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Pays : Arménie

296 jours en Arménie, dans le premier Etat chrétien du Monde

296 jours en Arménie, dans le premier Etat chrétien du Monde

Par Antoine Bordier, auteur de la trilogie Arthur, le petit prince (d’Arménie, du Liban, d’Egypte)

Je suis arrivé pour la première fois en Arménie le 9 février 2021. Oui, en Arménie, dans ce petit pays que j’appelle « Confetti », mais, également, « Porte de notre civilisation », « Bouclier de la chrétienté ». Cette aventure a commencé à la suite d’un pari avec un ami, Mgr Dominique Rey – un des rares évêques de France à vouloir s’y rendre. Lui, finalement, ne partira pas en raison du COVID. Et, moi, j’y mets, donc, les pieds ce mardi 9 février. Je m’y rends avec mes casquettes de consultant et de journaliste. Avec ma casquette de consultant, car j’y organisais ma première mission économique, lancée par mon cabinet ABBA Conseil. Et, avec ma casquette de journaliste, en tant qu’Envoyé Spécial de la célèbre revue économique Challenges. Je ne savais pas que j’allais rencontrer un peuple authentique, un peuple entrepreneur, un peuple martyr, gardien de notre civilisation et du christianisme. Enfin, j’allais y écrire mon premier roman. Témoignage abécédaire…

Mes aventures arméniennes ont commencé quelques jours auparavant, à travers deux reportages que j’ai voulu réaliser sur l’Eglise apostolique arménienne et sur l’Eglise catholique arménienne. J’ai, ainsi, pu interviewer Mgr Vahan Hovhanessian, primat du diocèse apostolique arménien de France (2014-2022). Et, quelques jours avant mon départ, je rencontrai le père Joseph Kelekian, de la cathédrale Sainte-Croix de Paris.

Déjà, avec ces deux personnalités ecclésiales, je comprenais que l’Arménie respirait de ses deux poumons : le premier apostolique, le second catholique. Plus tard, à Erevan, j’allais rencontrer le troisième poumon de l’Arménie (oui, un 3è !), le plus petit, mais, peut-être, également, le plus dynamique, en la personne du pasteur René Léonian.

C comme Charles…

Et si, finalement, mes aventures arméniennes avaient commencé, comme une genèse, comme une création où l’alignement des planètes prédirait votre futur ? Une date me revient : celle du 5 octobre 2018. Il y aura bientôt 7 ans, cette année, partait en direction du Ciel, celui qui voulait être « en haut de l’affiche » et qui le fut longtemps. Il est maintenant en haut du Ciel, notre artiste « 100% Français, 100% Arménien », Charles Aznavour.

Il y a 7 ans, je couvrais pour le compte des Editions du Point du Jour, pour la revue France Catholique – que Vincent Bolloré venait de racheter – ses obsèques nationales à la fois simples et grandioses. Simples parce qu’il s’agissait d’un au-revoir, d’un « A-Dieu », d’un dernier hommage. Grandioses, parce qu’elles avaient revêtu l’onction céleste et celle des hommes, celle de la France, celle de toute une nation, aux Invalides !

Dans la cour intérieure des Invalides, l’instant était plus que solennel. Au milieu de la cour pavée, face à la famille revêtue de noir, face aux amis et proches qui avaient morne mine, je revois, encore, le cercueil du chanteur à la voix d’or, porté par des hommes en tenue militaire. Lui, son arme, c’était sa corde musicale et vocale. Une dernière fois, il était là au milieu des hommes, habillé du drapeau bleu-blanc-rouge qu’il a tant honoré. J’entends, une nouvelle fois, l’élévation musicale du duduk, cet instrument transcaucasien si emblématique de l’Arménie ; si mystique qu’il vient faire vibrer votre âme. Je me souviens, également, des quelques mots prononcés par le Président de la République, Emmanuel Macron. Il chuchotait à l’oreille du monde entier, qui assistait lui aussi à cet au-revoir derrière son écran, ces quelques mots : « En France, les poètes ne meurent jamais. ».

Ce jour-là, je rencontrais pour la première fois le Premier ministre Nikol Pachinian. Sa phrase à lui était celle-ci : « Il était entièrement dévoué à la France, un grand citoyen de France, un Ambassadeur exceptionnel de la langue française, mais il était, aussi, un ardent défenseur de l’Arménie. » A comme Arménie, A comme Artiste.

