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Démographie / Pays : Russie

Crise démographique aussi en Russie

Crise démographique aussi en Russie

Lu dans le Figaro :

D’ici 2030, Moscou aura besoin de près de 11 millions de personnes pour faire tourner son économie, selon le ministre du Travail, Anton Kotyakov. Plus de 3 millions pourraient manquer à l’appel, préviennent déjà les experts. De quoi menacer sérieusement la croissance du pays. «Aucun secteur n’est épargné, y compris le complexe militaro-industriel, dans lequel l’État russe investit massivement depuis 2022», explique la politologue Tatiana Kastouéva-Jean. Fin 2024, plus de 80% des entreprises russes déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement, tandis que le chômage a atteint un point bas historique de 2,2% en mai 2025. «Le déficit de main-d’œuvre touche aussi bien des secteurs manuels, comme l’agriculture, avec 600 000 postes vacants, que des domaines hautement qualifiés, comme la tech, où près de 300000 emplois restent à pourvoir», détaille Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe, à Moscou.

Le conflit en Ukraine, qui mobilise près de 700000 hommes sur le front, ainsi que les pertes humaines, estimées à plusieurs centaines de milliers d’hommes, retirent de précieuses ressources du marché du travail. Mais la guerre se mène aussi dans les usines, et la militarisation de l’économie russe met l’ensemble du secteur civil sous tension : «Le complexe militaro-industriel, qui tourne à plein régime, jouit d’une priorité absolue, explique Julien Vercueil, économiste à l’Inalco et spécialiste de la Russie. La hausse des rémunérations dans le secteur a exercé un effet d’éviction sur le civil.» Depuis 2022, plus de 700 000 emplois directs ont été créés dans la défense, qui emploie près de 3,8 millions de personnes aujourd’hui, sans parler des emplois indirects. Mais les causes de ce manque de main-d’œuvre sont aussi et surtout structurelles :

«La Russie paie aujourd’hui le prix de l’effondrement démographique consécutif à la chute de l’Union soviétique, explique Igor Delanoë. En 1999, le taux de fécondité était tombé à 1,16 enfant par femme, l’un des plus bas au monde! C’est cette génération décimée qui arrive aujourd’hui sur le marché du travail.»

Et c’est sans compter le million de jeunes actifs, souvent qualifiés, partis en 2022 pour fuir la mobilisation, dont seule une partie est revenue. En 2024, les plus de 55 ans ont ainsi atteint la proportion record de 30% de la population, selon le ministère du Travail. La raréfaction de la main-d’œuvre pousse les entreprises à surenchérir sur les salaires : «C’est simple, depuis 2022, les salaires de l’ouvrier de base ont été multipliés par deux, témoigne un industriel européen présent en Russie, qui préfère rester anonyme. Il faut compter entre six mois et un an pour pourvoir un poste de mécanicien ou d’ingénieur automaticien», déplore-t-il. À l’échelle nationale, la bataille des salaires a conduit à une hausse des revenus nominaux de l’ordre de 70% en trois ans, alimentant au passage une inflation record qui tourne au casse-tête pour la Banque centrale russe.

L’importation de main-d’œuvre étrangère, principalement en provenance d’Asie centrale, a longtemps fait office de palliatif. Mais ce flux s’est brusquement tari depuis les attentats du Crocus City Hall, dans la banlieue de Moscou, en mars 2024, perpétrés par des islamistes tadjiks. «Des milliers de ressortissants ont été déportés en un temps record, au point de créer une vraie crise dans la restauration, le transport, les taxis», explique Igor Delanoë. En parallèle, Moscou diversifie les zones de recrutement. Des milliers de travailleurs indiens et nord-coréens seraient déjà à l’œuvre sur les chantiers du pays, et des campagnes de recrutement ont été déployées en Afghanistan et en Afrique. «Jusqu’à 50 000 Nord-Coréens pourraient à terme être déployés sur les chantiers de la région de Koursk, frontalière de l’Ukraine», note Igor Delanoë. L’autre front, cher à Vladimir Poutine, est celui de la natalité. «La politique nataliste lancée au milieu des années 2000 n’a fait qu’anticiper des naissances au sein de familles modestes, sans infléchir la dynamique de long terme», constate Julien Vercueil (Inalco). Quant à l’interdiction, depuis fin 2024, de promouvoir le mode de vie «sans enfants» et à la diffusion des «valeurs traditionnelles» familiales dans le pays, elles n’ont pour l’heure pas réussi à inverser un taux de fécondité historiquement bas, établi à 1,4 par femme, bien loin des 2,1 nécessaires au renouvellement des générations. […]

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