Dans le JDD, Charlotte d’Ornellas analyse le réquisitoire définitif du parquet de Melun dans l’enquête sur l’accident provoqué par Pierre Palmade. Le ministère public réclame le renvoi de l’humoriste devant le tribunal correctionnel pour y être jugé des faits d’« homicide et blessures involontaires aggravés ».
[… ] Dans la voiture brutalement accidentée par le comédien, il y a eu plusieurs personnes gravement blessées et une seule mort : celle d’un fœtus de six mois et demi. Ce fœtus qui d’habitude s’efface dans le débat sur l’avortement, derrière le seul droit des femmes à disposer de leur corps.
Mais derrière les discussions, il y a des vies : invisible dans le débat, cette réalité ne l’est certainement pas dans l’expérience de la plupart des femmes qui ont recours à l’avortement la mort dans l’âme, qui en pleurent ou se murent dans le silence parce que cette douleur ne trouve aucune oreille pour s’exprimer. Car ces femmes existent aussi, sans que personne s’en soucie jamais, en pensant pourtant les défendre.
Cette femme, victime de Pierre Palmade, n’a aucun doute : elle a perdu sa « fille ». Personne, dans ce moment de compassion et d’émotion, n’a eu l’idée de confondre ce petit être niché en son sein avec son propre corps de femme, personne n’a osé lui répondre qu’il n’y avait pas de vie, ou qu’elle venait de perdre un amas de cellules… Palmade lui-même n’élude pas cette réalité devant le juge d’instruction :
« Je suis responsable de la mort d’un enfant […] Mon accident a tué ce bébé dans son ventre. Qu’il soit mort avant ou après l’accouchement, le résultat est le même, c’est de ma faute. »
C’est sans doute la raison pour laquelle le parquet a décidé de poursuivre pour « homicide involontaire aggravé ». Au risque de provoquer des débats interminables. Parce que la défense de l’avortement exige une prudence terrible en matière de droit : une expertise médicale, réclamée pendant l’instruction, avait conclu à la mort de l’enfant in utero, avant l’accouchement que l’accident avait provoqué. Et cela le prive, au moins selon la jurisprudence actuelle, du statut juridique d’être vivant, et donc de victime potentielle d’homicide volontaire ou involontaire.
Le parquet le sait d’ailleurs, et le précise :
« en application de la jurisprudence de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, l’incrimination prévue par l’article 221-6 du Code pénal et réprimant l’homicide involontaire d’autrui devrait être écartée. »
Mais le parquet insiste pourtant en évoquant la « viabilité » de l’enfant à naître, son poids, et le lien direct entre l’accident et la mort in utero de l’enfant.
« Les observations déposées par le conseil [de la mère] et relatives à l’octroi de la personnalité juridique à l’enfant viable, statut lui permettant d’être protégé par le droit pénal, méritent un débat devant la juridiction de jugement », développe en effet le parquet de Melun, faisant droit à une demande déposée par l’avocat des victimes, maître Mourad Battikh. Et de rappeler qu’un tribunal du sud de la France avait déjà condamné un chauffard pour homicide involontaire, dans les mêmes circonstances et malgré la jurisprudence de la Cour de cassation.
Si la décision finale sur la qualification des faits revient désormais à la juge d’instruction, le débat s’impose pourtant à chaque conscience. Et il n’est pas nouveau. Qu’est-ce que l’embryon ? Comment définir un fœtus ? Interrogée à ce sujet par une mère avortée par erreur, et contre son gré, la CEDH avait répondu en 2004
« qu’il n’est ni souhaitable, ni même possible actuellement de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une “personne” au sens de l’article 2 de la Convention ».
À l’inverse, la Cour de cassation accorde depuis 2008 la possibilité de déclarer les fœtus nés sans vie à l’état civil, indépendamment du terme et de la viabilité. Mais qu’inscrit-on à l’état civil sinon une personne ? Un être ? Une vie ? Un être en puissance ? Une « pièce anatomique », comme le disait auparavant le droit ? Rien ? Quelque chose ?