Celui qui était, au début, méprisé pour sa petite taille d’1,64 m et pour son nez important, avant qu’il ne soit adulé pendant près d’un siècle, nous avait laissé sa propre épitaphe : « Dès que ma santé me le permettra, je souhaite vivement venir pour découvrir cette nouvelle Arménie et rencontrer les forces vives qui façonneront l’avenir de notre nation ».

Une semaine après ses obsèques, l’Arménie accueillait le 17è Sommet de la Francophonie. Et, 3 ans plus tard, j’atterrissais sur le tarmac de l’aéroport international de Zvartnots. Je commençais mes reportages en interviewant un jeune volontaire de l’ONG SOS Chrétiens d’Orient, Etienne Toussaint et en rencontrant Benjamin Blanchard, l’un des co-fondateurs de l’ONG. Etienne m’avait répondu : « Je donne 6 mois de ma vie à l’Arménie, à mes frères et sœurs, et à Dieu ». Il rejoignait ainsi, sans le savoir, le grand Charles qui chantait… Dieu !

D comme Dieu

La nation arménienne est devenue chrétienne, lors de la conversion de son roi de l’époque, Tiridate IV, en 301. C’est le premier Etat de la planète à se déclarer chrétien. Leur dieu ? C’est Dieu !

Aujourd’hui, sur une population de moins de 3 millions d’habitants, 3% sont évangéliques et protestants. Le poids lourd de la vie spirituelle est l’Eglise apostolique, avec 90% de la population. Les catholiques sont +/- 7%. Plus petit et plus agile, l’Eglise catholique arménienne est en pleine croissance. J’ai pu, dès mon arrivée, en février 2021, interviewer Mgr Raphaël Minassian, qui était très inquiet de la situation en Arménie. Il deviendra quelques mois plus tard, le 23 septembre, le nouveau Catholicos du Patriarcat de Cilicie des Arméniens, dont le siège se trouve au Liban, à Bzommar. Là où il a fait son séminaire…

Quelques jours plus tard, en mars, je rencontrai pour la première fois Sa Sainteté Karekine II, dans la Cité Sainte à Etchmiadzin. Je rencontrais, également, le père Garegin Hambarsumyan, apostolique, et le père Mashdots Zahtérian, catholique. Pendant plusieurs jours, je les ai accompagnés dans les monastères, et, lors des fêtes pascales, notamment. Que ce soit à Erevan, dans la cathédrale apostolique de Saint Grégoire l’Illuminateur, ou dans la paroisse catholique de Saint Grégoire de Narek, ou, encore, à Gyumri, dans la cathédrale catholique des Saints Martyrs, ou, à plusieurs reprises à Etchmiadzin (le Vatican pour les apostoliques) et dans le monastère Saint Gayane. Et puis, j’ai rencontré le pasteur René Léonian. Je lui consacre un paragraphe entier, plus bas !

En 2024, je me suis, enfin, rendu là où Grégoire l’Illuminateur a été emprisonné dans sa fosse pendant 14 ans, à Khor Virap. De cette fosse est née l’Arménie chrétienne, à la suite de la conversion du roi Tiridate IV. En 2025, je suis allé à plusieurs reprises au monastère Mekhitarist d’Erevan. Là, une demi-douzaine de jeunes de 13 à 18 ans y entreprennent des études afin de se consacrer à Dieu !

E comme Entrepreneur

Les Arméniens sont de plus en plus nombreux à vouloir entreprendre. C’est une bonne nouvelle, que vient renforcer celle du retour de la diaspora. La diaspora entreprend aussi, même s’il est vrai qu’en 2023, avec l’épuration ethnique du Haut-Karabakh, certains Arméniens ont quitté le pays. Du côté de celles et de ceux qui restent, il y a les Badalyan. Des entrepreneurs à couper le souffle. Comme s’ils avaient une mission incroyable : celle de construire la NOUVELLE ARMENIE. Les deux frères, Vahe et Vigen, ont créé une véritable pépinière où les maîtres mots sont ceux des nouvelles technologies, une sorte de Silicon Valley, dont le navire amiral s’appelle SoftConstruct. C’est feu leur père, Roman, un médecin réputé, qui leur a donné le goût de l’entrepreneuriat dans les années 80 en ouvrant un hôtel. Il croyait dur comme fer dans le tourisme. L’hôtel existe toujours et Vahe et Vigen sont à la tête, aujourd’hui d’un groupe familial, qui pèse deux ou trois milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le secteur de l’agriculture, de la blockchain, des cryptomonnaies, des FNT, de l’IT, du gaming, de la restauration et du tourisme. Je les ai rencontrés fin février 2021, et chaque année, quand je revenais en Arménie, je faisais un reportage. Je les suivais. Je les ai connus avec leurs 5 000 salariés, aujourd’hui, ils sont près de 8 000 !

