Ce 22 janvier, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe examinait en vue de son adoption un rapport tout récemment issu de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, intitulé « Compatibilité de la charia avec la Convention européenne des droits de l’homme : « des Etats parties à la Convention peuvent-ils être signataires de la « Déclaration du Caire » ? ». Dans ce document, la commission, rappelant que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a déjà déclaré que «l’institution de la charia et d’un régime théocratique est incompatible avec les exigences d’une société démocratique» écrit que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est préoccupée par le fait que trois Etats membres du Conseil de l’Europe, Albanie, Azerbaïdjan et Turquie, sont signataires de la déclaration du Caire, de même que la Jordanie, le Kirghizstan, le Maroc et la Palestine dont les parlements jouissent du statut de partenaires pour la démocratie auprès de l’Assemblée. Elle estime qu’en matière de droits de l’homme, il n’y a pas de place pour les exceptions religieuses ou culturelles.
Dans un article récent sur le Salon beige, Gregor Puppinck précisait que le rapport avait bien été voté.
Le site du conseil de l’Europe, par la mise à disposition de l’enregistrement vidéo de la séance, permet de retirer quelques enseignements de la discussion de deux heures qui a eu lieu.
1-Beaucoup d’interventions appuyant bien le caractère jugé incompatible entre la charia et la Convention européenne des droits de l’homme : « claire contradiction entre charia et droits de l’homme », « il faut lutter contre l’émergence des sociétés parallèles », « Les trois pays doivent être appelés clairement à rejeter la déclaration du Caire », « pas un pas en arrière ».
Et d’ailleurs, l’amendement suivant « Après que le rapport indique que la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que l’institution de la charia et d’une société théocratique était entièrement incompatible avec une société démocratique, insérer les mots « L’assemblée partage totalement ce point de vue » » a été adopté.
2- Divers témoignages sur la mise en place progressive de sociétés parallèles par application de la charia et tout d’abord au Royaume-Uni :
« Il y a aujourd’hui environ 100 000 couples qui vivent dans des mariages musulmans, qui ne sont pas reconnus par la législation britannique. Les femmes de ce type de mariage pensent que leur mariage est enregistré au civil, mais ce n’est pas le cas. Et à partir de là, en cas de divorce, elles ont très peu de droits. ».
Pourtant, en 2008, la Chambre des Lords a déclaré que la charia n’est pas compatible avec les droits de l’homme. Et d’un autre représentant britannique :
« L’application de la charia au Royaume-Uni est devenue inquiétante. C’est devenu une forme de résolution alternative des litiges. Or, dans l’ordre juridique britannique, ce n’est absolument pas légitime ».
Confirmation de la part du représentant français :
« Au Royaume-Uni, le système des muftis n’est pas reconnu par la loi, heureusement. Pourtant ce système prospère. Et beaucoup de pression familiale et sociale s’exerce sur les femmes. La charia est manifestation incompatible avec notre Convention. ».
Et même au Danemark le phénomène est noté :
« Le radiodiffuseur public danois a fait un long reportage en secret au sein d’une grande mosquée dans laquelle des décisions sont prises sur la base de la charia ».
3- Deux positions tout à fait opposées : Estonie et Turquie.
- Le représentant de l’Estonie :
« Cette question est éminemment importante et elle sera de plus en plus sérieuse à l’avenir en fonction du nombre de musulmans qui ne cesse malheureusement d’augmenter en Europe. La charia n’est en rien compatible avec les valeurs européennes. Ce qui est inquiétant, c’est que la jurisprudence qui repose sur la charia a commencé à s’établir en Europe où le nombre de musulmans ne cesse de croître. Cela représente un énorme risque en matière de sécurité parce que nous assistons à la création de sociétés parallèles qui ne sont pas en accord avec nos valeurs historiques et nos valeurs chrétiennes. Ce rapport devrait contraindre ces Etats à se décider : à eux de nous dire les valeurs auxquelles ils souhaitent adhérer, charia ou Convention. Les pays qui veulent continuer à être membre du COE doivent tout simplement se retirer de la Déclaration du Caire.»
