Le père Thomas Michelet, dominicain chargé de cours de sacramentaire à l’Angelicum, répond à Jean-Marie Dumont dans Famille chrétienne sur Amoris laetitia sans esquiver les ambigüités du texte :
“L’exhortation du pape « La Joie de l’amour » ouvre-t-elle la porte de l’eucharistie aux personnes divorcées remariées ?
Elle ne l’ouvre ni ne la ferme. La question n’est pas posée en ces termes mais plutôt en termes de « logique d’intégration », dans plusieurs domaines : liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel (n. 296). Cela suppose de redécouvrir que l’eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne, n’est pas le tout et qu’il y a d’autres lieux de communion.
L’exhortation apostolique Familiaris Consortio réaffirmait la discipline de l’Église « fondée sur l’Ecriture Sainte, selon laquelle elle ne peut admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés ». Cette disposition est-elle caduque ?
Familiaris Consortio n. 84 soulignait qu’un remariage après divorce était en contradiction objective avec la communion d’amour entre le Christ et l’Église qui s’exprime dans l’Eucharistie. Cela demeure, mais on ajoute le point de vue complémentaire de la conscience des personnes, qui n’ont pas nécessairement la perception subjective d’une telle contradiction.
L’exhortation apostolique Familiaris Consortio prévoyait que des divorcés remariés ne pouvant pas, pour de graves motifs (éducation des enfants), rompre leur nouvelle union, pouvaient accéder aux sacrements de pénitence et de l’eucharistie, à condition notamment de vivre dans la continence. L’exhortation apostolique « La joie de l’amour » va-t-elle plus loin ?
Cette voie d’accès aux sacrements reste valable (n. 295 et note 329) mais on admet que, dans certains cas, la séparation pouvait être inévitable et même moralement nécessaire (n. 238) ; de même dans la nouvelle union, la « grande difficulté à faire marche arrière sans sentir en conscience qu’on commet de nouvelles fautes », certaines circonstances pouvant diminuer considérablement la liberté de choix (n. 295 et 298).
L’exhortation apostolique « La joie de l’amour » remet-elle en question certaines dispositions de Familiaris consortio ?
Sans renoncer à l’approche objective de Familiaris consortio et du Canon 915 du code de droit canonique, il faut considérer le plan subjectif pour lequel « il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite ‘‘irrégulière’’ vivent dans une situation de péché mortel » (n. 298). Or on ne peut communier avec un péché grave sur la conscience (Catéchisme 1384, 1415). Donc si l’on n’a pas de péché grave en conscience, ne faut-il pas en conclure que l’on peut communier ?
Que penser de la note 351, qui semble introduire une forme d’ambiguïté ?
C’est la suite de la distinction précédente entre les deux plans, dont on tire la conclusion. Dans une « situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement » (n. 302), la note 351 évoque « l’aide des sacrements » ; alors que le point de vue objectif dans Familiaris consortio et le Canon 915 s’y oppose.
Quel regard portez-vous d’une manière plus générale sur l’approche qui est faite, dans l’exhortation apostolique La Joie de l’amour, de la question des divorcés remariés ?
Les deux plans (objectif et subjectif) ne sont pas suffisamment intégrés. On risque alors d’aboutir à la « double morale » que dénonçait Veritatis Splendor (n. 56) et que veut éviter Amoris laetitia (n. 297) : d’un côté une morale de l’objectivité qui parle de péché grave et interdit l’accès au sacrement ; de l’autre une morale de la conscience qui le nie.
Quelles sont les questions que soulève l’exhortation apostolique sur ce sujet, et qui pourraient donner lieu à une recherche/ un approfondissement théologique ultérieur ?
Si l’on veut que « Amour et Vérité se rencontrent » (Amoris laetitia et Veritatis Splendor), il faut articuler les deux plans en rappelant que le « discernement selon l’enseignement de l’Église » (AL 297) doit viser la réception de la norme au for interne, la prise de conscience de la contradiction objective, et ainsi la décision mûre de ne plus communier tant que cette contradiction ne sera pas pleinement résolue en vérité.”