Cette première génération d’entrepreneurs, née avant la chute du Mur de Berlin, en 1989, est suivie de près par la seconde, très geek. Parmi eux, Hayk Mnatsakanyan dirige deux start-ups, StartDoon et rBlox. A 27 ans – il en a aujourd’hui 31 – ce jeune homme, natif de Londres, bouclait sa première levée de fonds quand je l’ai rencontré. Ses sociétés continuent leurs développements, même si rBlox qui veut devenir l’architecture de référence du nouvel internet de demain, n’a pas, encore, atteint ses objectifs.

Du côté des Télécoms, le secteur était en ébullition.  En 2021, j’interviewais Ara Khachatryan, le CEO d’Ucom, l’un des principaux acteurs sur ce marché très étroit. Il est, d’ailleurs, devenu en 2023 le nouveau CEO de SoftConstruct. Il y a du talent en Arménie et de l’effervescence. C’est certain.

Du côté d’un autre secteur, celui du vin, là encore, c’est en plein boom, avec la vallée viticole d’Areni, qui est devenue en quelques années la région par excellence. Une partie de la diaspora, comme les Tufenkian, ont investi. Les premières vignes auraient été vendangées il y a plus de 6000 ans. Mon dernier reportage sur le vin remonte à septembre 2023, à cette interview de Samvel Grigoryan, le banquier-vigneron qui a tout perdu dans le Haut-Karabakh, comme les 120 000 autres Arméniens. En plus, il est francophone !

F comme Francophonie

Ah, la Francophonie en majuscule ! Ce sujet m’est cher. Il me tient à cœur, en même temps, il me dépasse. Car la Francophonie est partout, dans une centaine de pays. En Arménie, je ne peux pas tous les nommer, mais en 4 ans, j’en ai rencontré des francophones-francophiles. En plus de ceux déjà cités précédemment, je cite volontiers : Mher Davtyan, qui s’occupait de l’Union des Français de l’Etranger, présidé par feu Raymond Yezeguelian, un bienfaiteur de l’Arménie, décédé en 2024. Il y a, aussi, l’incontournable Martun Panosyan, un avocat incontournable. Tous les deux sont francophones. Pendant ces 296 jours, je les ai vus à l’œuvre, accueillant tous ces Arméniens de France, signant des contrats, accueillant des entreprises qui souhaitaient s’implanter en Arménie.

Pour célébrer particulièrement la Francophonie, il faut venir en mars et en avril de chaque année. L’ambassade de France y joue à fond son rôle. Quel que soit l’ambassadeur – j’ai pu interviewer Jonathan Lacôte et côtoyer ses successeurs comme Anne Louyot (2021-2023) et Olivier Decottignies (depuis septembre 2023). Le premier m’a épaté, la seconde n’a jamais voulu répondre à mes questions. Et le troisième, l’actuel ambassadeur est d’un accueil exquis. Il veut, vraiment, donner à la Francophonie ses lettres de noblesse et soutenir tous les projets dans ce sens. Le dernier projet est tout récent : il date de janvier 2025. Il concerne la distribution gratuite de 2700 livres dans les 11 régions d’Arménie, à destination de 76 établissements scolaires.

« Oui, l’année 2025 commence bien pour la Francophonie. Et, ce projet n’en est qu’à ses débuts. Il y aura d’autres dons de livres », ajoutait-il lors de la présentation de ses vœux 2025 à la communauté francophone. En termes de chiffres, impossible d’avoir le chiffre exact, mais +/- 7% de la population se dit francophone.

La France a toujours été présente auprès de l’Arménie. Même dans ses pires moments, comme celui du… génocide.

