Elle déclare au Figaro :
[…] Initialement, j’étais prête à envisager la possibilité d’accepter ce texte dans une démarche compassionnelle pour apporter une réponse aux situations de malades atteints de maladies neurodégénératives incurables, avec un pronostic vital engagé à moyen terme, et ne pouvant bénéficier d’une sédation jusqu’au décès. Au départ, les critères d’accès à l’aide à mourir et la vérification du consentement à toutes les étapes pouvaient sembler très précis et assez stricts. J’étais néanmoins profondément gênée par la possibilité de demander à un tiers, médecin ou proche, d’administrer la dose létale, en cas d’impossibilité pour le malade de le faire lui-même. Cette exception me semble inutile et dangereuse car, dans les pays où l’euthanasie et le suicide assisté coexistent, c’est l’euthanasie qui prend le pas. Un autre aspect du texte pose problème : l’organisation d’un continuum d’accompagnement entre soins palliatifs et aide à mourir, alors qu’il s’agit d’une vraie rupture. Les soins palliatifs n’ont pas besoin de loi nouvelle, mais de moyens, alors que l’interdit de tuer est un principe universel dans les sociétés développées. Il est rare que des malades disent de manière définitive : «Je veux mourir.» La plupart d’entre eux envoient le message : «Je ne veux pas vivre ainsi.» Or les soins palliatifs permettent le plus souvent de réduire cette demande d’aide à mourir. […]
Votre mari, l’universitaire et intellectuel Laurent Bouvet, était atteint de la maladie de Charcot. Qu’avez-vous appris en l’accompagnant ?
Une expérience personnelle ne vaut pas vérité universelle. J’ai appris que le simple fait de savoir qu’il existe une aide à mourir, même si on n’y a pas recours, peut apparaître comme une réassurance ou un soulagement. Cela peut donner au patient le sentiment qu’il garde la main quand il le décide pour ne plus subir. C’est un message qu’il faut pouvoir entendre, car la loi Claeys-Leonetti a aussi ses limites, notamment pour des maladies neurodégénératives incurables. C’est la fameuse question du pronostic vital engagé à « moyen terme » pour lequel la sédation profonde et continue jusqu’au décès n’est pas possible. La question de la fin de vie nous met donc face à un dilemme entre le respect de la liberté afin de répondre aux douleurs qu’on ne peut soulager et celui de la fraternité, qui suppose qu’on ne doit jamais laisser une personne se sentir de trop.
Mais ce texte risque de créer une inégalité de traitement. Il y aura un décalage entre l’aide à mourir qui sera immédiatement disponible et les soins palliatifs qui mettront encore du temps à être accessibles à tous, même avec des crédits doublés en dix ans. Si on laisse les malades atteints de la maladie de Charcot se confiner dans leur propre corps, l’aide à mourir apparaît comme une réponse. Or les ordinateurs à commande oculaire qui permettent de communiquer et les fauteuils adaptés sont très chers et très faiblement remboursés. Les professionnels à domicile manquent, laissant les aidants familiaux en première ligne. Au Canada et en Oregon, ce sont les patients d’un niveau de vie modeste qui ont tendance à réclamer l’aide à mourir.