Adeline Le Gouvello, avocate, a été interrogée sur Gènéthique sur le problème de filiation que crée la PMA. Extrait :
Il est un argument utilisé pour justifier la coparentalité : « un enfant né de deux parents qui s’aiment ne sera pas nécessairement heureux. Tandis qu’un enfant désiré et élevé par deux parents aimants : n’est-ce pas là, la clé de son bonheur ? ». Le projet est-il réaliste ?
Les adultes en désir d’enfants ne sont pas forcément meilleurs ni plus équilibrés que les autres. En témoignent les faits divers qui régulièrement alimentent la chronique des journaux, comme cette mère qui, après avoir conçu son enfant dans un cadre de « coparentalité », le père étant homosexuel et étant entré en relation avec elle grâce à l’un des sites internet dédiés, a tué son bébé en le lâchant du 7è étage… Les contentieux qui émaillent le quotidien des tribunaux en témoignent également : d’un projet enthousiasmant au départ, on passe à une situation extrêmement conflictuelle avec une saisine du juge pour trancher la question de l’exercice de l’autorité parentale (qui en est titulaire ?), les droits de visite et d’hébergement, et non plus pour deux mais pour trois, quatre (voire plus) « parents »… La situation est donc bien pire. Parfois, du fait des séparations et des remises en couple des uns et des autres, les enfants se retrouvent à devoir être hébergés dans quatre foyers différents (les quatre adultes à l’origine du projet de coparentalité, chacun séparé et chacun revendiquant un droit à l’égard de l’enfant). Ce ne sont pas des cas d’école. La situation de ces enfants n’est pas tenable.
L’amour ne justifie pas tout, et en particulier, ne peut pas justifier de priver l’enfant de sa filiation « réelle », ni le priver d’être éduqué par ses parents de naissance. Les normes internationales garantissent à l’enfant que soit établie sa filiation « réelle » (pour reprendre une terminologie de la Cour Européenne des Droits de l’Homme) et qu’il soit éduqué par les parents dont il est issu. On soulèvera alors d’emblée le paradoxe de cet amour d’adultes en projet de coparentalité qui commencent par priver l’enfant de l’un de ses droits fondamentaux et le rendent objet d’une convention, d’un accord, comme s’il était un objet de commerce. Il s’agit là d’une réification de l’enfant.
Comment ces pratiques impactent-elles la filiation ? Quels nouveaux défis font apparaître ce type de parentalité ?
Notre droit de la filiation repose sur des faits objectifs. Il est fondé sur la réalité et la vraisemblance biologiques et il a fait ses preuves comme tel. La filiation d’un enfant lui montre de qui il est issu. Fonder désormais la filiation sur une « parentalité » d’intention est dangereux.
Ces pratiques de co-parentalité, basant la conception d’un enfant et le fait d’être parent sur l’intention et la volonté, rejoignent les projets actuels de suppression de la condition thérapeutique pour la Procréation Médicalement Assistée. En ouvrant la PMA avec tiers donneur aux couples de femmes, il devient nécessaire de baser la filiation non plus sur la réalité biologique ou sa vraisemblance (un enfant ne peut être issu de deux femmes), mais sur la volonté d’être parent.
Or, ce que la volonté fait, la volonté peut le défaire. On pourrait ne plus se déclarer parent (consentement vicié à la base) ou s’ajouter comme nouveau parent (investissement et amour auprès de l’enfant) : en écartant toute référence biologique pour l’établissement de la filiation, il n’y a plus de raison de limiter le nombre de parents à deux. En cela, l’ouverture de la PMA pour les femmes favoriserait fortement la coparentalité.
Baser la filiation sur l’intention entraînerait des conflits de filiation insolubles : s’il devient nécessaire de mesurer l’investissement et l’amour sans faille d’un adulte pour le désigner comme parent, critères subjectifs et nécessairement évolutifs, les juridictions n’en ont pas terminé avec les conflits de filiation !
A terme, c’est la filiation dans son ensemble qui sera impactée car on ne pourra continuer à faire coexister deux systèmes : l’un basé sur des faits objectifs, l’autre sur la volonté. Comment continuer à imposer à un père qui le refuse l’établissement de sa paternité biologique alors qu’à côté on est père ou on ne l’est pas suivant l’intention que l’on aura manifesté (dans le cadre d’une PMA, le donneur pour un couple de femmes ne pourra jamais être « ennuyé ») ? L’incohérence des dispositions conduira à court ou moyen terme à une unification, toute la filiation devant être basée sur la volonté, ce qu’on ne peut sérieusement envisager. […]