G comme Génocide

Le peuple arménien est un peuple martyr. Je le compare souvent au peuple Juif (je ne parle pas de l’autorité gouvernementale actuelle qui arme l’Azerbaïdjan pour sa prochaine guerre). D’ailleurs, il y a 4 ans, je ne comprenais pas pourquoi Israël n’avait jamais reconnu officiellement le génocide arménien. De plus, Israël devrait, naturellement, être l’allié de l’Arménie. Je suis convaincu que si les empires de l’époque avaient tout fait pour s’opposer au génocide arménien de 1915-1923, la Shoah, et, les autres génocides, comme celui des Tutsis au Rwanda et celui des Cambodgiens en Asie, n’auraient pas eu lieu…

En 2021, j’ai interviewé le directeur du Mémorial du Génocide Arménien, Harutyun Marutyan. Et, depuis, chaque année, je me rends plusieurs fois sur le site de Tsitsernakaberd, où 100 ha de verdure honorent la mémoire des quelques 1,5 millions martyrs, jetés en pâtures aux soldats ottomans et aux chacals qui attendaient leur heure dans le désert de Syrie. Ces Arméniens sont morts dans des atrocités les plus barbares.

J’avais interviewé François-Xavier Bellamy, député européen, et Gérard Larcher, le Président du Sénat, sur le sujet. Ils ont été touchés en pleine âme par ce qu’ils ont vu au Mémorial. C’était une première pour les deux hommes. Lui, le député européen qui ne met pas sa foi dans sa poche, pendant 4 jours, à Pâques 2021, a arpenté la terre arménienne. Il a rencontré les autorités économiques, politiques et religieuses. Sur place, il a pu dire : « L’Europe a manqué au soutien qu’elle devait au peuple Arménien. » A Yerablur, il s’est recueilli sur les tombes des jeunes soldats tombés sur le front du Haut-Karabakh. Il y est retourné plusieurs fois depuis…

Gérard Larcher, avec sa délégation de sénateurs, a posé un acte politique inédit. Le 24 avril 2021, lors de la commémoration du génocide, il avait prononcé cette phrase historique : « La France et le Sénat de la République se souviennent. La mémoire est l’arme des victimes. C’est une arme qui ne tue point, elle entretient la vie et aide à construire l’avenir. Aujourd’hui notre coeur est arménien. » Depuis, il fait tout pour que la France aide militairement l’Arménie. Car son alliée historique, la Russie, l’a abandonnée.

En Arménie, les raisons d’espérer existent. Elles résident dans cette forte amitié avec la France. Également, les ressources en eau vive de l’Arménie se trouvent dans sa… jeunesse !

 J comme Jeunesse

Ah, quelle est belle cette jeunesse authentique, poétique, romantique, spirituelle. Je me souviens de la jeunesse de l’Université Française en Arménie, l’UFAR. J’ai pu rencontrer ses deux recteurs. Le premier : Bertrand Venard, qui avait été nommé juste avant le début de la guerre, en septembre 2020. Il a été remplacé, en août 2021, par Salwa Nacouzi, qui nous vient du Liban.

Puis, dans le cadre du Lycée Anatole France, qui regroupe le primaire, le collège et le lycée, et, qui était dirigé par Adel Chekir, son proviseur (remplacé en septembre 2021 par Christian Châle. En 2021, chacun, je les ai suivis pendant au moins 24h00. J’ai vu des écoliers, des collégiens, des lycéens et des étudiants ; j’ai vu leurs professeurs et leurs parents tous étaient sur le qui-vive : celui de l’apprentissage, de la culture, de l’excellence, des résultats et du travail bien fait. Et, chaque année, je remets les pieds à l’UFAR. La dernière fois, c’était en avril 2024. L’UFAR recevait Jean-Luc Mélenchon, qui visitait pour la première fois le pays-confetti.

A Tumo – l’école gratuite pour l’apprentissage des nouvelles technologies destiné aux 12-18 ans, lancée par Sam et Sylva Simonian en 2011 – à l’école 42 – l’école gratuite de coding pour les 18-30 ans, lancé par Xavier Niel en 2013 en France et qui s’est ensuite franchisée en Arménie en 2020 – j’ai interviewé des étudiants qui avaient tout perdu en Syrie, à la suite du Printemps arabe.

Sur cette jeunesse traumatisée par la guerre, mais qui n’a pas baissé les bras – c’est le propre de la jeunesse – j’ai écrit des articles dans la revue Challenges. Je me souviens de deux jeunes étudiantes talentueuses : Anna et Arpy. Elles sont francophones. Elles avaient, déjà, des idées de business. Que sont-elles devenues ? Je repense, aussi, à Sam et Sylva Simonian qui ont eu l’idée, géniale, de lancer ces centres TUMO. Sam, ce Texan est un avant-gardiste.

