L'homme gazé à bout portant sur cette photo témoigne :
14h15: L'avenue de la Grande Armée est
pleine comme un oeuf, même les trottoirs sont généreusement garnis de
manifestants. On y marche cependant à l'aise. Les chants commencent à monter.
Des drapeaux régionaux flottent au vent. Je cherche la croix du Languedoc et le
groupe de Midi Pyrénées. J'aperçois Louis, au niveau des Gersois. Nous allons
saluer François, responsable des Gascons, coiffé d'un béret rouge, son vieux
camarade des Férias de Bayonne… Calixte et Agathe sont là, joyeux et bien
emmitouflés dans leurs parkas.Nous remontons ensuite le long des
trottoirs, et tombons sur Coco. Il vient de la tête de la manifestation. "Tu as vu là haut? C'est bloqué, ils
ont mis des barrières….On ne peut pas passer, mais on peut essayer". Déterminés nous remontons l'avenue, et
trouvons sur notre passage Jean-Baptiste, Caroline et Amélie, qui se greffent à
l'expédition. Oncle Z et Tante Marie nous rallie à leur
tour. Le trottoir est barré par une maigre chaîne humaine, les "jeunes en
jaune" de la manif pour tous. Jean-Baptiste, en vrai furet, trouve un
passage entre une camionnette et un massif de bambou. Nous lui emboitons le pas
et arrivons au niveau des magistrats, en robe noire, à droite du podium. Devant nous, seules deux rangées de
barrières métalliques nous séparent de la Place de l'Etoile…Papa, coincé sur le trottoir, est aux
côtés de Mohamed, dit Maho, l'indigène libéré d'Orléans. Ensemble, ils
font monter la pression au sein de la foule. Il nous aperçoit. Voulant nous
rejoindre, il tente de forcer le passage. La sécurité s'agite. Papa s'excite:
"Mon fils est là bas, laissez moi passer!" Il me montre du doigt. Un
gars de la sécurité s'approche: "C'est votre Père?" "Non, non, je ne le connais pas…,
par contre lui, c'est bien son frère" lui dis-je en indiquant Oncle Z. Papa arrive, il a trouvé le mot
juste:" Laissez moi passer, je suis juriste! Et je ne bougerais pas… ça fait 5 mois que je
me fais chier à coller des affiches, alors je ne bougerais pas…" Pas de moustache de sueur mais une
détermination sans faille qui fait plier la garde jaune un peu trop
"bleue".Nous voilà en position favorable pour la
prochaine étape: Les Champs Elysées. Depuis le début, c'est le seul objectif.
Nous sommes catholiques, exaspérés par le mépris du gouvernement après la
première manifestation, sans autre ambition que de nous faire entendre, cette
fois….15h00: Sur les trottoirs les Bretons et
les Basques poussent et font reculer le cordon de sécurité. Les démineurs
Jean-Baptiste et Jean-Bosco, décrochent discrètement touts les pattes
métalliques qui solidarisent les barrières de sécurité. Tout est prêt. Derrière, les jeunes
volontaires peinent à contenir une foule qui trépigne. Soudain, les bras lâchent, les mailles
éclatent…C'est le moment…. Jean, Louis, Papa, Z et les filles font
valser les barrière à grands coups de pied, créant un fantastique appel d'air
dans lequel la foule s'engouffre frénétiquement…. Des jeunes volontaires enlèvent leur maudit
tee-shirt jaune et se joignent au mouvement. Nous sommes en tête. Nous somme
des milliers… Face à nous, les CRS accourent. Pris de
cours, submergés, ils tentent d'endiguer le flot d'hommes et de drapeaux.
Impossible. La panique se lit dans leurs yeux. L'instant est historique. La
foule, rieuse, est grisée. Louis, tête de proue du mouvement, est
nappé d'un drapeau bleu. Il court seul. Devant lui, l'Etoile. Sans ralentir sa
course, il enjambe d'un bon une troisième rangée de barrières et perce au
milieu des CRS. Il est violemment plaqué au sol. Roué de
coups, il se relève le visage tuméfié, le front en sang.
De son côté, Amélie l'insouciante court
et rit aux éclats,. Elle est fauchée à son tour. Puis devant la masse compacte
de la foule, les CRS se replient. L'Etoile est à nous. Sur leurs vélos, un curé
en soutane, et un travesti en long manteau rose nous haranguent: "Allez!
