigieux » présidé par le prince Charles-Philippe d’Orléans, qui a fait flop. « On espérait qu’il joue un grand rôle, car il est copain de Stéphane Bern et de Franck Ferrand », nous raconte Olivier Bonnassies. Las, le carnet d’adresses du descendant du roi Louis-Philippe a tout juste servi à joindre l’essayiste Jean Sévillia. Les deux célèbres animateurs télé, eux, n’étaient pas disponibles. Quant au duc d’Anjou, il a même décommandé sa venue, pris par un voyage en Afrique. Jusqu’à récemment, ce festival, qui se rêve annuel, a failli ne pas se tenir. Les deux organisateurs étaient près de renoncer quand, à la fin du printemps, un mystérieux donateur monégasque a fait un chèque de 250 000 euros dans lequel Olivier Bonnassies et Frédéric Bard ont immédiatement vu un « signe de la providence ». L’entrepreneur a alors adressé 75 lettres pour solliciter tout son cercle de l’Association Marie de Nazareth. Un autre don de 100 000 euros ainsi que plusieurs autres de quelques milliers d’euros ont permis de boucler un budget de 478 000 euros qui suffit à peine, malgré l’appui d’une cinquantaine de bénévoles. Quelques jours avant son lancement, une fenêtre pop-up « Nous avons besoin de vous ! » s’affichait dès l’arrivée sur le site du festival et relayait des appels à bénévolat sur les réseaux sociaux. Les magnats catholiques Vincent Bolloré et Pierre-Edouard Stérin n’ont donc pas voulu soutenir le projet ? « Hélas, non », s’attriste Frédéric Bard. Qui préfère en plaisanter : « Si seulement notre festival était un deus ex machina financé par un magnat de droite ou d’extrême droite, ce serait génial. Mais ce n’est pas le cas. » Peut-être la prochaine fois ?

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services