Cette affaire « Tîmpău et Popa contre Roumanie » devant la CEDH touche aux relations États – Églises :
La Convention européenne des droits de l’homme reconnaît l’exercice collectif du droit à la liberté de religion, en citant en particulier « l’enseignement » religieux (article 9 § 1). Autrement dit, le catéchisme ou l’école biblique sont protégés par le droit européen. En Roumanie, cet enseignement religieux est organisé au sein des écoles publiques : il est optionnel et au choix des parents d’élèves, selon leurs convictions religieuses. Chaque Église ou groupe religieux élabore un programme, qui est validé ensuite par l’État, et choisit ses enseignants, en leur donnant un « agrément » pour enseigner.
Doina Tîmpău et Lorica Popa étaient enseignantes de la religion orthodoxe. Elles avaient cet « agrément », qui dans l’Église orthodoxe est un mandat de l’évêque, et pouvaient ainsi donner les cours de catéchisme aux enfants dont les parents le souhaitaient. Cependant, Doina Tîmpău employait un langage indécent et vulgaire et réprimait constamment les élèves, et Lorica Popa était jugée comme une mauvaise enseignante si bien que les parents désinscrivaient leurs enfants de son cours. Leur évêque leur a donc retiré leur agrément en 2015 et elles ont dû cesser l’enseignement.
Mmes Tîmpău et Popa se sont opposées à cette perte d’agrément en saisissant les juridictions civiles. Or, ces juridictions ont déclaré ne pas être compétentes pour juger. Les ex-catéchistes ont chacune déposé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), en 2017 et 2018, et cette affaire a été communiquée au Gouvernement roumain en janvier 2022[1]. L’ECLJ a été autorisé par la Cour à intervenir dans cette affaire et a déposé ses observations écrites en avril 2022. « Tîmpău et Popa contre Roumanie » soulève des enjeux majeurs, touchant aux relations États – Églises et à la jurisprudence de la CEDH.
Ce n’est pas aux États de choisir des catéchistes : c’est la responsabilité des Églises
Selon Mmes Tîmpău et Popa, il aurait dû être possible d’attaquer leur perte d’agrément devant les juridictions civiles, c’est-à-dire étatiques. Or, il n’existe pas de droit civil, en droit roumain, à exercer la profession de catéchiste. Cette activité est réglée par les dispositions statutaires et canoniques de chaque religion. Le droit roumain vise ainsi à éviter que les autorités civiles ne se substituent aux religions dans leur administration interne. Doina Tîmpău et Lorica Popa considèrent que ces dispositions du droit roumain violent leur droit d’accès à un tribunal, garanti à l’article 6 § 1 de la Convention européenne.
Dans ses observations, l’ECLJ a démontré qu’il n’y a aucune violation de ce droit. En effet, dans sa jurisprudence, la CEDH insiste sur le fait qu’il ne lui appartient pas de créer, par voie de jurisprudence, des droits civils qui ne sont pas reconnus dans l’ordre interne[2]. Les juridictions civiles peuvent donc se déclarer incompétentes s’agissant des décisions de nature religieuse, ceci afin d’éviter que les autorités civiles ne deviennent des autorités religieuses[3]. Ce sont les juridictions canoniques, internes à l’Église orthodoxe, qui sont compétentes pour vérifier que la perte des agréments des requérantes était justifiée. L’article 6 continue à s’appliquer pour tous les actes qui, contrairement à l’enseignement du catéchisme, ne découlent pas de la religion.
Dans une opinion séparée dans l’affaire Károly Nagy c. Hongrie [GC], le juge Pinto de Albuquerque a rappelé que cette jurisprudence était constante :
« Dans la plupart des cas, la Cour a conclu que le volet « civil » de l’article 6 n’était pas applicable car il n’existait pas de « droit » qui soit reconnu, au moins de manière défendable, en droit interne. Dans ces affaires, la Cour s’est bornée à vérifier si la mesure adoptée par les autorités ecclésiastiques et soumise au droit ecclésiastique pouvait se prêter à un contrôle par le juge national selon l’état du droit national et si cette situation était claire et établie. Dans les affaires où la Cour a conclu que la mesure ne pouvait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, elle a souscrit à la conclusion des juridictions nationales selon laquelle pareil contrôle empièterait sur l’autonomie de l’Église[4] ».
La CEDH doit rappeler le principe de l’ « autonomie des organisations religieuses »
Mmes Tîmpău et Popa invoquent également leur droit au respect de la vie privée, garanti à l’article 8 de la Convention européenne. Selon elle, les motifs de leur perte d’agrément, ainsi que ses conséquences sur leur vie professionnelle et leurs revenus, auraient violé ce droit. Or, à défaut de juridiction sur les faits en cause, il est difficile de reprocher aux juridictions civiles roumaines de ne pas avoir protégé les requérantes des conséquences de la perte de leurs agréments sur leurs vies privées. Selon l’ECLJ, l’examen de la Cour ne peut donc être que limité à la vérification de l’absence d’abus de la part des autorités religieuses, c’est-à-dire de détournement de leur pouvoir dans un but autre que religieux.
À l’inverse, obliger les juridictions civiles à contrôler des décisions de nature religieuse, comme le choix d’un enseignant de catéchisme, violerait les droits d’autrui, en particulier le droit à la liberté de religion des élèves et de leurs parents – qui comprend le droit des enfants de recevoir un enseignement religieux de qualité conforme aux exigences de leur religion –, ainsi que le droit des Églises au respect de leur autonomie institutionnelle en matière d’enseignement de la religion, qui comprend le droit de dispenser un enseignement religieux conforme aux exigences de la religion. Ces droits sont garantis par les articles 9 et 11 de la Convention, ainsi que par l’article 2 du 1er Protocole additionnel.
L’ECLJ a souligné l’importance de s’appuyer dans cette affaire sur le principe d’« autonomie des organisations religieuses ». Celui-ci a été rappelé par la Grande chambre de la CEDH dans les affaires Sindicatul Pastorul cel bun c. Roumanie, Fernández-Martínez c. Espagne, et Károly Nagy c. Hongrie[5]. Il a également été rappelé dans l’affaire la plus similaire au cas d’espèce : Travaš c. Croatie, jugée en 2016[6]. La CEDH avait alors, en invoquant le droit de l’Église catholique à l’autonomie, validé la révocation d’un professeur d’éducation religieuse à la suite du retrait de son investiture canonique. Ce droit à l’autonomie des organisations religieuses devrait être rappelé dans la future décision Tîmpău et Popa c. Roumanie.