Lire avant de juger. Voilà une règle de bon sens, trop souvent oubliée. Il fallait donc prendre le temps de parcourir la première exhortation apostolique, plusieurs homélies et interventions récentes du pape Léon XIV, afin d’écouter sa voix elle-même, et non l’écho de commentaires partisans.
Ce que nous avons découvert se présente d’abord sous la forme d’un langage chaleureux, insistant sur la dimension reçue de la vie humaine. Le pape rappelle que « nous avons reçu la vie avant même de la vouloir » et que nous avons dépendu dès l’origine des soins d’autrui. De là, il décrit la famille comme le premier lieu où se tisse la relation, où l’on apprend à se reconnaître, à accueillir, à consoler. « Nous vivons grâce à une relation », affirme-t-il, invitant les familles à devenir signe de paix dans la société. Sur ce point, l’harmonie avec l’enseignement traditionnel est réelle : Léon XIII, Pie XI et Pie XII ont eux aussi magnifié la famille chrétienne comme sanctuaire de l’amour et cellule fondamentale de la cité.
Mais il ne suffit pas de saisir ce qui est affirmé : il faut aussi considérer ce qui reste en retrait. Or, dans ces textes, l’amour est décrit presque exclusivement sous l’angle de la fraternité humaine et du soin mutuel. La source surnaturelle de cet amour – la grâce, la Croix, la Rédemption – y apparaît rarement, parfois fugitivement, et jamais comme principe directeur. La famille n’est plus abordée comme réalité élevée par le sacrement, mais comme expérience humaine universelle. Ce déplacement n’est pas secondaire : il change la structure du discours.
Le même mouvement apparaît dans les interventions adressées aux autres religions. Léon XIV affirme que « les traditions religieuses ont un rôle décisif dans la construction de la paix » et qu’il faut « prier côte à côte » pour « faire respirer au monde l’espérance ». C’est là la continuité assumée de Nostra aetate et de l’« esprit d’Assise ». L’intention peut sembler généreuse, mais elle repose sur une vision de l’unité humaine qui ne passe plus par la conversion à la vérité, mais par l’harmonie des différences. Pourtant, la Tradition de l’Église enseigne que la paix véritable ne peut naître que « du règne du Christ » (Pie XI, Ubi Arcano), et que « la société ne peut être solidement ordonnée que dans la vérité » (Pie XII, Summi Pontificatus). L’unité religieuse n’est pas concertation, mais conversion.
Le silence sur la Croix devient alors déterminant. On parle de soin, de pardon, de réconciliation ; mais jamais du péché originel qui blesse l’homme au cœur même de sa vie familiale. On évoque l’amour comme force humaine, mais non comme fruit de la grâce surnaturelle. On montre Jésus priant pour l’humanité « comme un baume », mais l’on ne rappelle pas que c’est par son Sacrifice, et lui seul, que le salut est donné aux hommes. Ainsi, sans le dire explicitement, le discours passe peu à peu d’une sotériologie à une éthique, d’un mystère de salut à une pédagogie du vivre-ensemble.
Ce qui manque ici est clair :
le péché originel, la nécessité de la grâce, la Croix comme cause du salut.
Sans la Croix, l’amour devient sentiment.
Sans la grâce, la fraternité devient slogan.
Sans la vérité, la paix devient décor.
Le christianisme n’est pas d’abord un humanisme fraternel : il est l’adhésion à Jésus-Christ, Fils de Dieu, mort sur la Croix pour nous sauver. Le cœur de l’Évangile ne dit pas « aimons-nous simplement », mais :
« Si quelqu’un veut venir après Moi, qu’il prenne sa Croix » (Mt 16, 24).
La charité chrétienne n’est pas un sentiment généreux ; elle est « l’amour de Dieu répandu dans les cœurs par l’Esprit Saint » (Rm 5, 5), c’est-à-dire la grâce. La paix chrétienne n’est pas un consensus spirituel ; elle est « la paix du Christ par le règne du Christ » (Pie XI).
Ce que nous avons lu du pape Léon XIV n’est donc pas à rejeter ; il contient des élans justes et des appels sincères. Mais il manque la colonne verticale, l’axe théologique, la clef de voûte : la Croix rédemptrice, qui fonde la famille, sanctifie l’amour, guérit l’homme et sauve le monde.
Nous pouvons accueillir ce qui est bon.
Mais nous devons nommer ce qui est absent.
Car le Christ n’est pas un facilitateur de fraternité.
Il est le Sauveur.
Il ne s’ajoute pas aux autres voies.
Il est la Voie.
Le monde n’a pas seulement besoin d’être consolé ; il a besoin d’être sauvé.
Et ce salut vient de la Croix du Christ, ou il ne vient pas.
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