De Charlotte d’Ornellas dans Valeurs Actuelles :
En décidant de renoncer à sa charge pontificale, Benoît XVI avait choisi de ne plus être pape. L’ayant été, il était sorti du collège cardinalice. A la fin de sa vie, il n’était donc ni pape, ni cardinal. Cette situation inédite avait accouché du titre de « pape émérite » sans que l’Église ne sache trop appréhender la chose nouvelle. Du balcon de la résidence d’été du pape, le 28 février 2013, Benoît XVI saluait d’ailleurs la foule de locaux venus le remercier en ces termes :
« A partir de ce soir à huit heures, je ne serai plus souverain pontife de l’Eglise catholique. Je suis simplement un pèlerin qui débute la dernière étape de son pèlerinage sur cette terre. »
Et c’est en discret pèlerin et en humble serviteur qu’il fut enterré le 5 janvier 2023, sur la place Saint Pierre, à Rome. Il est vrai que la messe était sobre – selon le vœu de Benoît XVI lui-même -, courte, et que le pape François n’a pas jugé nécessaire de s’attarder sur l’apport absolument considérable de son prédécesseur à l’Eglise et à l’humanité tout entière lors de son homélie. Il est vrai aussi que ce choix tranchait avec la chaleur du dernier adieu rendu à Jean-Paul II par Joseph Ratzinger, dix-sept ans plus tôt, sur cette même place Saint Pierre. Mais le recueillement était à son image : silencieux, tout en délicate retenue. Effacé, Benoît XVI l’a été jusqu’à la dernière seconde.
À l’heure de la renonciation, le défunt pape avait poursuivi devant les fidèles :
« je voudrais encore, avec mon cœur, mon amour, ma prière, ma réflexion, toutes mes forces intérieures, travailler pour le bien commun et le bien de l’Eglise et de l’humanité. »
C’est exactement ce qu’il n’a cessé de faire, apportant pendant les huit dernières années de sa vie une humble contribution à la vie de l’Église.
Certains ont été peinés de cette si grande discrétion autour de sa mort, de la volonté assumée par le Vatican de traiter a minima le décès du pape émérite, de l’évidente antithèse entre un François si détaché de son prédécesseur et un Ratzinger élogieux sur le sien. Nombre de fidèles ont ressenti une gêne devant la sobriété choisie : la liturgie est un symbole… Cette tristesse est surtout révélatrice d’une gêne plus profonde. Benoît XVI a été un pape particulièrement attaqué pendant tout son pontificat, à l’extérieur mais surtout à l’intérieur de l’Église. Mais depuis son renoncement, l’hostilité à son égard persistait. Tout le monde se souvient du texte tronqué de Benoît XVI publié par le Vatican à l’occasion de la sortie d’un livre de théologiens, dont certains furent particulièrement hostiles à l’ancien pape ; beaucoup ont en tête le texte de Benoît XVI sur le célibat des prêtres alors que la question semblait posée lors d’un Synode récent qui avait généré des commentaires particulièrement peu amènes ; plus récemment encore, nombre de fidèles ont lu les propos du secrétaire particulier de Ratzinger, Monseigneur Ganswein, rapportant que Benoît XVI avait eu le cœur « brisé » en découvrant le Motu proprio de François souhaitant la fin de l’ancienne messe à laquelle il avait fait une place… C’est sans doute cette gêne-là qui a alimenté la peine de ces fidèles interloqués le jour de l’enterrement.
Un malaise devant les différences palpables de vues entre un pape et son successeur, une gêne à imaginer l’inimitié qui règne parfois dans les couloirs du Vatican, une angoisse devant les ferments de la division que cherche tant le Prince de ce Monde.
Benoît XVI avait choisi le silence de la prière lorsqu’il était attaqué ou contesté, et la précision de l’écrit pour être collaborateur de la Vérité. Nombre de fidèles étaient rassurés de sa présence dans les jardins du Vatican. La fin de cette période inédite de cohabitation papale plonge à nouveau les fidèles dans une ère nouvelle. Dans son testament spirituel rédigé alors qu’il était encore pape, Benoît XVI semblait déjà leur répondre :
« Restez fermes dans la foi ! Ne vous laissez pas troubler ! »