Lu sur Gènéthique :
Les efforts visant à renforcer la formation des professionnels de la santé et l’éthique médicale doivent s’appuyer sur « une solide compréhension du rôle de la médecine au sein du régime nazi », affirme un nouveau rapport de la Commission Lancet sur la médecine, le nazisme et l’Holocauste : Historical Evidence, Implications for Today, Teaching for Tomorrow [1]. Ces travaux sont le fruit du travail d’une vingtaine d’experts internationaux réunis pour la première fois afin d’aborder l’histoire de la médecine. Ils ont publié leur rapport dans The Lancet [2].
« En apprenant comment et pourquoi de telles atrocités ont été commises, les générations de médecins et de professionnels de la santé seront mieux à même de faire face aux dilemmes médicaux moraux et éthiques et à leurs propres préjugés, de s’opposer au pouvoir et de protéger les populations et les patients vulnérables », jugent les auteurs du rapport.
Des programmes eugénistes, d’euthanasie et des « expériences humaines brutales »
En effet, le corps médical a joué un « rôle central » dans les crimes des nazis, affirment-ils. « En 1945, de 50 à 65 % des médecins allemands non juifs avaient rejoint le parti nazi ». « Les crimes n’ont pas été commis uniquement par des médecins extrémistes » ou « sous la contrainte ».
Les programmes eugénistes, d’euthanasie et les « expériences humaines brutales » déployés dans un cadre médical ont causé « au moins 230.000 morts » de personnes handicapées, de patients juifs et de déportés. Parmi eux, on recense de « 7.000 à 10.000 enfants ». En outre, 300.000 stérilisations forcées environ ont été pratiquées.
Un « devoir de mémoire »
« Contrairement aux idées reçues », « la médecine dans l’Allemagne nazie n’était pas une pseudo-science » soulignent les auteurs du rapport. La « recherche nazie » a même pu devenir « partie intégrante du canon de la connaissance médicale ». Il en est ainsi par exemple de la compréhension actuelle des effets du tabac et de l’alcool sur le corps, qui a été alimentée par ces recherches.
En conséquence, les auteurs préconisent que ces faits historiques fassent partie des cursus de formation des professionnels de santé. Il est « souvent surprenant de constater à quel point leurs connaissances » sont « limitées aujourd’hui, hormis peut-être une vague notion des expériences de Josef Mengele à Auschwitz », notent-ils.
« Reconnaître l’humanité et la dignité de chaque patient »
Grâce à ce « devoir de mémoire » les médecins pourront « apprendre à s’opposer à des directives posant des dilemmes éthiques ». Parmi les problématiques, le rapport mentionne « les soignants encadrant les interrogatoires de terroristes », ceux pratiquant un tri dans les hôpitaux « lors d’afflux massifs de patients », ou encore les questions de fin de vie. « Un large éventail de débats que nous observons actuellement en médecine – de la question de savoir qui devrait recevoir des soins lors d’un événement catastrophique, aux soins de fin de vie et aux nouveaux développements en génétique, pour n’en citer que quelques-uns – montre à quel point la médecine et la science sont liées à la politique, aux croyances personnelles et aux facteurs socio-économiques, a déclaré le professeur Herwig Czech, de l’université médicale de Vienne, coprésident de la Commission. Les professionnels de la médecine et les chercheurs en sciences biologiques doivent être conscients de ces influences et de leurs multiples implications pour les patients et les participants aux études ».
« Nous devons nous élever contre l’antisémitisme, le racisme et les autres formes de discrimination, soutenir et défendre une médecine centrée sur la personne et fondée sur les droits de l’homme, protéger les personnes vulnérables, servir les personnes marginalisées et reconnaître l’humanité et la dignité de chaque patient », a appelé de son côté le Dr Hildebrandt, en résumant les conclusions des travaux de la Commission au cours des trois dernières années.