Car à Tumo, dès l’âge de 12 ans, après l’école, vers 16h00, les enfants viennent en masse (plus de 20 000 aujourd’hui dans tout le pays, où d’autres centres se sont ouverts) y apprendre à coder, à faire de la 3D, du design, de la robotique. Une quinzaine de disciplines sont proposées.

Une jeunesse formidable, remplie d’espérance, de savoir et de volonté de réussir, pour écrire en lettre d’or : NOUVELLE ARMENIE ! Cette jeunesse est belle… Je me souviens, enfin, de Blandine et Cyprien, frère et sœur, qui venaient pour la première fois en Arménie en mai 2023. Ils avaient visité TUMO et le Mémorial…

M comme Mission économique

Là encore, une première ! En avril 2024, la Chambre de Commerce et d’Industrie Franco-Arménienne, la CCIFA, a organisé une mission économique en Arménie. A l’époque j’avais interviewé son président, Armen Mnatzakanian : « Oui, au sein de la CCIFA nous faisons la promotion des échanges commerciaux et des investissements entre nos deux pays. Par contre, ce n’est pas une première. La CCIFA existe depuis plus de 30 ans, et dans le passé, ce genre de voyage a déjà eu lieu, à maintes reprises. Il est vrai que, c’est la première fois qu’une très forte délégation de chefs d’entreprises (plus de 30 personnes) accompagne une forte délégation politique. Cette dernière est importante avec 25 personnes qui entourent la présidente Martine Vassal (NDLR : présidente de la Métropole d’Aix-Marseille-Provence depuis 2018) avec le seul objectif de créer de l’emploi en Arménie. Ce n’est, donc, pas du tourisme, ni même une participation à un forum qui ne parlerait que de chiffres, de projets théoriques, et présenterait des graphiques et des tableaux. Non, c’est un moment très opérationnel. La CCIFA a voulu emmener nos dirigeants auprès des structures de tailles différentes, afin de montrer la réalité de l’économie en Arménie. Ainsi, après un temps de partage, les opportunités business vont être activées, opérationnellement. »

A la fin de cette mission économique qui a duré près d’une semaine, avec un temps fort, notamment, lors de la visite commune de toute la délégation au Mémorial du Génocide, Armen Mnatzakanian présentait la synthèse lors d’une conférence de presse : « Je tiens à remercier avant tout particulièrement l’ambassadeur de France en Arménie, Monsieur Olivier Decottignies. Il a apporté et apporte une très grande attention au suivi et au bien-être des entreprises françaises en Arménie…Tout d’abord et pour la première fois, la CCIFA a réussi à organiser une demi-journée de speed dating avec plus de 45 sociétés arméniennes présentes. Elles ont montré leur savoir-faire et les produits arméniens. Cela a permis de créer des relations incroyables et inimaginables… Durant cette mission économique et politique, nos entrepreneurs ont eu une vraie surprise en visitant TUMO. Cette école high-tech gratuite pour les 12-18 ans, qui s’exporte à travers le monde et qui arrive bientôt à Marseille. De nombreux contrats y ont été signés dans le domaine de l’hôtellerie et des cabinets d’affaires. Puis, dans le secteur de l’agriculture verte, saine et sans pesticide, impossible de ne pas nommer les visites de l’une des serres du groupe Richel et du domaine agricole incroyable d’ArLeAM… »

Et, la CCIFA ne va pas s’arrêter-là : en septembre 2025, elle donne rendez-vous à tous les entrepreneurs, étudiants et salariés pour un « Hay Speed Working ». Un speed dating d’un nouveau genre. A suivre…

O comme Œuvres de bienfaisance

L’Arménie n’est pas seule. La diaspora y est très active. Son nombre a explosé lors du génocide qui a eu pour conséquence que de nombreux orphelins et survivants ont été disséminés dans le monde entier. La diaspora compterait dans ses troupes entre 8 et 12 millions de personnes. Impossible d’avoir le chiffre exact, car ils ne se sont pas tous enregistrés. Cette diaspora n’oublie pas sa mère patrie. Qu’ils soient Allemands, Australiens, Belges, Espagnols, Français, Italiens, Suisses, etc. ; ils sont, dans leur majorité, engagés dans des œuvres de bienfaisance, des associations et des fondations. C’est le cas de la famille Arslanian, dont les femmes sont aux avant-postes du don. Cette famille qui vit principalement en Belgique est une rescapée du génocide.

