Du Père Danziec dans Valeurs Actuelles :
20 ans les séparent. D’autres diraient un monde. Entre la dernière édition de la grande boucle et l’affaire Festina du Tour de France 1998, le bilan est sans appel. Le cyclisme a changé. Question de contraste. Il y eut les larmes de Richard Virenque devant un parterre de journalistes. Dans l’arrière-salle d’un petit café de Corrèze, modeste bistrot transformé en salle de presse de fortune, le coureur annonce qu’il est contraint, avec son équipe, de quitter l’épreuve pour « manquement à l’éthique ».
Puis ce furent, il y a quelques jours, les larmes de Thibaut Pinot dans l’ascension virile du col de l’Iseran. Alors que le maillot jaune lui tendait les manches, le leader de l’équipe Groupama-FDJ, est contraint à l’abandon pour blessure. Si les larmes quelles qu’elles soient appellent la compassion, elles n’ont pas toutes le même parfum. L’ère du dopage industriel semble désormais appartenir à un passé révolu. Finis le mensonge généralisé et l’omerta convenue. Dorénavant place aux coups de bordure, aux belles bagarres en montagne, aux échappées héroïques et non suspectes, au suspense jusqu’au bout du fil. En un mot, au panache tel qu’on l’aime.
Mais au-delà du cadre sportif, l’épopée cycliste du mois de juillet délivre un autre message. Chaque été, la caravane du Tour sillonne, comme un prêtre sa paroisse, les recoins du pays. Elle offre de la place pour tous et pour chacun. Les grands comme les sans-grades ont droit aux projecteurs. Les vrais curés le savent : faire l’unanimité parmi ses ouailles consiste en premier lieu à n’exclure personne et visiter tout le monde. Probablement sans le savoir, le tracé du Tour a quelque chose d’évangélique. A l’image du Christ, il fait étape chez les notables sans manquer de s’arrêter chez les oubliés.
Bien-sûr il y a l’incontournable avenue des Champs-Elysées, mais auparavant les cyclistes auront défilé dans des villages improbables en Ardèche. Les lieux mythiques de l’hexagone ont droit aux mêmes égards que d’autres endroits plus anodins. La colonne passe au pied du Mont Saint-Michel ou près du pont du Gard. Mais elle suit aussi sa course au milieu des territoires abandonnés par la mondialisation ou aux abords des églises perdues du Limousin dont les cloches indiquent les heures à défaut de pouvoir annoncer des offices. Depuis des générations, le peloton réveille ainsi, été après été, l’âme de la France.
Pour ma part, semaine après semaine, il m’appartient de réveiller les âmes que la Providence me confie ou met sur mon chemin. Je partage la table de paroissiens fidèles faisant après le repas la prière du soir en famille au pied d’un oratoire au salon. Mais je m’invite avec autant de joie dans des cantons éloignés, sous les toits de personnes aux mains calleuses, et parfois aux bras tatoués, qui vous disent, les yeux humides à l’heure des au revoir, leur fierté d’avoir reçu un prêtre chez eux pour la première fois de leur vie. Mes raids solitaires se font en voiture sans faire la une des journaux. Les échappées comme les victoires d’étape du sacerdoce appartiennent au secret d’une chambre d’hôpital, à l’intimité d’un confessionnal, à la profondeur d’une prière, à une main que l’on serre, à la clarté d’un regard dans lequel on peut deviner les traits du visage même de Dieu.
Alors oui, disons-le sans fard, le clergé comme le cyclisme a ses scandales. Scandales terriblement sans proportion. D’autant plus grave que, là aussi, le mensonge fut parfois généralisé et l’omerta convenue. Cependant, si les affaires ecclésiastiques, qu’elles soient de mœurs, d’argent ou de pouvoir, jettent un discrédit évident sur l’ensemble de la corporation, elles peuvent être aussi l’occasion d’une purification et d’un retour aux sources. Le monde du cyclisme a connu lui aussi son chemin de croix. Le monde du clergé peut connaître lui aussi sa rédemption. Avant 20 ans, je l’espère.