Homélie de Dom Hervé Courau, père abbé de Triors, le jour de Pâques, 5 avril 2015 :
Comment Pâques peut éclairer l'incinération
Les Pères font admirer tous les détails de l'ensevelissement de Jésus, avec ses aromates et ses parfums, ses bandelettes et le linge bien plié. L'évangile y préparait : S. Jean détaille en ce sens la résurrection de Lazare (Jn. 11), ainsi que l'onction de Béthanie en laquelle Jésus voit une préparation de sa propre sépulture (Jn. 12,7). De nos jours, quasiment sous nos yeux, le Saint-Suaire continue de faire entrer dans la vie cachée du Saint Sépulcre et dans le mystère chrétien de la mort : que ne nous dit-il pas dans son beau silence ! La vie pascale oriente vers ce recueillement admiratif de la victoire sur la mort au milieu de la nuit, mors et vita duello..
Aussi depuis Pâques la lumière de la foi éclaire-t-elle nos deuils, elle en relève le sens au-delà des usages par lesquels l'humanité respecte ses morts : notre regard sur Jésus devenu notre vie change tout, comme ce regard changea tout en Marie Madeleine : Qu'as-tu vu sur le chemin, lui demande la liturgie ; le sépulcre du Christ vivant, répond-elle (Victimae pascali laudes). Le Catéchisme définit ainsi le regard chrétien sur la mort : Les corps des défunts doivent être traités avec respect et charité dans la foi et l’espérance de la résurrection. L’ensevelissement des morts est une œuvre de miséricorde corporelle mise à l'honneur chez Tobie (1,16-18), honorant les enfants de Dieu, temples de l’Esprit Saint.
Avec ses horrible charniers, les grands conflits mondiaux du siècle passé ont bouleversé nos sociétés, y compris nos cimetières, et les récents débats publics sur la fin de vie dénoncent une fois de plus les confusions et les sophismes meurtriers d'une laïcité devenu un vulgaire athéisme blessant le sens de la dignité humaine que la foi n'éclaire plus. Mais l'Église retrouve joyeusement les saintes femmes de Pâques, adaptant sa piété aux circonstances des temps actuels. Depuis un demi siècle en particulier, elle autorise l’incinération quand c'est inéluctable, à condition que celle-ci ne manifeste pas une mise en cause de la foi dans la résurrection des corps (CEC 2301). Mais les fidèles sont alors exhortés à ensevelir les cendres de leurs proches, si possible en terre bénite, au lieu de les conserver chez eux (Cong. Culte Divin, Directoire sur la piété populaire et la liturgie, 7 XII 2001). A fortiori faudrait-il éviter de les répandre n'importe où, par désarroi et ignorance. Cela ferait penser alors au sort maudit de Jézabel et des mauvais rois d'Israël dont les restes étaient livrés à la pâture des oiseaux du ciel et des bêtes sauvages (II Rois 9,36 ; Is. 14,18s ; Jér. 8,2s ; 16,4 ; 22,19).
Les fidèles sont la chair du Christ, aime à répéter le pape François ; ils ont droit à de dignes funérailles qui réconfortent les vivants par l’espérance, tout en honorant le défunt et demandant pour lui l’aide divine. Mors et vita duello, la joie pascale doit féconder notre époque à son tour, l'arrachant au chagrin que les disciples connurent eux aussi après le Vendredi saint. Notre temps a un droit strict à jouir de la foi chrétienne dans le Ressuscité avec sa joie propre. Pâques associe ainsi les diverses parties du Credo. De Jésus-Christ qui a été enseveli, il passe enfin à la résurrection de la chair et à la vie éternelle qui nous concernent directement. Notre foi voit le Corps du Christ mort au tombeau et toujours uni au Verbe divin, puis ressuscitant pour nous entraîner dans l'éternité, avec Marie, sa Mère, la première des rachetés dont le corps glorieux précède la résurrection de tous. Oui, la liturgie pascale nous associe à sa joie ineffable, Regina caeli laetare, alleluia, amen.