De Bernard Mitjavile :
Derrière le terme Apocalypse signifiant simplement action de révéler ou de lever un voile en grec, voile qui nous empêche de voir la vérité ultime sur Dieu et sur l’homme, on a souvent tendance à voir une série de catastrophes et de destructions amenant à la fin de l’humanité et la destruction de la terre. Ces visions quelque peu pessimistes sont renouvelées aujourd’hui par des courants radicaux écologistes ou malthusianistes. Or cette compréhension du texte de l’Apocalypse n’a pas grand-chose à voir avec celle des premiers chrétiens persécutés sous Néron ou un autre César et qui attendaient avec espoir et impatience la victoire des forces du bien sur le mal et le retour du Christ.
On retrouve ces scénarios pessimistes chez les « prêcheurs d’Apocalypse » ou collapsologues dénoncés par Donald Trump lors du forum de Davos en janvier dernier, ceux qui nous promettent une chaîne de catastrophes jusqu’à la catastrophe finale ou qui découragent les jeunes d’avoir des enfants en expliquant qu’un nouvel enfant a une empreinte carbone très supérieure à l’achat d’un 4×4 Diesel puissant, ce qui en passant serait bien ennuyeux pour l’équilibrage de nos régimes de retraites basés sur la répartition entre générations.
Ces collapsologues ne tiennent simplement pas compte de la créativité humaine qui tout au long de l’histoire a permis à l’humanité de s’adapter et surmonter des défis au moins aussi importants que les défis actuels.
Grâce à cette créativité, la terre arrive aujourd’hui à nourrir une population de 7 milliards d’individus, ce qui aurait fait frémir d’horreur un Thomas Malthus, ancêtre de certains courants écologiques actuels, qui prônait l’arrêt de toute aide aux nécessiteux ou pauvres en Angleterre pour éviter leur multiplication à une époque où la population mondiale dépassait tout juste le milliard. Pourtant, malgré cette augmentation rapide de la population, le pourcentage de personnes souffrant de malnutrition a décliné régulièrement, pas assez vite au vue des souffrances endurées mais passant quand même de 19% à 11% entre 1990 et 2015.
Cette conception de l’Apocalypse comme destruction finale du monde terrestre part d’une compréhension erronée de la Bible qui a influencé notre culture occidentale. Ainsi la Bible dans la Genèse nous dit que Dieu créa l’homme et l’univers et vit « que cela était bon » dépeignant un Dieu fier de sa création qui a nul désir de voir l’élimination finale du monde minéral, végétal et animal si complexe et remarquable et qui a nécessité des milliards d’années à se développer. Les Psaumes dans l’Ancien Testament contredisent aussi cette idée de destruction finale de l’univers avec le Psaume 33 :6 qui nous dit que Dieu a bâti son sanctuaire « comme la terre qu‘il a fondée pour toujours. »
Malgré cela, cette conception a continué à influencer de nombreuses personnes au cours de l’histoire du christianisme comme on peut le voir dans les peintures et sculptures des églises ou les sermons sur le jugement dernier. Ces idées se basent en général sur une interprétation littérale de la littérature apocalyptique et en particulier de certaines images de l’Apocalypse de Jean, notamment l’idée d’une catastrophe cosmique avec entre autres les étoiles qui tombent sur la terre et autres évènements cosmiques alors que ces étoiles représentent clairement des anges selon une symbolique utilisée à diverses reprises dans la Bible. C’est ainsi qu’un tiers des étoiles sont jetées du ciel sur terre avec le dragon représentant le diable dans l’Apocalypse et dans Isaïe Lucifer est représenté par l’astre du matin ou Vénus.
Cette vision quelque peu pessimiste de l’avenir ou de la fin des temps va de pair avec une dévalorisation du monde terrestre vu comme une « vallée de larmes », dans laquelle les souffrances endurées servent de préparation au paradis céleste. On retrouve cet état d’esprit dans certains chants traditionnels ou Gospels très touchants mais qui décrivent la vie avant tout comme une série de souffrances et d’épreuves que le croyant traverse dans l’attente de passer « de l’autre côté de la rivière » pour retrouver ses parents et amis au paradis.
