Homélie prononcée par le Très Révérend Père Dom Jean Pateau, Abbé de Notre-Dame de Fontgombault, à la Messe de minuit :
"Depuis plusieurs semaines, les guirlandes ont fait leur apparition dans les villes. Dans les familles on a préparé activement, comme chaque année, le réveillon, l'échange des cadeaux. C'est la tradition ! C'est Noël. N'aurions-nous pas, cependant, perdu le sens authentique du mystère de Noël ? Offrir des cadeaux, échanger des vœux, c'est faire œuvre de paix. Dans un monde déchristianisé Noël demeure une fête de la paix. Mais quelle est cette paix de Noël ? D'où vient-elle ?
La paix, c'est d'abord celle qui présidait à la naissance de l'Enfant-Dieu. Le martyrologe de Noël, solennellement chanté dans les chapitres des monastères, ayant identifié, par le rappel de nombreux faits historiques, l'époque de la naissance de Jésus, conclut : « Tout l'univers étant en paix, Jésus Christ, Dieu éternel et Fils du Père éternel, voulant sanctifier le monde par son miséricordieux avènement, ayant été conçu du Saint-Esprit, et neuf mois s'étant écoulés depuis sa conception, naît à Bethléem de Judée, fait homme, de la Vierge Marie. C'est la Nativité de notre Seigneur Jésus Christ selon la chair. »
Mais la paix de Noël n'est pas le seul silence des armes ; c'est aussi la paix qui vient de Dieu et que chantent les anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu'il aime » (Lc 2, 14) ou encore, selon une traduction littérale du texte original grec, « paix aux hommes de la bienveillance ».
Sa Sainteté Benoît XVI, dans le dernier tome de sa trilogie consacrée à Jésus intitulé L'enfance de Jésus, se pose la question : « Quels sont les hommes que Dieu aime ? Y en a-t-il aussi que Dieu n'aime pas ? » Afin de proposer une réponse, Benoît XVI renvoie au récit du baptême du Seigneur : « Alors que Jésus était en prière, le ciel s'ouvrit et vint du ciel une voix qui disait : "Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis ma bienveillance" (Lc 3, 22). L'homme de la bienveillance, c'est Jésus. Il l'est parce qu'il est totalement tourné vers le Père, il vit en regardant vers lui et en communion de volonté avec lui. Les personnes de la bienveillance sont donc des personnes qui ont l'attitude du Fils – des personnes conformes au Christ. » (p. 107-108)
À ces hommes est proposée la paix venue de Dieu.
La paix implique un lien entre Dieu et l'homme, et par conséquent elle n'est pas le fruit d'un quelconque volontarisme humain. Les faiseurs de paix sont souvent les artisans d'une paix menteuse. Combien de traités de paix furent des pierres d'attente pour de nouvelles guerres ? La vraie paix est don de Dieu et elle s'adresse à ceux qui sont en communion avec lui et qui veulent bien l'accueillir. « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » (Mt 5,9)
En se faisant enfant dans une étable, Dieu veut attirer notre attention. Proposer la paix à l'humanité était si essentiel que Dieu s'est fait enfant. L'enfant n'est-il pas le meilleur ambassadeur de la paix ? « Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : le Christ Jésus ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes » (Ph 2, 5-7), enseigne saint Paul. En se faisant petit enfant, Jésus invite l'homme à redevenir petit enfant. L'enfant est celui qui ne peut pas parler, celui qui est dépendant. Enfant de Dieu veut dire dépendant de Dieu.
Par sa naissance, Jésus réenfante l'homme, entré, dès les premiers temps de son histoire, en lutte contre Dieu ; il le rachète et lui rend sa beauté d'enfant de Dieu.
La paix perdue devient en lui paix retrouvée.
Au milieu des grâces de Noël, n'oublions pas nos frères de Syrie, n'oublions pas tant de pays déchirés par la guerre. Souvenons-nous aussi des guerres plus silencieuses, mais tout aussi mortifères et acharnées, livrées par de nombreux États contre la famille, contre l'enfant à naître, contre les personnes âgées, contre la nature et ses lois immuables.
Au sein des ténèbres la lumière pourtant resplendit.
Elle vient d'États qui, déclenchant la furie d'une libre pensée, reviennent sur les erreurs du passé, et rendent leur législation plus conforme au respect de la vie et de l'homme. Bénis soient les hommes politiques qui, dans la charité, se font les promoteurs de la culture de la vie. Oui, bénis soient ces hommes, ils construisent le monde de demain. Sachons les soutenir résolument. La paix est le lot de ceux qui acceptent le sourire désarmant de l'Enfant de la crèche et viennent se placer auprès de lui.
N'y aurait-il pas des guerres cachées dans nos propres vies ?
Entrer dans le mystère de Noël, c'est renoncer à toute épine de haine qui pourrait se trouver dans nos cœurs, c'est remettre au Roi de paix toute rancune, toute amertume. À chaque Messe, le prêtre offre aux fidèles la paix de Dieu : « Pax Domini sit semper vobiscum. ‒ Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous. » Nos cœurs seront-ils disposés à accueillir cette paix ? La communion sacramentelle ou spirituelle devrait être gage de la paix avec Dieu et avec les hommes. Avons-nous conscience de la révolution que l'Enfant de la crèche veut apporter en nos vies ?
En cette sainte nuit, allons donc à la crèche. Laissons reposer nos cœurs agités auprès du Roi de paix. Nous y gagnerons une Mère, Marie, et un Père, Dieu, ainsi que de nombreux frères. Nous y gagnerons un peu de la joie du ciel. Aimons à contempler dans le silence l'Enfant de l'étable. Écoutons son message. Heureux les artisans de paix, de cette paix qui vient de Dieu et qu'il nous revient d'offrir au monde : ils seront appelés fils de Dieu."