Du père Danziec dans L’Homme Nouveau :
[…] Devant la multiplication des actes barbares, relayés par les chaînes d’information en continu, le président de la République s’est vu contraint de réagir. En plein conseil des ministres, Emmanuel Macron appelait son gouvernement à « travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation ».
À l’heure de la cancel culture où contester à l’Occident sa filiation spirituelle avec Jérusalem et son héritage gréco-romain devient la règle – selon les wokistes, l’Europe ne serait à tout prendre qu’un ensemble de territoires mal définis aux origines cosmopolites – voici que le thème de la civilisation revient sur le devant de la scène. Et nous ? En tant que disciples du Christ, que pouvons-nous faire « pour contrer ce processus de décivilisation » ?
Tout d’abord, que faut-il entendre par « civilisation » ? Ce n’est qu’en 1835 que ce mot fit son entrée dans le dictionnaire de l’Académie. De son côté, le Littré en a longtemps offert une définition littérale peu éclairante, « La civilisation correspond à l’état de ce qui est civilisé, autrement dit ce qui rend civil, ce qui polit les mœurs. » Nous voici peu avancés.
Pour obtenir une définition philosophique plus aboutie, c’est chez le maître de Martigues que l’on finira par trouver matière à réflexion :
« La civilisation correspond à l’état social dans lequel l’individu qui vient au monde trouve incomparablement plus qu’il n’apporte. La civilisation est d’abord un capital. Elle est ensuite un capital transmis. »
Dans « L’avenir de la civilisation », article du 1er mars 1922 publié dans La Revue universelle, Jacques Bainville analysait, avec la profondeur de vue qu’on lui connaît et l’intense réflexion qui lui est caractéristique, les conditions de la transmission de ce capital civilisationnel.
« Ah ! Comme la civilisation est fragile ! On pourrait dire d’elle ce que disait de la santé un médecin célèbre : “La santé est un état provisoire et qui ne laisse rien présager de bon.” La civilisation tient comme la santé à un équilibre instable. C’est une fleur délicate. Elle dépend de tout un ensemble de conditions. Supprimez quelques-unes de ces conditions : elle dépérit, elle recule. »
En d’autres termes, explique l’académicien, la civilisation est une plante qui pousse avec des soins. C’est une plante de serre. « Elle exige qu’un grand nombre de conditions économiques, sociales et politiques soient remplies. » Outre un ordre politique stable, Bainville indique notamment comme condition essentielle à remplir pour que la civilisation se maintienne l’importance d’écoles dignes de ce nom. C’était il y a un siècle, et il avait déjà vu juste.
Si la lucidité oblige à admettre que l’Église fait face à un déclassement annoncé – ignorance catéchétique généralisée, assèchement des vocations, chute vertigineuse de la pratique, effondrement en termes de déclaration d’identité –, la foi et l’espérance nous pressent de rester debout dans la tempête.
L’Église, mère et maîtresse des âmes, des intelligences et des cœurs, possède les paroles de la vie éternelle. Ses enfants, en puisant dans les trésors de sa spiritualité, de son enseignement constant et de sa tradition, pourront « travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation ».
L’orgueil d’un progrès ambitionné sans repères évangéliques et sans Décalogue finit toujours par prendre en boomerang ses prétentions à vouloir vivre sans Dieu. Pour saint Augustin, « Un monde moins chrétien est d’abord un monde moins humain. » La « décivilisation » a l’avantage de nous le rappeler.
Mais comme tout rappel, elle invite chacun à se remobiliser. L’avenir est aux humbles vertus du travail, de la piété filiale, de la discipline ou encore de l’ascèse. Rien de romantique en soi, sinon de savoir que nos humbles fidélités contribuent à la joie du Divin Maître. Et qu’elles finissent toujours par porter pierre.