Cette vision d’une destruction finale du monde physique a placé les prédicateurs chrétiens dans une position de faiblesse face aux marxistes et autres réformateurs sociaux qui, au lieu d’une vallée de larmes, promettaient un monde meilleur sur cette terre, réformateurs qui n’ont pas toujours tenu leurs promesses mais c’est un autre débat.
Ces interprétations divergentes des textes apocalyptiques sont importantes même si l’on ne s’intéresse pas aux religions car elles ont marqué notre culture occidentale, se retrouvant dans toutes sortes d’œuvres d’art ou sermons et réapparaissant à la surface, laïcisées ou déchristianisées, dans des courants marxistes avec le Grand soir, image poétique annonçant la venue de la société sans classes sur terre, ou chez des courants écologistes radicaux qui plutôt que d’annoncer un monde idéal renouvellent aujourd’hui la peur de l’an mil.
Ainsi, dans un entretien au Point en Novembre 2018, Nicolas Hulot, alors qu’il avait récemment quitté le gouvernement, nous annonçait que « dans deux ans et demi », si rien n’était fait pour se conformer aux objectifs en émission de carbone de la conférence de Paris sur le climat, nous attendrions « le point de non retour », avec une série de catastrophes incontrôlables. Nous y arrivons vu que ni les USA, ni l’Inde ou la Chine, ni même la Pologne ou l’Allemagne n’ont fait particulièrement d’efforts, sinon le contraire, concernant leurs émissions en CO2, et donc l’avenir selon ces écologistes est très sombre.
Une autre perspective
Mais cette perspective n’est pas la seule dans le christianisme. Ainsi selon Françoise Breynaert, auteur de « La Venue glorieuse du Christ, Véritable espérance pour le monde », il y a dans le christianisme occidental un problème venant de l’augustinisme, qui laisse imaginer que le monde serait voué à la destruction à l’occasion d’un jugement final. Cette sœur catholique ajoute avec un certain humour que « Si telle est la destinée du monde des prédicateurs, autant détruire le monde tout de suite ! ».
Tout en décrivant des épisodes catastrophiques de la lutte entre le bien et le mal dans un récit riche en symboles, l’Apocalypse de Jean nous parle du jour où Dieu vivra au milieu des hommes sur une terre nouvelle ou plutôt renouvelée, libérée du péché, et « essuiera toutes les larmes et la mort ne sera plus ». Bien sûr, les récits apocalyptiques dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament annoncent des catastrophes diverses mais l’important, c’est l’immense espoir qu’ils représentent ou ont représenté, en particulier pour les premiers chrétiens, d’une victoire des forces du bien sur le mal et d’une réconciliation entre l’humanité et Dieu avec la venue d’une nouvelle terre et de nouveaux cieux, la terre comme les cieux n’étant pas à prendre au sens purement physique et non l’attente d’une destruction finale du monde physique.
L’idée d’un jugement final des vivants et des morts que l’on retrouve dans le Credo catholique est importante comme représentant la victoire du bien sur le mal mais cette victoire ne fait que précéder la venue du Royaume, de la terre et du ciel nouveaux. On peut constater une nette différence de perspective entre, d’une part les différents Crédos des premiers siècles résultants de longs débats entre théologiens et, d’autre part, la simplicité évangélique de la Bonne Nouvelle annoncée à tous, en particulier aux pauvres ou aux captifs, bonne nouvelle de la venue du royaume de Dieu et sa justice.
Pour Jésus, il s’agit de « chercher le Royaume avant toute chose » et l’expression du Notre Père, la prière universelle des chrétiens, « Que ton Royaume vienne, Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! » indique clairement une dimension terrestre de ce Royaume tel qu’il est enseigné par Jésus.
Cette conception reprend l’espérance messianique juive de la venue du jour où Jérusalem sera libérée de ses ennemis intérieurs dont l’idolâtrie et l’oppression des pauvres et ennemis extérieurs (Syriens, babyloniens, perses, grecs romains et autres), ce qui amènera une ère de paix universelle, de réconciliations entre les hommes avec une nouvelle Jérusalem ou une Jérusalem céleste comme centre , et même entre les hommes et la création avec une image comme celle du loup qui habite avec l’agneau dans une prophétie d’Isaïe.