Aux Champs Elysée!". Surréaliste… Jean-Bosco est aux anges, il me tape sur
l'épaule: "C'est énorme, c'est énorme…" Et encore "Tu as vu
Louis! Il est couillu, putain! ". Les jeunes sont les plus rapides, mais
suivent aussi des vieux, des couples et des familles. Tous clament à pleins
poumons: "Aux Champs, aux champs!". Premier rassemblement au pied de
l'Arc de Triomphe. La foule hésite, stagne, puis se décide. Joyeuse et
déterminée, elle défile un 24 mars! Un jeune exhibe un drapeau somalien, bras
dessus, bras dessous nous descendons les Champs. Dumoins les 100 premiers
mètres…
15h30: Rapidement, nous nous heurtons
au gros des troupes armées, repliés sur la plus belle avenue du monde. Les
forces de l'ordre dressent de hautes barricades de grillages et Plexiglas,
qu'ils s'empressent de caler avec de longues barres d'échafaudage fixées en
diagonale au cul de leurs camions. Nous arrivons au rythme des " Hollande
démission!" et des " Taubira, casses toi! ".
Les CRS n'ont pas le temps de fixer leur
repoussoir. La foule, galvanisée par sa première victoire, s'élance sur
l'obstacle. Des dizaines de mains tirent, pressent la palissade qui s'ouvre.
Les manifestants s'y agglutinent. La riposte est cinglante: Les CRS repoussent
les téméraires à coups de matraques et de lacrymogènes. Beaucoup sont au sol. Louis,
en première ligne essuie les premières gerbes, émises à bout portant. Il sort
de la mêlée en titubant, les yeux et le visage "en feu". Caroline et
Amélie pleurent aussi.Le mouvement recule, la palissade se referme.
Je suis à genoux, vomissant une bile
poivrée. Mes yeux flambent. A mes côtés, j'entends une femme qui pleure,
choquée d'une telle violence, que je trouve normale et légitime: Les CRS font
le job, ni plus ni moins. La femme verse sur mon visage une pleine
bouteille d'eau: "Surtout ne vous frottez pas les yeux". Je reste un
moment, assis sur le trottoir et repars à l'assaut de la barricade. Des dizaines de jeunes se lancent sur le
barrage. A coups des poing, de pieds ou d'épaules, ils veulent éprouver la
barricade. Rien n'y fait, elle est désormais solidement arrimée.
16h00: Parmi nous, certains tentent
d'arrêter les manifestants: "Pensez à notre image! Vous allez tout
gâcher!". L'un rétorque" C'est la seule façon de nous faire
entendre!". Un autre "Soyons pacifiques mais déterminés!". Mais le mouvement est en marche, cerné
par un essaim de journalistes, faisant crépiter leurs flashs à la moindre
altercation. Et c'est tant mieux. Assez de mépris, Monsieur le Président. De
consistants, nous voilà devenu menaçants. Plus jamais, nous ne défilerons comme
de sages moutons, respectueux de la règle. Soyez fier, vous avez fait naître
une nouvelle génération de révolutionnaires!
Les CRS contournent leurs camions et se
postent devant le Plexiglas, au contact direct avec la foule. Nous formons un
front et entonnons la Marseillaise. A ma gauche, un Musulman sort de sa poche
une petite fiole d'alcool qu'il presse contre ma main en sang "Faut pas
que ça s'infecte…". Dans la cohue, papa retrouve son complice
d'un jour, l'indigène libéré d'Orléans. Ils se tombent dans les bras l'un de
l'autre: "Je suis trop content de t'avoir connu, mon frère!" lance
Mohamed. Coude contre coude, nous sommes tous frères et fils d'une France qui
ne s'éteindra pas sans combattre!
Quelques uns s'assoient, tentant
d'organiser une résistance pacifique. Une nouvelle Marseillaise résonne et fait
frissonner les rangs des manifestants. L'ambiance se détend. On entonne: Aux
Champs Elysée!, les slogans deviennent affectueux: "Les agents sont
des braves gens!", "CRS, tendresse!, CRS, tendresse!", ou encore
"On veut des bisous, pas des coups!" . Des sourires s'esquissent dans
les rangs des CRS. Puis soudain, une mouvement de foule inverse la tendance.
