De François Bert :
[…] Rassembler, le mot est sur toutes les lèvres, mais pour quelle finalité? Rassembler des voix, fusionner des partis et des tendances, c’est coaliser de l’écume sans faire bon usage de la force de l’eau. L’élection faite, la dispersion survient au premier incident de communication ou écart consenti d’un programme intenable et fait dans la seule volonté de collecter des voix. Ce qui divise, en immédiat comme en différé, c’est l’obsession de générer des idées décalées pour capter toutes les diversités en leur promettant l’impossible.
Unir c’est nécessairement choisir un axe autour duquel les volontés peuvent se coaliser, et pour cela permettre la contribution plutôt que rejoindre de manière dispersée chaque singularité. La logique électorale de collecte des voix mène de front le clivage et le rassemblement parce qu’elle veut susciter un attachement momentané sur la base d’une passion, qu’elle soit émotionnelle ou idéologique. Plus difficile est de créer les conditions de l’unité, qui a comme souci le débouché de l’effort collectif, au risque de momentanément déplaire. L’unité a pour cela besoin d’une mission, du moins d’un objectif pratique qui n’est pas celui de l’émotion.
Élever plutôt que plaire ou culpabiliser
Aux deux extrémités de la volonté de se faire aimer (logique du candidat) plutôt que d’élever (logique du chef), il y a la séduction et la peur. La séduction fait fi de la réalité, elle mise sur l’irréprochabilité dont on sait combien un candidat de la précédente élection en paya le prix fort ou sur l’ultra-empathie (simulée), consistant à vouloir se faire porteur de tous les maux et différences affichées. La peur cherche à produire un mouvement moutonnier d’appartenance face au danger, non sans chercher à montrer du doigt un ennemi ou un coupable. La désignation, depuis un an et demi, de responsables du maintien de la pandémie de covid-19 (mauvais confinés, mauvais vacanciers, mal masqués, non vaccinés, etc.) pour dédouaner le pouvoir et lui rallier les bonnes consciences a eu un effet dévastateur sur la cohésion de la nation.
Admettre des erreurs (inévitables), récupérer les bonnes initiatives (nombreuses et trop lentes à être écoutées), autonomiser les entreprises et les régions (dépendantes de l’ultra détail de l’État), prioriser l’action nationale en direction des lits de réanimation et des cas les plus graves, aurait sans doute généré une dynamique plus unie et constructive et provoqué la résilience de la nation. Facile est la critique en ces temps d’accumulation des crises mais force est de constater qu’à vouloir prouver qu’il était parfait, le gouvernement a fini par profondément diviser les Français.
Élever un pays, ce n’est pas tout lui promettre mais donner un débouché visible à ses qualités. Ce n’est pas lui offrir une attention diversitaire, mais lui montrer ce qu’il est capable de faire, quand précisément chacun fait de sa différence une contribution. Que d’initiatives remarquables passent après les complaintes des victimes de métier sur la scène médiatique!
S’équiper pour durer
Pour que la pensée passe dans l’action, il faut au pouvoir une intelligence de la décision. Ce qui est juste dans l’ordre de la pensée, c’est ce qui est complet, ce qui est juste dans l’ordre de l’action, c’est ce qui est simple. Il faut accepter le principe d’avancer non pas dans toutes les directions mais sur des priorités “mono-directionnelles” successives.
La vision des priorités donc n’est pas de l’ordre du savoir mais de l’ordre du discernement: nos difficultés depuis 40 ans viennent de ce qu’on se trompe sur notre casting politique. À force de vouloir correspondre à la vente qu’amène l’élection, on a promu les meilleurs vendeurs, quitte à leur adjoindre des techniciens capables de crédibiliser leur approche. Mais au sommet de l’État, il faut plus que jamais de la simplicité (savoir comment aérer une chambre n’est pas du registre présidentiel) et, pour cela, que le temps soit pris, en silence, de la discerner. Comme dans une salle bruyante, l’autorité reviendra à qui se taira plutôt qu’a celui qui criera le plus fort.
S’ils ne parviennent pas à promouvoir des chefs naturellement doués pour la décision, qui attendent généralement les crises pour se révéler et sont absents du pouvoir depuis plus de quarante ans, les mouvements politiques auront tout intérêt à proposer des binômes dans lesquels des bras droits en seront capables. À défaut, qu’ils s’équipent de conseillers en discernement davantage qu’en conseillers en communication ou en droit. […]