La revue Sedes Sapientiæ a publié dans son dernier numéro (n° 137) une étude sur « l’imputabilité du péché mortel dans l’exhortation apostolique Amoris lætitia ». Le blog de l'Homme Nouveau en reproduit une partie. Extrait :
"Bien qu’elle soit dépourvue de valeur normative au plan doctrinal, l’exhortation apostolique ne peut manquer d’attirer l’attention du théologien. En effet, l’affirmation centrale du chapitre 8 d’AL sur l’imputabilité du péché mortel apparaît comme inédite dans un document magistériel. D’où la question de sa compatibilité avec l’enseignement formel de l’Église sur le sujet.
- Un enseignement nouveau
Le Catéchisme de l’Église catholique (CEC) distingue deux catégories de péchés en fonction de leur gravité: le péché mortel, infraction grave à la loi divine, qui détruit la grâce sanctifiante et la charité (CEC, n° 1855 : « Lepéché mortel détruit la charité dans le cœur de l’homme par une infraction grave à la loi de Dieu ; il détourne l’homme de Dieu, qui est sa fin ultime et sa béatitude en Lui préférant un bien inférieur. »), et le péché véniel, qui laisse subsister la grâce sanctifiante, mais s’oppose à la tendance actuelle de l’homme vers Dieu (CEC, n° 1855). D’après le CEC, «pour qu’un péché soit mortel, trois conditions sont ensemble requises : “Est péché mortel tout péché qui a pour objet une matière grave, et qui est commis en pleine conscience et de propos délibéré.” » La matière grave, condition objective du péché, est déterminée par les dix commandements (CEC, n° 1858). Les autres conditions, relatives au sujet qui agit, déterminent le caractère volontaire et donc imputable de l’acte :
Le péché mortel requiert pleine connaissance et entier consentement. Il présuppose la connaissance du caractère peccamineux de l’acte, de son opposition à la loi de Dieu. Il implique aussi un consentement suffisamment délibéré pour être un choix personnel. L’ignorance affectée et l’endurcissement du cœur (cf. Mc 3, 5-6 ; Lc 16, 19-31) ne diminuent pas, mais augmentent le caractère volontaire du péché (CEC, n° 1859).
Selon le CEC, pèche mortellement celui qui a conscience que tel acte porte sur une matière grave et qui en fait néanmoins l’objet d’un choix délibéré (l’ignorance volontaire ou l’endurcissement du cœur, c’est-à-dire le ferme propos de persister dans le péché connu comme tel, ou du moins l’approbation formelle d’un comportement moralement mauvais, aggrave subjectivement la gravité de la faute. Cf. Rm 1, 32.). Certes, en altérant le caractère volontaire de l’acte, certains conditionnements peuvent en diminuer la gravité subjective, et même la supprimer:
L’ignorance involontaire peut diminuer sinon excuser l’imputabilité d’une faute grave. Mais nul n’est censé ignorer les principes de la loi morale qui sont inscrits dans la conscience de tout homme. Les impulsions de la sensibilité, les passions peuvent également réduire le caractère volontaire et libre de la faute, de même que des pressions extérieures ou des troubles pathologiques. Le péché par malice, par choix délibéré du mal, est le plus grave (CEC, n° 1860).
L’imputabilité de la faute dépend donc de son caractère volontaire. Ainsi, tout ce qui trouble le fonctionnement de l’intelligence et de la volonté, par conséquent la maîtrise de l’homme sur ses actes, tend à diminuer la gravité de la faute. Une ignorance involontaire, une passion violente susceptible de troubler le jugement de conscience ou d’entraîner les facultés motrices avant la délibération, des pathologies qui suscitent des comportements compulsifs, des «pressions extérieures» qui limitent ou suppriment l’autonomie du sujet peuvent donc faire qu’un acte portant sur une matière grave soit, pour le sujet qui le commet, un simple péché véniel ou même un acte indifférent.
Or, à ces conditionnements, AL ajoute d’autres facteurs, censés diminuer l’imputabilité de l’acte objectivement désordonné sans diminuer son caractère volontaire, puisque l’acte gravement désordonné reste délibérément choisi:
Un sujet, même connaissant bien la norme, peut avoir une grande difficulté à saisir les « valeurs comprises dans la norme » ou peut se trouver dans des conditions concrètes qui ne lui permettent pas d’agir différemment et de prendre d’autres décisions sans une nouvelle faute (301).
Il s’agit donc de faire le choix de vivre ou de continuer à vivre dans une situation objective de péché sans que ce choix soit imputable ou pleinement imputable, en raison de circonstances qui rendent moralement impossible une autre décision. Rompre avec le péché en prenant les moyens appropriés serait trop onéreux pour le sujet et son entourage, étant donnée leur situation concrète. [Lire la suite]"
Par ailleurs, le père Louis-Marie de Blignières, fondateur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, a réalisé de son côté une étude critique sur le chapitre 8 de l’Exhortation apostolique Amoris Laetitia. Elle a été communiquée, avant sa publication dans la revue Sedes Sapientiæ à plusieurs évêques et cardinaux qui ont manifesté leur gratitude et leur accord. Le cardinal Carlo Caffarra, célèbre moraliste, premier Président de l’Institut Jean-Paul II pour le mariage et la famille, et archevêque émérite de Bologne, a notamment écrit:
« J’ai lu et relu avec grande attention le texte que vous m’avez envoyé. C’est un texte excellent, que j’approuve pleinement. C’est une des meilleures études que j’ai lu sur ce sujet. »