Les plaisanteries se transforment en injures. Un gros bulgare, assis pacifiquement
est happé par la police. Je le retrouverais en fin de soirée au commissariat du
7ième… L'atmosphère est ambiguë, la foule schizophrène!
Entre les murs de Plexiglas, on aperçoit
en bas des Champs une masse colorée, elle aussi contenue par un escadron de
CRS. Un grand nombre de manifestants s'est
apparemment infiltré par les rues parallèles, contournant ainsi les barrages.
Il n'y a que le le centre de l'avenue qui est déserte. L'objectif non annoncé
est pourtant clair: Percer les lignes de CRS et rejoindre nos camarades, de
l'autre côté des Champs.
17h00: Le bras de fer s'organise
désormais sur les trottoirs, proche de la Boutique Mont-blanc et de la rue
Arsène Houssaye. La zone est plus sensible, il n'y a pas
de barricade policière. Seuls leurs camions nous barrent l'accès. Des CRS
colmatent les brèches. Là, un jeune homme targue un agent, yeux dans les yeux:
" Honte à vous! Vous devriez être de notre côté, nous sommes français,
comme vous! On n'est pas des casseurs, merde!" Les CRS sont nerveux. La
pression monte. La foule, exclusivement composée de jeunes, hommes et femmes de
France, avance groupée.
Nouvelle vague de gaz. On recule,
laissant à terre trois manifestants. Désorientés, aveuglés, ils sont récupérés
et soignés par les nôtres. La foule, comme une vague, revient
inlassablement s'écraser contre le mur de CRS. Des cailloux jaillissent. Des
bouteilles d'eau explosent sur les agents. La tension est maximale. Les
"hommes en noirs" perdent le contrôle. Je m'avance vers eux, les
mains ouvertes. Le jeu est grisant. Face à moi, un CRS. Sous son casque, je
capte son regard. Je lui hurle au visage:" Qu'est ce que tu attends! Sale
lâche! Vas-y, gazes moi!". Il hésite et me gaze à bout portant. Je
m'enfuis les mains sur le visage. Une nouvelle fois, brulé par les CRS.
Curieusement, cette fois, la charge
infligée est plus facile à supporter. Et me voilà relancé dans le flot de
contestataires, mais cette fois en seconde ligne… Au front, nouveau gazage. Un
jeune est salement touché: Les CRS l'agrippent, lui injectent une solution
aqueuse dans les yeux et le rejettent de notre côté. Escaladant un camion de gendarmerie, jet
tente d'haranguer la foule. Une clameur ressentie, mais les gens n'avancent
plus… Par terre, des manifestants gazés tentent de regagner leur camp.
17h30: Je m'étonne que nous ne soyons
pas plus nombreux sur les Champs. L'avenue Foch est noire de monde. Pour
rameuter du monde, je remonte à l'Arc de Triomphe jusqu'à la Grande Armée. :
Là, une double ligne de CRS a colmaté la brèche que nous avions ouverte en
début d'après midi, empêchant toute nouvelle intrusion. La foule afflue de part
et d'autre du barrage humain. Les agents sont jeunes et non casqués. Les
moqueries commencent: "Bravo! C'est à ça que servent nos impôts!" ou
"On les paye pour nous taper dessus!"
ou encore "Au moins on sait à quoi servent nos impôts!". Un
manifestant de 50 ans ramasse un pavé et s'apprête à le lancer aux forces de
l'ordre. Un autre intervient: "ça ne va pas la tête! On n'est pas des
voyous!". Il désarme l'inconscient et place le projectile au pied des CRS
qui s'empressent de le glisser derrière eux. L'ambiance potache dégénère en un
éclair: Un afflux de jeunes bourgeois est repoussé à coups de bombes
lacrymogènes. Un vieillard tombe. Sans état d'âme, les CRS l'asperge au sol.
L'agrippant par les bras, nous le tirons hors du piège, gazés à notre tour. La
Croix Rouge, heureusement a planté là sa tente. Une infirmière nous verse de
l'eau sur les yeux et nous relâche.
