Ce matin, Benoît XVI a présenté ses voeux de Noël à la Curie. Extraits :
"Nous nous trouvons à la fin d’une année qui de nouveau, dans l’Église et dans le
monde, a été caractérisée par de multiples situations tourmentées, par de
grandes questions et des défis, mais aussi par des signes d’espérance. Je
mentionne seulement quelques moments saillants dans le domaine de la vie de
l’Église et de mon ministère pétrinien. […]La grande joie avec laquelle
des familles provenant du monde entier
se sont rencontrées à Milan a montré que,
malgré toutes les impressions inverses, la famille est forte et vivante encore
aujourd’hui. Cependant la crise qui – particulièrement dans le monde occidental
– la menace jusque dans ses fondements est aussi incontestable. J’ai été frappé
du fait qu’au Synode on a souligné à maintes reprises l’importance de la famille pour la transmission de la foi,
comme lieu authentique où se transmettent les formes fondamentales du fait
d’être une personne humaine. On les apprend en les vivant et aussi en les
souffrant ensemble. Et ainsi, il apparaît avec évidence que la question de la
famille n’est pas seulement celle d’une forme sociale déterminée, mais celle de
la question de l’être humain lui-même – de la question de ce qu’est l’être
humain et de ce qu’il faut faire pour être de façon juste une personne humaine.
Dans ce contexte, les défis sont complexes. Il y a avant tout la question de la
capacité de l’homme de se lier ou de son manque de liens. L’être humain peut-il
se lier pour toute une vie ? Cela correspond-il à sa nature ? N’est-ce pas en
opposition avec sa liberté et avec la dimension de son auto-réalisation ? L’être
humain devient-il lui-même en demeurant autonome et en entrant en contact avec
l’autre uniquement par des relations qu’il peut interrompre à tout moment ? Un
lien pour toute la vie est-il en opposition avec la liberté ? Le lien
mérite-t-il aussi qu’on en souffre ? Le refus du lien humain, qui se répand
toujours plus à cause d’une compréhension erronée de la liberté et de
l’auto-réalisation, comme aussi en raison de la fuite devant le support patient
de la souffrance, signifie que l’homme demeure fermé sur lui-même et, en
dernière analyse, conserve son propre « moi » pour lui-même, et ne le dépasse
pas vraiment. Mais c’est seulement dans le don de soi que l’être humain se
réalise lui-même, et c’est seulement en s’ouvrant à l’autre, aux autres, aux
enfants, à la famille, c’est seulement en se laissant modeler dans la
souffrance, qu’il découvre la dimension du fait d’être une personne humaine.
Avec le refus de ce lien disparaissent aussi les figures fondamentales de
l’existence humaine : le père, la mère, l’enfant ; des dimensions essentielles
de l’expérience du fait d’être une personne humaine tombent.Le Grand Rabbin de France,
Gilles Bernheim, dans un traité soigneusement documenté et profondément
touchant, a montré que l’atteinte à l’authentique forme de la famille,
constituée d’un père, d’une mère et d’un enfant – une atteinte à laquelle nous
nous trouvons exposés aujourd’hui – parvient à une dimension encore plus
profonde. Si jusqu’ici nous avons vu comme cause de la crise de la famille un
malentendu sur l’essence de la liberté humaine, il devient clair maintenant
qu’ici est en jeu la vision de l’être même, de ce que signifie en réalité le
fait d’être une personne humaine. Il cite l’affirmation devenue célèbre, de
Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ». Dans ces paroles
se trouve le fondement de ce qui aujourd’hui, sous le mot « gender », est
présenté comme une nouvelle philosophie de la sexualité. Le sexe, selon cette
philosophie, n’est plus un donné d’origine de la nature, un donné que l’être
humain doit accepter et remplir personnellement de sens, mais c’est un rôle
social dont on décide de manière autonome, alors que jusqu’ici c’était à la
société d’en décider. La profonde fausseté de cette théorie et de la révolution
anthropologique qui y est sous-jacente, est évidente. L’être humain conteste
d’avoir une nature préparée à l’avance de sa corporéité, qui caractérise son
être de personne. Il nie sa nature et décide qu’elle ne lui est pas donnée comme
un fait préparé à l’avance, mais que c’est lui-même qui se la crée. Selon le
récit biblique de la création, il appartient à l’essence de la créature humaine
d’avoir été créée par Dieu comme homme et comme femme. Cette dualité est
essentielle pour le fait d’être une personne humaine, telle que Dieu l’a donnée.
Justement, cette dualité comme donné de départ est contestée. Ce qui se lit dans
le récit de la création n’est plus valable : « Homme et femme il les créa » (Gn
1, 27). Non, maintenant ce qui vaut c’est que ce n’est pas lui qui les a
créés homme et femme, mais c’est la société qui l’a déterminé jusqu’ici et
maintenant c’est nous-mêmes qui décidons de cela. Homme et femme n’existent plus
comme réalité de la création, comme nature de l’être humain. Celui-ci conteste
sa propre nature. Il est désormais seulement esprit et volonté. La manipulation
de la nature, qu’aujourd’hui nous déplorons pour ce qui concerne
l’environnement, devient ici le choix fondamental de l’homme à l’égard de
lui-même. L’être humain désormais existe seulement dans l’abstrait, qui ensuite,
de façon autonome, choisit pour soi quelque chose comme sa nature. L’homme et la
femme sont contestés dans leur exigence qui provient de la création, étant des
formes complémentaires de la personne humaine. Cependant, si la dualité d’homme
et de femme n’existe pas comme donné de la création, alors la famille n’existe
pas non plus comme réalité établie à l’avance par la création. Mais en ce cas
aussi l’enfant a perdu la place qui lui revenait jusqu’à maintenant et la
dignité particulière qui lui est propre. Bernheim montre comment, de sujet
juridique indépendant en soi, il devient maintenant nécessairement un objet,
auquel on a droit et que, comme objet d’un droit, on peut se procurer. Là où la
liberté du faire devient la liberté de se faire soi-même, on parvient
nécessairement à nier le Créateur lui-même, et enfin par là, l’homme même –
comme créature de Dieu, comme image de Dieu – est dégradé dans l’essence de son
être. Dans la lutte pour la famille, l’être humain lui-même est en jeu. Et il
devient évident que là où Dieu est nié, la dignité de l’être humain se dissout
aussi. Celui qui défend Dieu, défend l’être humain ! […]"