En décembre 1988, la maman, Anelga, était en Arménie au moment du terrible tremblement de terre de Spitak, dans le nord du pays. Depuis, avec son mari, Raffi, et leurs enfants, ils ont multiplié les projets en faveur de l’Arménie, et, principalement, en faveur des régions pauvres du nord. Aujourd’hui, ils aident tous les mois une quarantaine de familles. Et, ils ont lancé en 2021 l’opération « Un tracteur – Un village ». Avec un tracteur et son équipement, ils changent la vie des habitants, dépourvus de tout. Ou presque. Ils sont, tellement, pauvres, que certains n’ont même pas de salle de bain.

Je les ai revus en septembre 2023, lors de l’épuration ethnique. Anelga était avec l’une de ses filles, Lori. Elle m’avait répondu : « Oui, nous arrivons en urgence pour aider les familles du Haut-Karabakh qui ont dû tout laisser derrière-elles. Elles n’ont pas eu le choix. Soit, elles restaient et elles courraient le risque d’être assassinées, emprisonnées, violées. Soit, elles fuyaient. Parmi la quarantaine de familles que nous aidons, il y a des familles du Haut-Karabakh. »

Autre exemple avec le célèbre homme d’affaires, le serial-bienfaiteur Vahé Gabrache, qui représente à lui seul trois ou quatre fondations suisses. Il est, également, très investi au sein de l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance. Prochainement, il ouvrira une école hôtelière dans la deuxième ville du pays, à Gyumri, en partenariat avec l’école hôtelière de Lausanne.

R comme René Léonian, un chevalier !

Le 13 juin 2024, dans les coulisses des ors de la République, à l’hôtel de Matignon, au numéro 57 de la rue de Varenne, dans le 7è arrondissement de Paris, tout est prêt ou presque. Les invités sont là, en nombre. Le pupitre, à l’effigie du Premier ministre et de la célèbre devise Liberté, Egalité, Fraternité, est dressé. Les 150 invités entourent le pasteur René Léonian. Un de ses six petits-enfants s’avancent vers lui : « C’est quoi la Légion d’honneur ? » Le pasteur-courage, comme certains l’appellent, va devenir Chevalier…

La veille, près de l’Assemblée Nationale, il m’avait dit : « Oui, je vais recevoir demain la Légion d’honneur. C’est à la fois impressionnant, et, c’est, également, une grande joie. J’aimerais que cette joie soit communicative et diffusée au plus grand nombre. » Depuis 50 ans (il en a 73 cette année), l’homme est engagé auprès de la France, où il officie en tant que pasteur, professeur et père de famille.

Mais pas que… Il retraçait sa longue histoire familiale : « Cela fait, exactement, 100 ans que mes grands-parents sont arrivés à Marseille. Ils ont tout perdu, sauf la vie. » La grande joie de recevoir la Légion d’honneur est parsemée de cette souffrance et de ce sang familial et communautaire qui a abreuvé les terres ancestrales spoliées par les Turcs. L’homme est engagé, également, auprès de l’Arménie et de tous les Arméniens.

Lorsque le Premier ministre (Vincent Attal, à l’époque) est venu lui remettre cette médaille nationale, il a, d’abord, voulu peindre son portrait. Il a évoqué « la vie d’un homme de foi, guidé par une spiritualité profonde. D’un théologien passionné, capable de faire sans cesse le pont entre l’histoire millénaire d’une Eglise martyre et les défis du temps présent. Votre vie, c’est celle d’un paroissien, d’un pasteur depuis ses 22 ans, auprès des autres, au cœur de l’Eglise évangélique arménienne. Votre vie, c’est celle d’un mari, d’un père de famille, d’un grand-père profondément aimant et profondément attaché aux siens. Votre vie, c’est celle d’un homme engagé, pleinement Français et républicain, pleinement engagé dans la vie de la cité, ici en France. Pleinement engagé au service de ses racines, de son histoire, au service de l’Arménie. » Oui, les Arméniens sont des chevaliers.

S comme « Survivants » !

Comment faut-il les appeler ? Déportés, exilés, réfugiés, rescapés ou survivants ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne faut pas les appeler « séparatistes ». C’est ce que disent les familles rencontrées sur la route de l’exil. Celle du nettoyage ethnique de septembre 2023. « Le mot de séparatiste est le langage des Azéris, des bourreaux et de leurs complices, des pro-turcs, ainsi que de certains médias », tonnait au même moment que le Haut-Karabakh se vidait de son sang arménien, le nouveau député de Marseille, Didier Parakian.

