Dans une conférence de carême intitulée "Une nouvelle guerre de religion ?", Mgr Luc Ravel, évêque aux Armées, écrit :
"Le premier camp : l’idéologie religieuse ou le levain des pharisiens.
Le Christ nomme ce camp : le levain des pharisiens. Les pharisiens représentent en son temps, les hommes d’une religion durcie. C’est bien ainsi que les évangiles nous les montrent. Applicateurs rigoureux d’une loi détachée du bon sens, ils ne craignent pas de manquer à l’humanité simple de leur prochain. Au nom de Dieu, ils négligent leurs propres pères et tueront un innocent. Au premier siècle, les zélotes et les sicaires représentent la frange politique armée de ce durcissement. Mais la partie strictement religieuse n’est pas moins corrosive.
Cette première idéologie saute aux yeux immédiatement parce qu’elle s’exprime par une violence meurtrière. Il s’agit du terrorisme à revendication religieuse, chez nous un islamisme. En Inde, l’hindouisme fournit la matrice d’une éradication de toutes autres formes religieuses sur la terre indienne.
Le levain des pharisiens, c’est l’idéologie des purs et des durs, d’abord critiques puis sectaires enfin meurtriers. La volonté d’éradiquer les « méchants » au nom de Dieu avec les moyens du politique. Seuls les « bons » doivent survivre. Les autres on les tue ou on les expulse.
C’est l’idéologie de la caricature de Dieu au mépris de l’homme.
Derrière les meurtres au nom de Dieu se cache toujours la jalousie de Caïn : en fait, Caïn veut plaire à Dieu et n’y arrive pas car son cœur est trouble. Et sa colère contre un Dieu qui lui apparaît comme un juge inique, il la retourne contre son frère. En se méprenant sur Dieu, il tue son frère. La violence fuse en face de Dieu mais elle déborde sur l’homme. A la base, il y a donc la colère, la colère devant le sentiment d’une injustice, la grande colère qui tourne à la haine. Et la haine pousse au meurtre. Et le meurtre à la guerre.
L’esprit de Caïn est troublé par la colère et le meurtre. Quand Dieu l’interroge sur son frère, il répond : « suis-je le gardien de mon frère ? » Est-il frère ou gardien de son frère ? Pour lui, il ne pense même plus à être simplement le frère de son frère… C’est la religion de la colère contre Dieu qui s’achève en assassinat du frère.
c. Le deuxième camp : l’idéologie laïciste ou le levain d’Hérode.
Cette religion de la laïcité (car elle se définit elle-même ainsi) s’exerce rarement chez nous par des violences physiques ou des actes terroristes. Pour autant la manipulation des medias, le détournement des vertus éducatives, les relégations arbitraires sont ses armes habituelles. Hérode en est le symbole. Hérode, roi de Galilée, le politique que nous connaissons par l’Evangile, fait couper la tête à Jean-Baptiste à cause d’une promesse faite dans l’ivresse du plaisir.
Le récit de saint Marc au chapitre 6 est très clair :
« Car c’était lui, Hérode, qui avait donné l’ordre d’arrêter Jean et de l’enchaîner dans la prison, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, que lui-même avait prise pour épouse. En effet, Jean lui disait : « Tu n’as pas le droit de prendre la femme de ton frère. » Hérodiade en voulait donc à Jean, et elle cherchait à le faire mourir. Mais elle n’y arrivait pas parce que Hérode avait peur de Jean : il savait que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait ; quand il l’avait entendu, il était très embarrassé ; cependant il l’écoutait avec plaisir.
Or, une occasion favorable se présenta quand, le jour de son anniversaire, Hérode fit un dîner pour ses dignitaires, pour les chefs de l’armée et pour les notables de la Galilée. La fille d’Hérodiade fit son entrée et dansa. Elle plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille : « Demande-moi ce que tu veux, et je te le donnerai. » Et il lui fit ce serment : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, même si c’est la moitié de mon royaume. » Elle sortit alors pour dire à sa mère : « Qu’est-ce que je vais demander ? » Hérodiade répondit : « La tête de Jean, celui qui baptise. » Aussitôt la jeune fille s’empressa de retourner auprès du roi, et lui fit cette demande : « Je veux que, tout de suite, tu me donnes sur un plat la tête de Jean le Baptiste. » Le roi fut vivement attristé contrarié ; mais à cause du serment et des convives, il ne voulut pas lui opposer un refus. Aussitôt il envoya un garde avec l’ordre d’apporter la tête de Jean. Le garde s’en alla décapiter Jean dans la prison.»
Il s’agit bien d’une forme d’athéisme pratique qui se sent menacée dans sa renonciation à l’éthique. Un athéisme pratique qui joue son va-tout contre la morale et la religion représentée par Jean. Il est intéressant de noter que la problématique du mariage est au cœur de la réaction d’Hérode. De façon ramassée, cette scène évangélique dit tout de cette terrible posture idéologique : contre son sentiment, Hérode exécute Jean à cause d’un mécanisme qui promeut un humanisme caricatural. Même la fidélité à sa promesse est une imposture : elle tient de la logique du drogué ou de l’ivrogne : comment pourrait-il donner la moitié de son Royaume ?
Il s’agit bien d’un athéisme : Dieu est éliminé de toute conscience et réalisation publiques. Peu lui importe que Dieu subsiste dans quelque recoin individuel pourvu qu’il n’imprime aucune marque à l’action visible dans la rue, dans le métier, dans la vie civile… Hérode se moque de Dieu comme ce juge inique dont parle Jésus dans la parabole de la veuve importune : « J’ai beau ne pas craindre Dieu et n’avoir de considération pour personne… » (Luc 18, 4). Mais c’est un athéisme qui ne se dit pas et qui avance sous couvert de progrès alors qu’il n’est qu’une religion parmi les autres, la religion de la laïcité.
Ainsi l’Evangile éclaire cette guerre. Il s’agit bien d’une guerre de religion, entre deux idéologies religieuses : à l’idéologie religieuse de la caricature de Dieu au mépris de l’homme s’oppose l’idéologie religieuse de la caricature de l’homme au mépris de Dieu.
L’affrontement n’est donc pas entre chrétiens et musulmans ou entre bouddhistes et musulmans : mais entre une conception politique de la religion et une conception religieuse de la politique. Toutes les deux contredisent la belle et bonne laïcité, héritée de 20 siècles de christianisme, dégradée en laïcisme, érigée en religion ou niée par elle. Le mot laïcité répété comme un mantra ne dit plus une juste relation entre le politique et le religieux mais il désigne un rapport d’exclusion de tout religieux ou de tout politique."