Et bien nous ne le saurons pas. Pourtant, le député LR Xavier Breton a insisté au sein de l’Assemblée pour avoir une définition de cette nouveauté. Peine perdue :
Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Gérard, pour soutenir l’amendement no 2138.
M. Raphaël Gérard. En plus de fournir le thème de sa prochaine question à M. Bazin, il tend à élargir le dispositif de la reconnaissance conjointe anticipée à tous les couples de femmes qui recourront à l’AMP sans intervention d’un tiers donneur.
Depuis le début de ce débat, l’existence de certaines familles, notamment transparentales, a été largement niée. Pour autant, la loi, telle qu’elle est écrite à ce jour, n’interdit pas l’utilisation des gamètes disponibles au sein des couples de femmes. Peut-être le Gouvernement, ou certains d’entre nous, souhaitent-ils inscrire un principe eugéniste dans la loi en posant une telle interdiction ; il n’en reste pas moins que le droit actuel permet aux couples de femmes qui disposent de spermatozoïdes et d’ovocytes de recourir à l’AMP dans les mêmes conditions que 96 % des couples hétérosexuels, c’est-à-dire sans tiers donneur.
Mme la garde des sceaux évoquait plus tôt certains cas dont la Cour de cassation a été saisie : s’ils soulèvent des problèmes de filiation dans le cadre de couples trans ayant procréé de manière charnelle, c’est uniquement parce que jusqu’à présent, l’AMP était interdite aux couples de femmes.
Nous avons la responsabilité d’anticiper les cas visés par mon amendement, car ils se présenteront inévitablement à l’avenir, et dans des proportions de moins en moins marginales. Longtemps, l’État a imposé une politique de stérilisation aux personnes trans, en contrepartie de leur changement de sexe à l’état-civil – pratique pour laquelle la France a été condamnée il y a quelques années.
De fait, plusieurs générations de personnes trans ont renoncé à avoir des enfants. Or les études menées à l’étranger, notamment en Belgique, révèlent que 54 % des hommes trans interrogés ont le projet de devenir parent, que 40 % des femmes trans vivant en Europe occidentale éprouvent le désir d’avoir un enfant, et que 36 % des femmes trans, qu’elles soient bisexuelles ou lesbiennes, envisagent d’utiliser leur propre sperme.
Si nous ne prévoyons pas de règles spécifiques d’établissement de la filiation pour ces cas – certes marginaux, mais qui existent –, nous risquons d’encourager les CECOS – centres d’études et de conservation des œufs et du sperme – à mener une politique eugéniste en incitant les femmes à recourir à un tiers donneur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Coralie Dubost, rapporteur. Les situations que vous avez rapidement décrites sont pour le moins compliquées… (Sourires.)
M. Raphaël Gérard. Mais elles existent !
Mme Coralie Dubost, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable à cet amendement…
M. Xavier Breton. Parce qu’elle n’a rien compris !
(Sourires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Si je comprends bien, monsieur Gérard, votre amendement a pour objet d’ouvrir l’AMP à des couples de femmes dont l’une était antérieurement un homme et a changé de sexe à l’état civil, tout en conservant son appareil reproductif masculin ou en ayant conservé ses gamètes. La situation inverse peut d’ailleurs se présenter.
En définitive, c’est bien la filiation transgenre que vous souhaitez introduire par le biais de cet amendement. Le Gouvernement a déjà eu l’occasion d’exprimer sa position à ce sujet : les personnes ayant mené une procédure de changement de sexe doivent être traitées comme telles, selon leur sexe à l’état civil. Mais peut-être n’ai-je pas bien compris la teneur de votre amendement, monsieur le député.
Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Gérard.
M. Raphaël Gérard. J’essaierai d’être aussi clair que possible. L’article 1er du projet de loi a ouvert l’AMP à toutes les femmes et à tous les couples de femmes.
Par ailleurs, le texte prévoit l’utilisation des gamètes disponibles au sein des couples. Je me suis contenté d’en tirer toutes les conséquences possibles pour certaines dispositions que j’entendais inscrire dans le dur de la loi, mais cela m’a valu une résistance récurrente de cette assemblée. Pourtant, à aucun moment la loi ne dit explicitement qu’un couple de femmes ne peut pas utiliser les gamètes dont elle dispose, au même titre qu’un couple hétérosexuel.
Un couple de femmes trans qui procrée de manière charnelle aura accès à l’AMP avec tiers donneur, et le dispositif de la reconnaissance conjointe anticipée fonctionnera pleinement. Mais qu’en sera-t-il pour les couples de femmes qui utiliseront les gamètes disponibles en leur sein ? La France n’a pas de raison de s’opposer à cette pratique, et, si elle le faisait, la CEDH ne tarderait pas à trancher sur ce point.
Mon amendement vise donc à ouvrir la reconnaissance conjointe anticipée à ces couples, même en l’absence de tiers donneur. La double filiation pourra ainsi être établie pour les deux mères, qu’il y ait ou non tiers donneur.
Ces cas sont certes très particuliers, mais la loi doit les couvrir puisqu’il s’agit de projets parentaux portés par deux femmes à l’état civil recourant à l’AMP. Alors que les couples recourant à un tiers donneur verront s’appliquer la reconnaissance conjointe anticipée, ceux qui utiliseront les gamètes disponibles en leur sein en seront exclus. Ce n’est pas moi qui y vois un eugénisme, mais la CEDH : la France peut-elle refuser à un couple d’utiliser les gamètes dont il dispose, au motif qu’il est constitué de deux femmes à l’état civil ? Une telle interdiction nous exposerait à de réelles difficultés vis-à-vis de la CEDH.
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton.
M. Xavier Breton. Je m’efforce de suivre vos arguments et de rester à la page, pour pouvoir en parler avec mes enfants et leurs amis le dimanche (Rires), mais pouvez-vous m’expliquer, monsieur Gérard, ce qu’est un couple « transparental » ? Quelles en sont les combinaisons possibles ? Peut-il s’agir de deux femmes dont l’une est transgenre, notion que j’ai intégrée, et l’autre cisgenre, bien que je ne sache trop ce que cela signifie ?
Aidez-nous à nous mettre à la page, car nous sommes complètement perdus ! Concrètement, à quoi correspondent ces cas ? Nous ne faisons pas ici de la théorie : nous parlons de la réalité. Puisque vous avez introduit la notion de genre dans la loi, nous en voyons surgir de multiples développements, sous l’ombre tutélaire de la CEDH qui entend nous imposer des évolutions du droit au nom de l’égalité. Voilà ce qui se produit actuellement. Ces sujets étant éminemment sérieux, je réitère ma question : concrètement, qu’est-ce qu’un couple « transparental » ?