Imaginez leur exode forcé : entre Stepanakert, la capitale de l’Artsakh, cette république autonome qui existait depuis le 2 septembre 1991, et le corridor de Latchine, pendant une semaine, du 24 au 29 septembre 2023, une file de véhicules, parfois sur trois voies, s’étendait de façon ininterrompue. Pour faire les 49 kms qui séparent une vie ancienne d’une vie nouvelle incertaine (recommencée de zéro), les 120 000 Arméniens qui peuplaient le Haut-Karabakh, ont mis entre 48 et 72 heures.

Que sont-ils devenus, depuis cette épuration ethnique, ce génocide qui n’a jamais de fin ? Ont-ils refait leur vie en Arménie, ailleurs ? Selon certaines sources, 20 000 d’entre-eux seraient partis en Russie. « Nous avons l’impression d’être des citoyens de seconde zone, ici, en Arménie, après avoir tout perdu. Nous préférons partir en Russie, où nous serons des étrangers. Mais, là-bas, ce sera normal », disaient certains en 2024, de nouveau sur le départ.

Avec les 100 000 drams (aujourd’hui 240 euros) par personne que verse l’Etat au début, il faut ajouter entre 50 et 65 000 drams (chaque mois). Comment vivre, comment commencer une nouvelle vie, alors que le coût de la vie est 5 à 10 fois supérieur ? C’est là, où les fondations de la diaspora prennent le relais.

Les 100 000 Arméniens du Haut-Karabakh sont répartis pour les 2/3 à Erevan et dans ses environs. L’autre moitié se situe dans le nord de l’Arménie, dans la région de Lori. Selon mes dernières informations (qui datent de décembre 2024), il n’y en aurait quasiment plus dans la région du Syunik. Région, qu’Aliev, le dictateur autocrate de Bakou, a menacé d’envahir lors d’une prochaine guerre pour réaliser la jonction entre l’Azerbaïdjan, le Nakhitchevan et la Turquie via le corridor de Zangezour. Un corridor 100% arménien.

T comme Tourisme

En mai 2023, accompagné de la charmante Aelita, je parcourrais une grande partie du nord-est de l’Arménie et faisais le tour du lac Sevan. L’objectif était de constater les conséquences liées à la guerre menée par l’Azerbaïdjan aux abords de la frontière arménienne. En effet, on commence à l’oublier, mais depuis la guerre dite de « 44 jours », depuis le 10 novembre 2020 (date du cessez-le-feu), l’Azerbaïdjan a ainsi envahi et spolié l’Arménie sur plus de 200 km2 de son territoire. C’est comme si l’Algérie s’était emparée de la ville de Marseille !

Avant Sotk, à l’est du lac, à 5 km de la frontière, la cité minière interdite parce que bombardée, nous nous arrêtons à Vardenis et rencontrons Artem qui nous parle de son site internet, https://guesthousevardenis.weebly.com. Il évoque son travail à la mairie et son activité dans le tourisme. Il accueille chaque année entre 200 et 300 touristes. L’année 2022 a été une très bonne année, « surtout après le Covid ». L’année 2023 est plus compliquée. Sa maison d’hôtes qu’il nous fait visiter est pour l’heure vide.

Le 4×4 sort de Vardenis. Nous croisons des écoliers. Nous ne sommes pas seuls sur la route. A 5 km de Sotk, sur la droite un barrage de militaires et de policiers nous fait signe de nous arrêter. Aelita sort du véhicule et discute avec eux. Impossible de continuer. « Nous ne pouvons pas aller à Sotk. Ils ne veulent pas. C’est pour notre sécurité. Ils laissent passer uniquement les véhicules des habitants de la région et de ceux qui vont travailler à la mine » explique-t-elle.

Nous ne pourrons pas rencontrer le maire et son adjoint, Xajakn Mkrtchyan et Ashot Barseghyan. Déjà, il y 8 mois, le 13 septembre 2022, Sotk était gravement bombardée, faisant des dizaines de morts, comme à Jermuk. Les élus avaient déclaré : « Nous ne quitterons jamais notre terre ».  Une terre très convoitée.

