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Histoire du christianisme

2ème partie: Vatican II, l’histoire qu’il fallait écrire – Réponse au cardinal Marchetto et à Yves Chiron

2ème partie: Vatican II, l’histoire qu’il fallait écrire – Réponse au cardinal Marchetto et à Yves Chiron

La réédition du livre du Professeur de Mattei, Vatican II, l’histoire qu’il fallait écrire, a suscité diverses réactions et commentaires. Il est en particulier reproché par Yves Chiron (Aletheia n°356) au Professeur de Mattei de ne pas avoir tenu compte, dans cette réédition, des remarques formulées par le cardinal Marchetto sur son ouvrage originel. Nous publions ci-dessous la deuxième partie de la réponse du Professeur de Mattei au cardinal Marchetto (Il Foglio, 9 octobre 2012).

Quand la Tradition fut opacifiée

L’Eglise quitta son habit dogmatique pour endosser un nouvel habit pastoral et exhortatif, et non plus obligatoire et définitif. Mais s’exprimer en des termes différents de ceux du passé signifie accomplir une transformation culturelle plus profonde qu’il n’y paraît. Le style du discours et la façon dont on nous le présente révèlent en effet une façon d’être et de penser : le style, rappelle O’Malley, est l’expression ultime du sens. On peut ajouter que la révolution dans le langage ne consiste pas seulement à changer le sens des mots, mais aussi à omettre certains termes et notions. On pourrait donner de nombreux exemples : affirmer que l’enfer est vide, ce que le Concile ne fit pas, est certainement une proposition téméraire, sinon hérétique. Omettre ou limiter autant que possible toute référence à l’enfer comme le fit le Concile, revient à ne formuler aucune proposition erronée, mais constitue une omission qui prépare la voie pour une erreur encore plus grave que l’enfer vide : l’idée que l’enfer n’existe pas, parce qu’on n’en parle pas. Quand une chose est ignorée, c’est comme si elle n’existait pas. Mais ce langage ne s’est pas révélé adapté pour exprimer efficacement le message religieux et moral de l’Evangile. En renonçant à exprimer son enseignement avec autorité et vérité, l’Eglise a aussi renoncé à choisir entre le oui et le non, entre le blanc et le noir, ouvrant de larges zones d’ambiguïté.

Ce n’est pas un hasard si la principale caractéristique des textes conciliaires est l’ambiguïté. Romano Amerio fut le premier à mettre en lumière « le caractère amphibologique des textes conciliaires » (Iota Unum, Lindau, 2010), c’est-à-dire leur ambiguïté fondamentale, qui permet de les lire en continuité ou en discontinuité avec la Tradition précédente. Un document ambigu peut être explicité dans le sens de la continuité, comme Benoît XVI s’efforce de le faire, ou dans le sens de la discontinuité, comme le fait la théologie progressiste, mais il n’a jamais la limpidité et la clarté qu’ont les grands textes conciliaires de Nicée à Vatican I, auxquels on est sûr de pouvoir se référer sans erreur.

D’après l’école de Bologne, la dimension pastorale doit être considérée comme une nouveauté doctrinale implicite dans le discours d’ouverture de Jean XXIII, qui présentait le Concile comme un « saut en avant vers une pénétration doctrinale et une formation des consciences » ; il s’agissait, affirme Ruggieri, d’une « nouvelle orientation doctrinale, consistant surtout en la réinterprétation de la substance vivante de l’Evangile dans le langage qu’exige l’histoire actuelle des hommes et des femmes… ». La rupture apparemment seulement linguistique fut en réalité, selon les bolognais, une rupture doctrinale, car pour eux la façon dont on parle et on agit est doctrine qui se fait praxis. Comment ne pas voir dans cette conviction, qui était alors celle de Dossetti, et qui est aujourd’hui celle de ses héritiers, à travers Alberigo, la transcription au sein de l’Eglise de la catégorie gramscienne de praxis en vogue dans les années soixante ?