- Le représentant de la Turquie, l’un des pays visés par la position du rapport :
« J’ai lu le rapport avec beaucoup d’attention. Bien entendu j’appuie la vision comme quoi en matière de droits humains il n’y a aucune place pour des exceptions qui seraient religieuses ou culturelles. Mais je pense que le rapport passe à côté de son objectif, à savoir jeter des passerelles de compréhension.En premier lieu, il n’est pas nécessaire de discuter de la conformité de la charia avec la Convention européenne des droits de l’homme étant donné que cette question est déjà clarifiée par la Convention qui doit être transférée dans la législation nationale. D’ailleurs aucun état partie de la Convention ne réclame d’exception culturelle ou religieuse. S’il y a des faiblesses, elles n’ont rien à voir avec la charia ou avec la Déclaration du Caire, mais si elles existent, c’est tout simplement lié à la mauvaise mise en œuvre de la législation nationale par les états signataires… Le rapport parle de façon conséquente de la loi de la charia comme s’il y avait un code. Le rapport parle de généralités et décrit en fait un concept de la charia très étroit, très tendancieux dont peu de musulmans se réclament. Et cela ne passerait pas un test scientifiqu Par ailleurs, on cite le Coran dans des citations qui n’existent pas ou alors on y cite des exemples qui sont abrégés que personne ne revendique. D’ailleurs la déclaration du Caire est un consensus qui n’a rien de contraignant. Je suis véritablement consterné de voir à quel point nous avons tant d’experts de l’islam ici alors qu’on se rend compte qu’il y a une telle incompréhension du concept de charia en Europe.»
4- Enfin, une ligne de partage entre deux positions possibles résumées d’abord par un représentant britannique : « faut-il ériger des passerelles ou dresser des barrières ? ». De façon constante, pendant la discussion, le représentant de la Commission « Egalité et non-discrimination » milite pour le premier terme de l’alternative :
« Toutes les religions doivent être traitées sur un pied d’égalité, quelles qu’elles soient, et on doit respecter bien évidemment les athées, les agnostiques, et donc notre état d’esprit nous commande de vous proposer des amendements qui justement vont dans ce sens, c’est-à-dire la promotion et non la discrimination. Si nous sommes trop durs, et si nous dénonçons trop fortement certains faits, et bien nous risquons d’avoir une charia souterraine dans certains pays qui sera beaucoup plus sournoise et c’est ce qu’on voit dans certaines banlieues ».
C’est beau comme un accord de Munich….
La commission de ce fait présente plusieurs amendements :
- L’amendement : « Supprimer les mots « L’Assemblée est consciente que des tribunaux islamiques informels peuvent exister dans d’autres états membres du conseil de l’Europe », car nous estimons que c’est discriminatoire et qu’il n’y a pas de preuve dans ce rapport. » est rejeté.
- L’amendement pour « remplacer le titre du rapport « Compatibilité de la charia avec la Convention européenne des droits de l’homme : « des Etats parties à la Convention peuvent-ils être signataires de la « Déclaration du Caire » ?» par le titre « La charia, la déclaration du Caire et la Convention européenne des droits de l’homme » » est par contre adopté. Ainsi, alors que tout le débat portait sur cette notion d’incompatibilité entre les deux sources possibles de droit, escamotage de dernière minute pour la faire disparaître du titre (pour, comme indiqué par la Commission « permettre de mettre une passerelle et un dialogue interculturel »)! C’est vraiment l’art de se faire posséder.
On a aussi appris que l’OCI (Organisation de coopération islamique) réfléchit à une mise à jour de la Déclaration du Caire. Elle devrait être publiée en 2019. A suivre.
Lamy
Parler d'”incompatibilité” entre quelque chose (ici la Charia) la démocratie est absolument touchant de naïveté !
La démocratie ne définit pas un contenu, mais juste un contenant qui assure que la majorité sera suivie.
Qu’une majorité vote la Charia et ce sera la Charia : en cela tout sera parfaitement conforme à la démocratie.
C’est comme la peine de mort ou l’avortement : en démocratie la clan le plus nombreux a raison et l’autre a tord, point.
Il n’y a donc aucune “valeur” en démocratie, juste cette bêlante loi du nombre.
incongru
comme le dit l’auteur de l’article, Munich est là!
les tergiversations pour entériner une édulcoration des incompatibilités sont un cas d’école, et la réponse turque un autre, “comment noyer le poisson”.
je ne pense pas qu’un accord puisse être obtenu, c’est l’éternel dialogue islam-reste du monde