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Curieuse façon de commémorer l’anniversaire de l’Aktion T4!

Curieuse façon de commémorer l’anniversaire de l’Aktion T4!

De Roland HUREAUX, Agrégé d’histoire:

C’est par un joli mois de mai  comme celui que nous connaissons qu’Hitler a conçu en 1939 l’opération dite Aktion T4, un vaste plan d’euthanasie des handicapés physiques et  mentaux.

La proposition de loi sur l’euthanasie dont débat aujourd’hui  le Parlement français, excluait cette possibilité. Elle a été rétablie par la commission des affaires sociales, puis le 21 mai, par l’Assemblée. Dans le principe, si la loi est votée, une élimination des handicapés à analogue à celle du IIIe Reich est désormais possible en France.

Si le début officiel de l’opération est le 1er septembre,  au commencement de la guerre, la décision avait  été prise antérieurement  et son exécution préparée tout au long  de l’été. L’opération,  pilotée par la Chancellerie,  a reçu le nom de code  T4 parce que l’  administration dédiée   avait  été installée dans une villa confisquée à une famille juive au 4 de la Tiergartenstrasse  (rue du Jardin des Plantes), une des avenues les plus huppées de Berlin.

C’est là que fut recrutée   une équipe  restreinte    destinée à réaliser  cette élimination,  dirigée par Philip Bouhler,  en liaison  étroite avec le Dr Karl Brandt, médecin personnel du führer[1].

Dès avant son accession au pouvoir, Hitler avait ce projet   en tête. Il découlait de son   idéologie  préconisant l’élimination des  faibles et des tarés, à la  fois pour améliorer la race et  pour  débarrasser le pays de la charge des  improductifs. Il ne fallait   pas trembler pour  le faire  car, selon lui,  le monde appartenait  aux forts  aptes à surmonter les sentiments de  pitié. Cela n’a cependant pas empêché  Hitler de dire aux familles  que l’opération  visait à infliger  « une mort miséricordieuse »   à des gens plongés dans la souffrance . Entre les deux-guerres, l’idée d’une élimination des tarés,  portée par la philosophie de Nietzsche[2], était déjà   dans l’air du temps, non  seulement  en Allemagne mais aussi dans le monde anglo-saxon.

Dès 1933, les nazis avaient pris des  mesures d ’ « hygiène raciale »   : stérilisation obligatoire des porteurs de  maladies héréditaires,   légalisation de  l’avortement dans le cas où un de parents en serait affligé .  Mais pour des raisons politiques,  Hitler  préféra  attendre la guerre pour aller plus loin tout en préparant les esprits par une propagande insistant sur le coût social des handicapés. A partir de 1938, la même  propagande  prétendit  que  des parents de handicapés de plus  en plus  nombreux écrivaient pour demander leur élimination. Comme aujourd’hui, on entend de toutes parts des « témoins » déclarant avec le maximum de pathos souffrir de ne pas pouvoir mettre fin aux jours d’ un parent qui souffre.

Dans le plus grand secret

La difficulté à surmonter  était la résistance prévisible des familles et des Eglises. Tout se fit donc  dans le secret. Si l’opération débuta avec la guerre de  Pologne, c’est que le  régime espérait que le bruit médiatique lié à la déclaration de guerre la couvrirait.

On commença  par les enfants : dès le 18 août, une circulaire imposa  au médecins et sages-femmes de déclarer ceux qui  naissaient handicapés. Les parents étaient  informés de leur  transfert  dans des unités  dispensant des soins spécialisés ; ils devaient signer une autorisation. L’opération fut  très vite  étendue aux adultes : furent  particulièrement visés les psychopathes, les alcooliques, les infirmes, les faibles d’esprit,  les incurables.  L’inaptitude au travail était   le  critère déterminant.

L’opération  se fit hors des  hôpitaux psychiatriques,  dans six centres spécialisés, dont  des châteaux isolés,   répartis sur tout  le territoire. Les malades y  étaient amenés dans des autobus gris aux vitres  opaques   de la  société d’Etat Gekrat. Ignorant leur destination, les familles  recevaient  plus tard un faire-part de  décès pour cause d’épidémie et quelquefois une urne funéraire.

La  majorité du corps médical  était au  courant  comme l’a montré le procès des médecins qui s’est tenu à Nuremberg en 1948. Après avoir essayé les piqures de  morphine ou scopolamine, l’administration du T4  jugea plus expéditif le recours au   monoxyde de carbone, suivi d’une crémation.

On estime que,  pendant les deux années (août 1939-août 1941) où  elle se déroula,  l’opération fit environ 75 000 victimes. Mais l’élimination des malades mentaux ou enfants  handicapés se poursuivit hors de l’opération T4,  dépassant au total   les  100 000 victimes.

Le secret presque absolu dans lequel elle fut menée   fit que les réactions furent lentes. D’autant qu’en régime totalitaire, les   familles sont isolées les unes des autres et sous surveillance policière. Quand la chose filtra, des pasteurs protestants et de prêtres catholiques  écrivirent à la Chancellerie. La  protestation la plus spectaculaire  fut celle de Mgr Clemens-August  von Galen,  évêque de Munster qui, à l’été 1941,  saisit la justice  et  interpella  avec véhémence le gouvernement  du haut de sa chaire.  Que l’opération ait cessé peu après   est-il l’effet  de cette interpellation ou cette phase de l’opération était-elle  terminée ? Toujours est-il que l’évêque fut mis au secret et plusieurs de ses prêtres déportés.

Une autre raison de mettre  fin à l’ opération était  qu’à  l’automne 1941, après l’invasion de la Russie, commençait  l’élimination  des juifs, d’abord par balle dans les terres  occupées de l’ Union soviétique puis,  de manière plus « scientifique »,  dans des camps. L’Aktion  T4 aura  servi en quelque sorte à tester   ce genre de massacre de masse,  prévu lui  aussi depuis longtemps. Le personnel qui avait été recruté pour éliminer  les  malades  mentaux  fut  en partie  transféré dans les  camps d’extermination.

[1] Condamné à mort à Nüremberg ; Bouhler s’est suicidé  en prison.

[2] Le philosophe a à plusieurs  reprises  recommandé l’élimination des  tarés.

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