La justice peine à répondre à cette mère avortée par erreur, à ces parents qui pleurent de l’inexistence de leur enfant après une fausse couche, à cette mère qui perd son enfant dans un accident de voiture, parce qu’elle sait que la réponse aura des conséquences. Si elle reconnaît l’homicide involontaire sur un fœtus, alors qu’est-ce que l’avortement ? La seule « viabilité » définit-elle une nature ou un degré de développement ? Peut-on raisonnablement parler de vie et de personne dans un cas, et nier leur existence dans l’autre ? Peut-on croire que la réalité biologique de ce qu’est l’embryon ou le fœtus dépend uniquement du désir de la mère sur lui ?
En 1975, Simone Veil a affronté cette réalité. C’est pourquoi elle parlait de « drame » qu’il fallait à tout prix « éviter », et qu’elle espérait que les « générations futures » se battraient pour choisir la « vie ». C’est pourquoi aussi, elle accordait une clause de conscience au personnel médical qui ne devrait « jamais » être obligé de poser un tel acte contre sa propre conscience. Au fil des années, la réalité du drame s’est effacée devant la revendication progressiste de l’émancipation de la femme : le drame est devenu droit, droit fondamental, droit constitutionnel.
Mais une question demeure, qui hante des consciences, affaiblit ou détruit des couples, indispose des médecins, épuise des gynécologues, blesse des infirmières, fait pleurer des mères : que cache-t-on derrière la « grossesse » que l’on « interrompt volontairement » ? Quelle différence fondamentale y a-t-il entre un fœtus de 12 ou de 14 semaines ? Voire de 15 ou 22 dans le pays d’à côté ? Pourquoi est-ce interdit d’avorter à 32 semaines, à moins qu’un handicap soit décelé ? Pourquoi est-ce émouvant de montrer une échographie à une future mère et maltraitant de le faire avec celle qui a décidé d’avorter ? Quelle différence de réalité ?
Est-ce vraiment libérer la femme que d’interdire ce débat et de la laisser seule en face d’une réalité que tout son être décèle pourtant ? Il est inutile de nous déclarer libres et fiers si nous sommes incapables d’affronter ces questions et d’y répondre comme des adultes : en assumant nos responsabilités.
Collapsus
Ces contorsions jurisprudentielles pour essayer de trouver une cohérence juridique et doctrinale seraient risibles si elles ne concernaient pas un sujet si dramatique. En résumé, si le fœtus est tué par un tiers, c’est un être humain et donc un homicide. Si c’est sa mère qui l’assassine, c’est un tas de cellules, une tumeur et un simple acte médical.
Nous avons les mêmes absurdités avec l’IMG qui autorise l’avortement jusqu’à 9 mois. À huit mois et demi, ce n’est qu’une thérapie pour soulager une “détresse psychosociale”, après l’accouchement c’est un infanticide ! Bonjour la cohérence sémantique.
Janot
Les commentaires dédouanant Simone Veil qui ne voulait pas … qui n’aurait pas voulu … qui n’imaginait pas … qui n’aurait jamais pensé que … qui serait aujourd’hui contre … m’énervent au plus haut point. C’est quand même elle qui a lancé le processus infernal. Un peu comme Giscard (dont elle faisait partie des acolytes) qui trouvait qu’en fin de compte le regroupement familial n’était pas une bonne idée, après l’avoir imposé à la France. Les deux sont à fourrer sans le même sac, dans les poubelles de l’Histoire.
Hubert
Bravo !
lavergne21
D’accord, c’est un peu facile de dédouaner Simone Veil de ses responsabilités : les maigres digues qu’elle avait en place n’ont-elle pas sauté les unes après les autres ? Reste la clause de conscience des soignants mais LFI, suite à la constitutionnalisation, demande déjà sa suppression, d’autant qu’elle s’oppose à la “liberté garantie” de l’IVG, qui pourrait être considérée, si les mots ont un sens, un droit opposable ?!