Philippe de Lachapelle, directeur de l’Office chrétien des personnes handicapées, est interrogé sur le site du diocèse de Paris :
L’affaire Vincent Lambert déchire une famille depuis dix ans, et, plus largement, la société dans son ensemble. Que révèle-t-elle selon vous ?
Je ne commenterai pas la division douloureuse de cette famille ni cette affaire complexe, sauf à dire que je ne comprends pas pourquoi cet homme de 42 ans n’a jamais été installé dans une unité spécialisée.
Que nous dit Vincent Lambert dans son extrême vulnérabilité ? Il vient toucher une grande question : qu’est-ce que la personne humaine ? Qu’est-ce qui fait sa dignité ? Les gens dans sa situation questionnent notre XXIe siècle, particulièrement travaillé par la fragilité. La violence des réactions sur ces sujets concernant la fin de vie et l’éthique le prouve. L’extrême vulnérabilité est ressentie de manière variable dans nos coeurs et dans nos têtes : chacun met ce qu’il veut dans ces mots, il y a une dimension personnelle et subjective. Mais personne n’y est indifférent car elle renvoie inévitablement à nos propres fragilités dans un système économique, politique et social qui fonctionne essentiellement à la performance. Le débat actuel, qui n’est pas le dernier, n’est donc pas seulement extérieur à nous-mêmes. Demain, à la suite d’un accident, d’une maladie, d’un événement personnel, nous pourrions tous être Vincent Lambert.
Quelle place la fragilité tient-elle dans notre société, sommes-nous tolérants avec elle ?
Nous sommes encore très intolérants à la fragilité dans les leviers managériaux, économiques et même philosophiques de notre société. La manière dont sont traités les personnes âgées et le personnel qui les accompagne dans beaucoup d’établissements est, par exemple, scandaleuse. Parallèlement, il faut reconnaître que depuis 2005, les efforts faits par l’État en termes d’inclusion des personnes handicapées sont en progrès. Mais on peut faire mieux encore. Dans nos systèmes de management, on ne sait toujours pas comment accompagner ni « se servir » de la fragilité du handicap. Il ne s’agit pas de faire de l’inclusion à marche forcée mais plutôt en expérimentant : on peut organiser des tests en entreprise, ce n’est pas si compliqué et c’est gagnant-gagnant. Il est prouvé qu’accueillir des personnes, même moins performantes, dans une organisation, rend cette dernière plus performante grâce au climat de solidarité et à l’esprit de gratuité instaurés.
La vulnérabilité physique ou psychique n’est pourtant pas souhaitable. Est-elle compatible avec le bonheur ?
Le handicap psychique ou physique est un mal en soi. Il est violent pour la personne qui le porte. Il peut être excluant, même éliminant dans certains cas d’avortement, par exemple, ou de décisions d’arrêt de soins. Mais à l’inverse, en se rassemblant autour de ces personnes, on ouvre des voies de bonheur collectif. Plus on avancera dans notre société post-moderne, plus on se retrouvera face à ces questions que va poser, par exemple, le transhumanisme. On voudrait absolument résoudre la question de la fragilité humaine mais n’oublions pas que cette dernière est justement le lieu de la rencontre et d’un combat commun. La fragilité fait partie de notre humanité. Si on cherche à la remplacer par la performance grâce à la science, on ira dans le mur.