Témoignage du directeur des opérations de SOS Chrétiens d’Orient en Arménie :
Dimanche 27 septembre, le monde s’est réveillé dans la stupeur de l’agression azerbaïdjanaise sur l’Arménie. Parmi tous les peuples, s’il y en a bien un qui devait se sentir touché en plein cœur par ces images d’horreur, ce sont bien les Français. Immédiatement les réseaux de discussions internes de SOS Chrétiens d’Orient s’animent : une mission permanente doit ouvrir 10 jours plus tard, mais il convient de lancer une mission d’urgence afin de porter assistance au plus vite à la population.
Très rapidement, les réalités de terrain se précisent grâce à l’aide de l’association « Solidarité Arménie » dont le président part bientôt pour le front comme de nombreux hommes de son âge se portant volontaires pour défendre la patrie. Notre réseau, bâti en trois ans d’actions ponctuelles dans le pays, nous oriente sur les besoins réels et nous aide à organiser les premiers éléments logistiques. Sur place Aram, un jeune franco-arménien ayant rejoint son pays il y a trois ans pour retrouver la terre de ses pères, nous aiguille pour monter notre mission en un temps record. Sa connaissance du pays n’a d’égal que son amour pour son histoire et ses terroirs.
Tous nos engagements français annulés ou reportés, nous nous envolons avec François-Marie vers Erevan. A peine le temps de nous reposer, nous partons repérer et acheter un maximum de denrées afin de les acheminer vers Goris, nœud central de l’aide aux populations, dernier point de passage avant de pénétrer dans l’Artsakh.
A Goris vers minuit et demi, nous nous rendons immédiatement à l’hôpital de la ville afin de proposer notre aide. Nous sommes reçus par le directeur de l’hôpital et le ministre arménien de la santé qui nous précisent la situation sanitaire, le fonctionnement des secours, nous font visiter l’hôpital et nous remercient chaleureusement de notre engagement. Le ministre nous félicite dès les premières heures via son compte tweeter officiel alors que notre entrevue se poursuit jusqu’à deux heures du matin.
Aux premières lueurs du jour, nous découvrons l’hospitalité des gens du Syunik, ce peuple de la montagne rustique, accueillant et foncièrement patriote. Passant devant la Tour Eiffel trônant sur la place principale de la ville, proche du centre culturel français, nous apprenons de la bouche de Carmen, la responsable, que Goris est une ville « francophone et francophile » fièrement jumelée avec la ville de Vienne. Carmen est une jeune femme formidable aux 1000 engagements et qui nous sera cruciale dans la localisation et la distribution de l’aide aux familles de l’Akhtsar réfugiées ici.
Bien que meurtris par l’agression brutale frappant l’Akhtsar, ses habitants n’ont pas peur. Ils sont chez eux depuis des siècles et ils sont bien déterminés à y rester. Nous rencontrons tout d’abord ces familles ayant trouvé refuge à Goris. Sillonnant les hôtels et les habitations individuelles, les accueillant afin de leur fournir des vivres et quelques vêtements chauds, nous sommes toujours accueillis comme des rois. Femmes et enfants nous invitent à prendre le thé et à prier pour leurs maris, leurs frères et leurs pères partis défendre, quoi qu’il en coûte, leur position sur le front afin de protéger la terre de leurs pères.
Ces prières ne seront pas superflues au cœur d’un conflit moderne qui voit drones et pièces d’artillerie faire des ravages dans les tranchées battues par la pluie et le vent. Dans ces sillons boueux se tiennent épaule contre épaule vétérans de la guerre de 1988 et jeunes volontaires s’étant engagés massivement dès la mobilisation proclamée.
Nous constatons nous-même cette violence au cœur de la ville de Stepanakert, capitale de l’Akhtsar.
Quelques minutes après notre arrivée sur le parking de l’hôpital, les sirènes retentissent : des drones azerbaïdjanais ont été vus au-dessus de la ville. Cela fait en effet plusieurs jours que la cité martyre est lourdement bombardée par l’Azerbaïdjan. Nous profitons d’une accalmie de quelques minutes entre deux alertes pour décharger l’équipement que nous avons apporté avec nous : des sacs d’urgence « trauma » pour les équipes de la sécurité civile, de grandes quantités de consommables médicaux ainsi que des attelles en tous genres, des radios pour coordonner les efforts des secouristes et des médecins ainsi que des denrées pour les habitants de la ville. Malgré les nombreux blessés militaires mais surtout civils qui affluent à l’hôpital, chacun y tient remarquablement son poste : du personnel s’est porté volontaire de toute l’Arménie pour venir en première ligne et des médecins renommés de la diaspora sont revenus d’Europe et des Etats-Unis pour apporter leur aide.
Dans le hall des urgences, les infirmières se reposent sur des brancards, certains fument en écoutant de la musique pour relâcher la pression en attendant la prochaine vague de blessés qui suivra les prochains bombardements. Au sein d’une petite salle de l’hôpital une dame d’une soixantaine d’années tient une cafétéria improvisée et nous sert généreusement en café. Les personnels de l’hôpital aux traits tirés défilent pour boire un verre d’eau, manger une boîte de conserve réchauffée et s’évader quelques minutes malgré le rappel permanent de la sirène qui se remet à hurler. En contrebas, des explosions se font entendre. Il est temps de retourner à son poste. Nous refusons l’invitation qui nous est faite de rester déjeuner et prenons la route pour le centre de la ville afin de constater les dégâts.
De nombreuses habitations sont touchées par les missiles, des commerces sont effondrés, une station électrique détruite fume encore. Alors que nous progressons à pieds dans le centre de Stepanakert, nous débouchons sur un missile planté dans le sol devant une barre d’immeuble. Ce dernier n’a pas explosé et ses ultimes habitants ont été épargnés, pour cette fois.
Nous passons un centre de La Croix rouge devant lequel trois land cruiser logotypés sont garés quand 100 mètres plus loin nos regards se fixent sur un cratère d’environ 3 mètres de profondeur qui me rappelle immédiatement les bombardements de la coalition lors de la bataille de Mossoul, sauf que cette fois-ci, pas une seule cible militaire n’est en vue, seulement des barres d’immeubles et des échoppes.
Alors que nous passons devant les bâtiments officiels de la jeune république, les bombardements reprennent sans avoir été annoncés cette fois-ci. Nous prenons la route de Chouchi, accueillant l’ancien quartier général des forces azéries surplombant Stepanakert et libéré en 1992. Elle est depuis plusieurs jours la cible des bombardements. Nous arrivons à l’hôpital de la ville qui dû être évacué dès la chute des premiers missiles. Rapidement, le directeur nous rejoint mais à peine nous commençons à évaluer ses besoins qu’une première explosion se fait entendre suivie de trois ou quatre autres à proximité. Nous gagnons alors un sous-sol à proximité dans lequel des membres de son personnel non médical ont organisé un abri et vivent désormais reclus. Nous échangeons sur la situation le temps que les tirs se calment puis nous reprenons la route pour Goris où nous irons faire le point sur les besoins évalués aujourd’hui et poursuivre notre action auprès des familles déplacées ayant fuit cet enfer de feu et d’acier.
Dans l’urgence, votre aide est précieuse aux familles arméniennes menacées par les bombes azerbaïdjanaises. Alors que mon équipe poursuit sa mission, nous avons besoin de vous pour nous aider à répondre aux besoins de première nécessité de ces femmes, enfants et pères menacés dans leur survie.