18h00: Je rejoins les manifestants sur
les Champs Elysées. Désormais, de part et d'autre de l'avenue, la rue de
Tilsitt est barrée de CRS, ainsi que la rue Arsène Houssaye. Ils nous isolent,
il n'y a plus d'issue. Rapidement ils forment un autre cordon de sécurité en
haut des Champs, sous l'Arc de Triomphe. Nous voilà pris au piège dans leur
filet. L'idée circule alors de percer ces cordons humains, pour laisser entrer
dans la nasse un maximum de manifestants et attaquer à nouveau le barrage
principal, nous interdisant le bas des Champs. Au sud de la rue Tilsitt, un
vieillard barbu, en costard cravate (Que l'on retrouve sur les vidéos
nocturnes, empêchant les camions de CRS de quitter les lieux…) s'approche des
CRS. "Vous utilisez des gaz lacrymogènes?" Réponse du CRS "Pourquoi
poser la question si vous connaissez la réponse?" et le Vieux de s'énerver
"Parce que, Monsieur, je vais écrire un article ce soir! Un article
salé!". Puis la foule le presse contre les boucliers. Des manifestants
tentent de le sortir de cette étreinte. L'un d'entre le saisit, prend dans ses
mains son visage ridé : "Venez, Monsieur, on pousse pour vous!" L'homme sourit et dit " J'ai fait la
Guerre d'Algérie, je n'ai pas peur d'eux!".
Les CRS acculés de part et d'autre de la
rue cèdent le passage. Là, les manifestants sortent de la nasse plutôt que de
grossir le groupe isolé. Mais, galvanisés par les cris de victoire, ils font
demi tour et se jette sur la rue Houssaye pour faire sauter le second verrous. Les CRS chargent, un homme et un agent
trébuchent. Alors que les CRS gazent le manifestant au sol et le rouent de
coups, quelques uns d'entre nous assènent à l'agent à terre de nombreux coups
de pieds avant de s'enfuir dans la foule.
Protégés par un petit cercle de CRS, les
gendarmes menottent leur proie inerte, allongée par terre. De toute part,
afflue la foule hurlante, scandalisée de cette capture violente. Trainant leur
homme, les CRS battent en retraite.
18h45: Nous voilà revenu sur la
barricade centrale. Un fumigène lancé de la foule arrive à mes pieds.
Rapidement je m'en saisi et le lance par dessus les plaques en Plexiglas, sur
les CRS. Des jeunes me crient: "Barres toi! Barres toi! Ils vont te
chopper!" Tournant la tête, j'aperçois deux policiers en civil qui courent
vers moi. Instinctivement, je prends les jambes à mon coup et je m'enfui vers
l'Arc de Triomphe, slalomant entre les manifestants. Mais la place de l'Etoile
est bloquée. Pris au piège, je redescends les Champs et replonge dans la foule,
les deux agents à mes trousses. Je cris: " Aidez moi, ils veulent
m'attraper!" Les manifestants, notamment un couple de personnes âgées,
n'ont pas froid aux yeux: A grands coups de pancartes et bâtons, ils me prêtent
mains forte. Epuisé, je m'arrête et me laisse prendre. Les témoins hurlent leur
colère. Sans résistance, je me laisse entrainer sur la place de l'Etoile,
derrière un fourgon blindé. Quitterie, ma soeur, assiste à l'arrestation. Elle
demande à m'accompagner, sans réponse. Les agents sont ravis. Ils ont apprécié
cette chasse à l'homme, rendue plus "périlleuse" par la complicité
inattendue de la population.
Ils m'ordonne de plaquer mes mains sur
l'aile du véhicule. Ils me fouillent. Je décline mon identité. "Quel
métier exercerez-vous?" Je réponds:" Je suis architecte
paysagiste." Les agents prennent un air dépité. Rapidement, ils m'amènent
derrière les lignes que nous avons essayé de franchir l'après midi durant. Là,
j'entres dans un long fourgon. Au fond, derrière une vitre, quelques
manifestants sont paisiblement assis. Il s'agit des futures gardes à vue. L'un
d'entre eux me sourit. L'agent qui m'a attrapé me livre à deux fonctionnaires.
Il insiste bien sur le fait que je n'ai opposé aucune résistance lors de ma
capture. J'entends les brides de la conversation chuchotée. "Tu penses que
je le mets en garde à vue?" . Réponse du policier en civil:"
Franchement, je m'en fout…". Le fonctionnaire se retourne: "Vous avez
de la chance, on va vous éviter la garde à vue…". Debout dans le fourgon,
il me redemande mon identité. L'autre, assis, prend note et remplit son
procès-verbal. L'ambiance est détendue loin des échauffourées. A mes côtés, un
manifestant me demande mon nom. Je lui
demande "Pourquoi, tu es de la police?" Réponse: -"Non,non,
jeunesse identitaire."