V comme Vin

En mai 2021, je me rendais pour la première fois en vallée d’Areni. En voiture, de la capitale Erevan, il faut compter plus ou moins 2 heures pour rejoindre la région de Vayots Dzor, plein sud. La route longe la frontière turque et le fameux mont Ararat. Puis, Areni, et sa vallée encaissée, recouverte de verdure et des premiers arbres en fleurs, se dévoile. Il faut passer un pont sous lequel coule, avec tumulte, l’Arpa. Le village d’Areni apparaît rapidement au détour d’un lacet.

Dans le ciel bleu vole un grand aigle noir et blanc, dont l’envergue peut dépasser les 4 mètres. Au loin, les murs d’un vieux monastère se dessinent et se dressent à plus de 1 300 mètres d’altitude. Les falaises alentours, aux arêtes coupantes comme un rasoir, ont revêtu leur bure rougeâtre. Ici, tout est sacré. Les plus vieilles pierres datent du 9è siècle. Puis, au 12è siècle le monastère est fondé avec quelques moines. La vie monastique s’y est éteinte progressivement avec la période soviétique. Sur la gauche, la première église s’appelle Sourp Astvatsatsin, Sainte-Mère-de-Dieu. Plus récente, et, plus grande, elle date du 14è siècle. Les moines avaient une particularité : ils étaient vignerons !

Sur la route, je rencontre Nadezhda et Aleksei, des Russes. Ils sont en vacances. Ce n’est pas la première fois qu’ils viennent en Arménie. Ils sont allés dans cette grotte où des archéologues de plusieurs nationalités ont découvert l’un des plus vieux chais du monde, qui date de 6 100 ans. La plupart des archéologues, des historiens et des biblistes sont quasiment unanimes : le vin serait né dans cette région d’Asie Mineure, dans cette Transcaucasie, ce Caucase du sud où se croisent les sources de l’Euphrate et du Tigre, aux pieds du mont Ararat.

Les premiers ceps de vigne auraient même été plantés par Noé, lui-même. Le seul rescapé avec sa famille du déluge. Dans les premières pages du livre de la Genèse, de la Bible, on trouve ce verset : « le vin réjouit le cœur des hommes et de Dieu ».

A Areni, en 1994, Rafik Simonyan et toute sa famille achètent un emplacement qui ressemble, plus à une baraque qu’autre chose. « Ici toutes les familles ont une parcelle de vin, pour leur consommation personnelle », expliquait-il. Né en 1961, ce terrien, qui aime ses racines plus que quiconque, est d’abord un intellectuel. Economiste, il a étudié dans les années 80 à l’Université d’Etat d’Erevan. Puis, il a débuté dans un autre domaine, comme il le raconte lui-même : « C’est amusant, mais les télécoms n’ont rien à voir avec le vin. J’étais le financier de la société américaine VOCA Télécom. » Il lâche tout car il a découvert son or : l’Areni noir ! Un des cépages les plus résistants que la planète bleue est connue…

30 ans plus tard, l’Arménie est reconnue comme « le berceau du vin ». L’un des derniers vignobles se situaient dans le Haut-Karabakh. C’était celui du banquier-vigneron Samvel Grigoryan, très prometteur. Mais, il a tout perdu lors de l’épuration ethnique de septembre 2023.

Voilà, mes 296 jours s’achèvent. L’Arménie me tient à l’âme. On me demande : « As-tu des racines arméniennes ? » Je réponds habituellement par la négative. Mais, je devrais répondre ceci : « Oui, j’ai des racines arméniennes. Elles sont apparues en 2021. Elles sont journalistiques, littéraires et spirituelles… » Elles sont amicales et fraternelles. Moi aussi, j’y ai versé des larmes… du côté de Latchine, de Yerablur, de Goris, de Gyumri, de Sevan, d’Etchmiadzin…

Le 9 septembre 2022 était publié la première œuvre de ma trilogie parue aux éditions SIGEST : Arthur, le petit prince d’Arménie.

 En 2025, mon vœu le plus cher ? Que les 23 prisonniers de guerre détenus à Bakou et tous les autres retrouvent la liberté. Et, que les 120 000 Arméniens retournent chez eux, dans le Haut-Karabakh. Que la Paix règne pour 1000 ans !! Ce peuple pacifique le mérite plus que tout autre !

De notre envoyé spécial Antoine BORDIER, consultant et journaliste indépendant.

Auteur de la trilogie Arthur, le petit prince (d’Arménie, du Liban, d’Egypte).

Pour le contacter, envoyez-lui un mail à : [email protected]

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