Dans une analyse ciselée, Jeanne Smits décrypte sur Réinformation le texte Fiducia supplicans. Extrait :
[…] ce qui est proposé, au nom de la « force inconditionnelle de l’amour de Dieu » (expression dangereuse, comme nous l’écrivions ici), c’est bien de bénir ces couples en couple et en tant que tels. Et donc leur relation gravement désordonnée ; contraire aux commandements de Dieu. On n’imagine pas un prêtre bénissant – par exemple – l’association de deux cambrioleurs de profession. Ou le partenariat de mafiosi, de fabricants de pilules abortives, de producteurs de films pornographiques.
La possibilité de donner une bénédiction aux couples divorcés remariés ou aux couples de même sexe signifie peu ou prou que leurs actes ne sont pas si graves ; que leur décision de vivre comme partenaires sexuels et leurs vies en tant que tels comportent des éléments positifs. La Déclaration proclame que la bénédiction « descendante » de ces couples vise ceux qui, « se reconnaissant indigents et ayant besoin de son aide, ne revendiquent pas la légitimité de leur propre statut, mais demandent que tout ce qui est vrai, bon et humainement valable dans leur vie et dans leurs relations soit investi, guéri et élevé par la présence de l’Esprit Saint ».
Or justement, ils ne peuvent bénéficier de la présence de l’Esprit Saint, de la charité divine dans leurs âmes, car ils l’ont rejetée : le péché mortel – ici revendiqué – entraîne la mort spirituelle, ferme les portes du ciel, prive le pauvre pécheur de la capacité de poser des actes méritoires pour son propre salut… Ce salut, les mérites infinis du Christ le lui offrent toujours et sont seuls à pouvoir le lui acquérir ; s’il le veut bien. Combien trompeuse et malveillante serait une « bénédiction » qui donnerait aux couples l’illusion que tout ne va pas si mal, puisqu’ils sont bénis ensemble ! […]
Sur Famille chrétienne, Thibaud Collin écrit :
[…] Le moins que l’on puisse dire est que ce texte est confus et pose de nombreux problèmes.
- Tout d’abord, la notion de « couple » appliquée à une relation entre deux personnes de même sexe implique de facto une certaine reconnaissance d’une conjugalité homosexuelle. Or dans la doctrine anthropologique et morale de l’Eglise le fondement d’un couple est le mariage.
- Dieu peut-il bénir un « couple » de personnes de même sexe en tant que tel ? Peut-on ainsi étendre la bénédiction divine de la personne, quels que soient sa situation et son péché, au couple comme entité ayant une consistance propre ? Qu’est-ce qu’un couple si ce n’est une relation fondée sur deux libertés qui se déterminent dans des actes ? Le couple n’est donc pas une simple situation de fait, il est une réalité morale et anthropologique. Il apparaît ainsi impossible que Dieu puisse dire du bien d’une réalité qui est intrinsèquement désordonnée, c’est-à-dire contraire à son dessein d’amour et de sagesse sur l’être humain, créé homme et femme.
- Si l’on veut reconnaître que sont présents dans une relation entre personnes de même sexe des éléments positifs, ce qui est bien sûr possible, ce n’est pas en tant qu’elles forment un couple mais en tant que cette relation est ce que l’on nomme une amitié. Mais une amitié n’a jamais fondé un couple et l’amitié véritable implique l’affirmation chaste de la valeur de la personne.
- Si l’on lit attentivement le texte, on constate qu’il est ambigu. Il parle en effet de « l’invocation d’une bénédiction descendante de Dieu lui-même ». Or l’invocation relève par définition d’un mouvement ascendant vers Dieu et non pas descendant de Dieu. Ainsi le prêtre devient le médiateur d’une double bénédiction, transmettant vers Dieu les demandes du « couple » afin que Dieu, en retour, le bénisse. Mais comme il est un ministre ordonné, quand bien même ce n’est pas une bénédiction liturgique, il est manifeste que cet acte a une portée symbolique très forte et qu’il s’agit d’un détournement de la médiation sacerdotale. Elle ne peut qu’induire en erreur les deux personnes en leur faisant croire que Dieu bénit leur relation en tant que telle.
Cette déclaration est présentée comme commandée par la prudence pastorale. Or la prudence est ordonnée au bien commun. De nombreux éléments de ce texte sont source de confusion quant au dessein de Dieu sur la personne humaine. Dans le contexte social actuel de notre monde postmoderne, cette déclaration ne peut qu’apparaître aux yeux du plus grand nombre que comme une concession à l’esprit de notre époque. Il introduit une tension voire une contradiction dans le discours anthropologique et moral de l’Eglise en laissant croire que Dieu peut bénir un couple de personnes de même sexe en tant que tel. Enfin, il autorise un élargissement pastoral à d’autres situations relationnelles telles que le « trouple », la polygamie et les couples dans lesquels les « identités de genre » sont variables, non plus fondées sur le socle des relations entre les hommes et les femmes. On ne saurait donc sous-estimer la gravité des enjeux engagés dans Fiducia supplicans.