– "Ah… Et pourquoi tu veux mon
nom?"
– "On ne sait jamais…". L'homme
est rondouillard, binoclard et plutôt sympathique.
Je suis transféré du fourgon des
"Gardes à vue" à celui des "Procès verbaux". Le policier
plaisante: "Tu vas les enfumer avec ton odeur!" Je ne comprends pas.
Il ouvre la porte de la cellule. Dans l'obscurité, sept hommes me saluent. Et
commencent à pleurer. Mes vêtements sont imbibés de gaz…. Parmi eux, deux pères
de familles très BCBG, la cinquantaine bien tassée, un trentenaire aux yeux
bleus et à la veste autrichienne, le bulgare capturé en début d'après midi, un
jeune versaillais barbu à la longue chevelure blonde, et un jeune des jeunesses
identitaires.
A la manière d'un cercle d'alcooliques,
chacun raconte la raison de se présence dans ce sombre fourgon… En attendant la
fin de la manifestation, on se passe les premières images: Vidéos d'enfants qui
pleurent après avoir respirés un l'air saturé en gaz, photos de violentes
altercations…L'ambiance est bon enfant… L'un des gars, le jeune versaillais a
perdu une chaussure. Il semble en connaitre un rayon sur les manifs musclées:
Il parle d'eau citronnée pour soulager les brulures de gaz, des CRS qui
n'étaient pas d'accord avec la gendarmerie sur le plan à exécuter pour nous
isoler…. Silencieux, nous l'écoutons pour passer le temps.
Le trentenaire en larme, change de place
pour s'éloigner de moi. Il demande à l'agent d'allumer les ventilateurs.
Malheureusement, ils ne marchent pas…
20h00: Le fourgon démarre et nous amène
au commissariat du 7ième arrondissement. Des locaux sinistres. Des policiers
avenants vaquent à leurs occupations l'arme à la ceinture. C'est un soir de
grande animation. Il faut s'occuper de toute cette mauvaise graine. Les
condamnés à la garde à vue sont assis face à l'accueil, menottés à leur banc.
Nous sommes assis derrière eux, sur des sièges individuels. Pas plus troublés
que ça, les "gardes à vue" plaisantent et exigent que l'on retournent
le portait de François Hollande qui trône sur le mur d'accueil. Les policiers
sourient. Ils semblent apprécier l'humour franchouillards de leurs captifs. Ils
mettent un temps fou à épeler le nom du Bulgare…. Et reviennent pour déchiffrer
son adresse. Il est journaliste à Sofia. Le policier s'étonne: "Vous êtes
venu de si loin pour cette manif?"
Il répond simplement: "Mais je suis journaliste, je fais mon
travail. J'étais assis par terre et on m'a embarqué." Un manifestant l'interpelle: "Vous
pouvez téléphoner à votre ambassade et demander une protection, dites que vous
faisiez du shopping sur les Champs…" Le Bulgare n'est pas convaincu. Les
autres rigolent.
21H00: La Police nous relâche. Avec le
versaillais sans chaussure nous traversons le Pont des Invalides et revenons
sur les Champs-Elysées. La circulation a repris, comme si de rien n'était. Le
Versaillais fait demi-tour, il vient d'apercevoir dans un bus de gendarmerie
quelques amis qui s'acheminent vers le commissariat. Je croise un couple de manifestants: Je
leur demande: "Alors c'est fini là haut? Il n'y a pas de tentes?" "Non, il se sont fait virer, maintenant
ça craint, il n'y a plus que des casseurs et des gars du GUD." Déçu, je
repars vers le 15ième et l'appartement de mon frère. En passant devant le
commissariat, j'aperçoit un groupe de manifestants qui scandent en riant :
"Libérez les prisonniers! Libérez les prisonniers!" . Le versaillais est parmi eux. Refusant de prendre le métro, je décide
de marcher, pour m'imprégner une dernière fois de cette odeur de poudre qui
règne encore ce soir sur la Capitale."