Rod Dreher, qui publie « Comment retrouver le goût de Dieu dans un monde qui l’a chassé », a été interrogé dans le JDD. Extraits :
Vous commencez votre livre en évoquant les phénomènes paranormaux, considérant que nous ne savons plus les voir. Est-ce à dire que nous vivons dans une société désenchantée ?
Oui, c’est la condition moderne. Par « désenchantée », j’entends une société où la conscience de Dieu et des choses spirituelles est marginale par rapport à notre conscience. Au Moyen Âge, tout était chargé de la puissance de Dieu. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Dieu ne nous a pas abandonnés – nous l’avons abandonné. Comme je l’explique dans le livre, ce voyage vers le désert spirituel a pris des siècles et a isolé l’homme occidental, loin de l’expérience partagée par la plupart de l’humanité. Si vous voulez connaître le caractère de la dystopie dans laquelle ce pèlerinage vers le nihilisme nous a entraînés, lisez les romans prophétiques de Michel Houellebecq !
Soumission a été une inspiration pour mon nouveau livre. Dans le roman, François, le protagoniste, se rend à Rocamadour dans l’espoir de redécouvrir sa foi catholique perdue. Il assiste à une messe, entend Taizé chanter et commence à vivre une expérience mystique. Mais il perd courage, se convainc que cela doit être dû à quelque chose qu’il a mangé, quitte l’église, retourne à Paris et se convertit cyniquement à l’islam. J’ai écrit Comment retrouver le goût de Dieu dans un monde qui l’a chassé pour des gens comme François, pour les aider à comprendre que lorsqu’ils reçoivent une théophanie chrétienne comme celle-là, ils doivent lui faire confiance.
Quand la perception du sacré a-t-elle commencé à s’effondrer en Occident ?
Cela a commencé au Haut Moyen Âge, lorsque la doctrine philosophique du nominalisme – selon laquelle il n’y a pas de sens intrinsèque, pas de logos, enchâssés dans la matière – a vaincu le réalisme métaphysique dans le débat. Cela a préparé le terrain pour la Réforme et surtout pour la révolution scientifique. S’il n’y a pas de sens intrinsèque donné par Dieu à la matière, alors nous pouvons en faire ce que nous voulons. Comme le dit l’écrivain athée contemporain Yuval Noah Harari, au début de la modernité, nous avons échangé le sens contre le pouvoir. Puis sont arrivés Descartes, avec sa séparation corps-esprit, les Lumières, le marxisme et tout le reste.
Mais tout a commencé lorsque l’homme occidental a abandonné sa croyance dans la nature sacramentelle de la réalité : que toute la Création est une icône de Dieu, à travers laquelle Dieu peut être connu. Nous sommes en effet devenus très riches et puissants – mais spirituellement appauvris. Aujourd’hui, l’Occident meurt par manque de sens, de but, de Dieu. […]
Je suis frappé par une phrase de Benoît XVI : le chemin le plus efficace vers Dieu aujourd’hui n’est pas la raison, mais l’art chrétien (beauté esthétique) et les saints (beauté morale). Dans les deux cas, nous rencontrons les vérités du christianisme par nos sens. On ne peut pas refuser la puissance de la beauté. Pour ma part, ce fut une rencontre bouleversante à 17 ans avec la cathédrale de Chartres et qui a marqué le début de mon pèlerinage vers la foi. Un autre point décisif est venu sept ans plus tard, quand, jeune journaliste, j’ai interviewé un prêtre âgé que je crois être un saint. Dans les deux cas, ces théophanies m’ont révélé Dieu et ont attiré mon intelligence vers lui. Tout le monde peut visiter Chartres. La plupart d’entre nous connaissent au moins une personne sainte. Mais voyons-nous vraiment ces lieux et ces gens pour ce qu’ils sont vraiment : des fenêtres sur le paradis ? Nous pouvons voir si nous le voulons – et dans le livre, je parle de moyens d’aiguiser notre perception de la présence de Dieu. Dans la conversion, la volonté compte plus que l’intellect.