L’historien Jean Delumeau a montré dans un ouvrage collectif avec le médiéviste Umberto Eco, le paléontologiste Stephan Jay Gould et l’écrivain Jean-Claude Carrière « Entretiens sur la fin des temps » que cet espoir, loin d’engendrer une attitude passive d’attente au cours de l’histoire, a poussé des groupes d’hommes à agir de façon radicale pour créer de nouvelles structures sociales. Il montre l’importance de cet espoir qualifié de millénariste que l’on on retrouve au Moyen Age avec l’idéal du Royaume de Jérusalem sous le règne de Baudouin 6, « le roi lépreux » popularisé par le film « Kingdom of Heaven ». Delumeau rappelle aussi le renouveau du millénarisme avec les écrits de Joachim de Flore avec sa théorie des 3 âges (âge du Père, du Fils et de l’Esprit représentant le règne de la loi, celui de la foi et celui de l’esprit ou l’amour) et son impact chez certains Franciscains qui voyaient St François annoncer cet âge de l’esprit. C’est cette vision qui guidait les Jésuites au Paraguay cherchant à construire une société idéale avec les indiens Guarani. C’est ce même type d’espoir qui poussera les pères pèlerins, fondateurs de l’Amérique à jeter les bases d’une nouvelle société alors qu’ils étaient dans des conditions de survie précaire après leur arrivée en Nouvelle Angleterre, les Mormons à aller dans l’ouest des Etats-Unis cherchant à réaliser loin de tous dans les déserts de l’Utah leur idéal social et religieux.
Ces tentatives teintées de millénarisme ont souvent échoué sur le court terme, comme pour les puritains au 17ème siècle avec le retour en force de l’Eglise Anglicane et une certaine persécution à l’encontre des dissidents ou en Allemagne, lors de la révolte des paysans férocement réprimée et condamnée par Luther suivie par la révolte des anabaptistes à Munster, ville considérée par eux comme la nouvelle Jérusalem. Mais même ces échecs ont été fructueux, ainsi, après diverses persécutions en Europe, ces mouvements par l’intermédiaire des « pères pèlerins » du Mayflower ou d’autres groupes d’immigrants ont influencé les mouvements baptistes ou autres mouvements de renouveau chrétiens aux USA et marqué la société américaine, sans parler de l’influence de ces divers mouvements à travers le monde.
Au-delà de ces divers mouvements, cette attitude s’est traduite par une approche positive à l’égard de la vie et des capacités de l’homme à améliorer sa situation et la société sur cette terre, approche que l’on retrouve dans les courants de la pensée positive représentés en particulier par le pasteur Norman Vincent Peale, auteur du livre à succès la Pensée positive et pasteur qui a été entre autres celui des parents du jeune Donald Trump à New York, ayant ainsi une certaine influence sur le futur président.
Cet état d’esprit se trouve aussi chez des mouvements chrétiens de type évangéliste promettant la prospérité matérielle comme spirituelle qui touchent les gens aussi bien aux USA qu’au Brésil ou en Afrique. Ces mouvements le font peut-être de façon naïve et maladroite mais ce message rencontre du succès auprès de populations cherchant à sortir de la pauvreté car comme dit le vieux proverbe, « l’espoir fait vivre ».
En conclusion, la vision apocalyptique et le messianisme qui va avec ne doivent pas être compris comme un message de dévalorisation du monde physique mais comme un message d’espoir nous incitant à œuvrer à un monde meilleur. Bien sûr la Bible nous rappelle que « l’on récolte ce que l’on sème », donc, il ne s’agit pas d’avoir une vision toute rose d’une résolution aisée des conflits qui ont marqué l’histoire. La tâche est longue et rude mais les prophéties bibliques n’appellent pas à une attente passive mais, bien au contraire, à semer dans l’espoir « de bonnes semences ».