La praxis était la façon dont l’Eglise se rapportait au monde, et qui en effet changea au cours de ces années, abandonnant par exemple, comme le soulignent Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro, la langue latine, la prédication apologétique pour le peuple et le style définitoire et juridique (La Bella addormentata. Perché dopo il Vaticano II la Chisea è entrata in crisi. Perché si risveglierà[1]). Vatican II ne délibéra pas de façon explicite et solennelle sur leur suppression, et toutefois le vent du Concile balaya ces trois colonnes de la communication catholique, les remplaçant par une nouvelle façon de s’exprimer et de parler aux fidèles. Une fois accepté le primat de la praxis, on arriva à l’adoption de critères médiatiques comme de véritables catégories ecclésiales.

L’adoption du langage médiatique, propre au monde, contraignit l’Eglise à se soumettre à ses règles. Ceci explique le rôle de ce « paraconcile » auquel on voulut attribuer des responsabilités qui étaient pourtant celles de l’événement conciliaire lui-même (don Enrico Finotti, Vaticano II 50 anni dopo[2]Fede & Cultura, 2012, pp. 81-104). L’erreur de l’école de Bologne n’est pas de mettre en lumière la portée de la révolution pastorale, que les théologiens et historiens « continuistes » prétendent minimiser, mais de la présenter comme une « nouvelle Pentecôte » pour l’Eglise, en taisant ses conséquences catastrophiques. Leur erreur ne réside pas dans la reconstruction historique, généralement correcte, même si elle est parfois forcée, mais dans la prétention, typique de l’immanentisme moderniste, de faire de l’histoire un locus théologique.

« L’écoute de la Parole de Dieu » devient pour eux l’écoute du Verbe qui s’auto-révèle dans le devenir historique. Pour Ruggieri, l’expression la plus vraie de cette herméneutique historique serait la constitution Dei Verbum, alors que dans son introduction et au n°2, « elle ne sépare pas la révélation de l’événement de son écoute, et introduit ainsi l’histoire elle-même comme élément constitutif de l’auto-communication ». Même si l’expression la plus directe de cette herméneutique historique est certainement Gaudium et spes, car dans la rédaction de cette constitution, l’orientation fondamentale fut celle d’un regard réceptif à l’égard de l’histoire, comme lieu dans lequel se produit l’interpellation actuelle de Dieu, comme la reconnaissance explicite que « l’Eglise n’ignore pas tout ce qu’elle a reçu de l’histoire et de l’évolution du genre humain » (GS, 44) ».

La route à suivre n’est pas marquée par l’orientation que propose Giuseppe Ruggieri ni par celle qu’indique Mgr Marchetto, mais par le retour à la grande tradition historiographique de l’Eglise. L’herméneutique biblique contemporaine postule l’utilisation d’une instrumentation historico-critique pour analyser la dimension humaine de la sainte Ecriture, et mettre en lumière sa vérité au-delà des ingénuités apologétiques. Mais si, comme l’affirment les exégètes à la page, la voie royale pour s’approcher des sainte Ecritures est la méthode historico-critique, on ne comprend pas pourquoi le même type d’étude ne peut pas être appliqué à un événement historique comme Vatican II. On est étonné par la tentative de démythiser l’Ecriture, qui en vient à nier des dogmes centraux de la Foi catholique, et par celle de diviniser Vatican II, en en faisant un « superdogme » qui n’admet aucune critique ni révision d’aucune sorte.

Le cardinal Walter Brandmüller, président émérite du comité Pontifical pour les sciences historiques, a promu en 2012 quelques séminaires d’étude sur Vatican II, rassemblant des spécialistes de différentes tendances. Ces colloques ont été une bonne occasion de retirer de Vatican II ce voile  « d’intouchabilité » qui empêche tout approfondissement sérieux, et d’en faire l’objet d’une analyse pacifiée visant à le placer au sein de l’histoire de l’Eglise non comme le premier ni comme le dernier mais comme le vingt-et-unième Concile œcuménique de l’Eglise. Il faut souhaiter que l’Année de la Foi instaurée par Benoît XVI contribuera à cette œuvre de revisitation historique, si importante pour comprendre les causes de la crise religieuse et morale contemporaine.

Roberto de Mattei

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