Nous avons interrogé Yves Dupont, physicien et professeur en classes préparatoires, à propos de son dernier livre: “L’empreinte de Dieu dans le monde quantique”:
- La science moderne apparaît très éloignée, parfois même contradictoire, avec la foi. Qu’est-ce qui vous fait penser que la physique quantique échappe à la règle?
Ce n’est qu’une apparence ! A y regarder de plus près, la science ne contredit pas la foi en Dieu créateur et la conforte dans certains domaines parmi lesquels la cosmologie moderne qui laisse à penser que l’univers a un début et qu’il aura une fin. La physique quantique renforce considérablement cet état de fait. Pour la raison essentielle qu’il s’agit d’une théorie ouverte, c’est-à-dire qu’elle n’est pas enfermée dans un système axiomatique contraignant comme c’est le cas en relativité par exemple. Ce qui a pour conséquence qu’elle ne peut se réduire à un pur positivisme mais qu’elle donne lieu à de très nombreuses interprétations qui ne sont pas contenues dans ses fondements. D’une façon ou d’une autre ces interprétations ouvrent sur l’esprit. Michel Bitbol, éminent philosophe des sciences, consacre un chapitre à « la physique quantique et l’irruption de l’esprit » dans son ouvrage « Physique et philosophie de l’esprit ». Cette situation est radicalement nouvelle. Auparavant, il existait une frontière infranchissable entre la science traitant de faits objectifs et l’esprit, domaine du subjectif. Cette irruption de l’esprit ouvre naturellement sur la rencontre avec l’Esprit.
- Comment pourriez-vous synthétiser un siècle de physique quantique et qu’est-ce que cette discipline nous dit du monde dans lequel nous vivons?
La physique quantique nous dit principalement que le réel n’est pas formé uniquement de ce que nous observons mais qu’il se situe « ailleurs ». Bernard d’Espagnat a introduit la notion de réel voilé. Plus précisément la réalité en soi d’un objet se situe à un autre niveau de réalité au-delà de la matière et de l’espace-temps. Cela est principalement dû au fait que la réalité empirique (expérimentale) ne se caractérise pas par une objectivité forte comme en physique classique où les caractéristiques d’un objet sont indépendantes de l’observateur. En effet, les résultats de mesure sont entachés d’un caractère irréductiblement aléatoire qui fait que deux physiciens ne trouveront pas nécessairement la même valeur face à la même situation. Ce qui fait qu’il est impossible d’associer à une particule des caractéristiques propres. Pourtant l’objet existe bien en soi. Cette existence est donc située hors du monde physique. Tout cela découle de la découverte qu’un objet quantique présente aussi un caractère ondulatoire.
Une autre caractéristique essentielle est le phénomène d’intrication : des corrélations instantanées entre deux objets distants peuvent apparaître. Il était possible d’imaginer que ces corrélations sont prédéterminées préalablement, par des phénomènes qui nous échappent, avant que les particules s’éloignent l’une de l’autre. Mais l’expérience d’Alain Aspect (prix Nobel 2022) montre qu’il n’en n’est rien. Ainsi, les deux objets ne forment qu’une seule entité bien que séparés par des distances qui peuvent être astronomiques. La corrélation instantanée ne peut être d’origine physique, comme le montre la relativité. Elle se situe donc en dehors de l’espace-temps. L’origine semble en être purement mathématique.
Cette expérience montre surtout que les états mesurés ne sont pas prédéterminés. La valeur ne se fige qu’au moment de la mesure. Et comme les valeurs sont obtenues par des lois probabilistes, cela montre que le hasard associé n’est pas d’origine physique. C’est un hasard pur, contrairement au hasard usuel qui est lié à un manque d’information sur les systèmes (par exemple sur le lancer d’un dé). Ce Hasard non physique ne saurait provenir de l’espace-temps. D’où vient-il ?
Enfin une autre caractéristique essentielle tient aux objets mathématiques. La description quantique ne peut se faire qu’au moyen de grandeurs mathématiques abstraites. Ce n’est pas qu’un moyen épistémologique. Nombre de physiciens reconnaissent que les objets mathématiques sont plus proches de la réalité en soi que les objets eux-mêmes. Les corps matériels semblent s’estomper en entités abstraites plus proches de l’ultime réalité du monde que les états empiriques. Il s’agit évidemment une révolution considérable de la pensée.
- Vous évoquez l’idée que la physique quantique renoue avec la métaphysique après 4 siècles de science coupée de ses racines philosophiques, mais cette métaphysique est-elle compatible avec la foi catholique (on pourrait, en lisant de nombreuses de vulgarisation scientifique, penser, au contraire, que la métaphysique des scientifiques contemporains est soit matérialiste, soit panthéiste, en tout cas assez éloignée de l’idée d’un “dessein intelligent” extérieur à, et à l’origine de la matière)?
Comme nous le percevons à la suite des considérations précédentes, la physique quantique débouche inéluctablement sur la métaphysique. Bien entendu, ce pas vers l’au-delà de la physique est plus ou moins spéculatif. Bon nombre de physiciens refusent de le franchir par principe, ce qui les cantonne dans une position a priori matérialiste, ou le plus souvent à une indifférence à ces questions. D’autres, de plus en plus nombreux, poussent la réflexion. Heisenberg avait déjà noté que la physique quantique entre dans un schéma aristotélicien de puissance et d’acte. Les états mathématiques sont des états en puissance qui peuvent donner lieu à une actualisation empirique. Mais les mathématiques, qui sont préexistantes aux yeux de nombreux mathématiciens, ne peuvent provenir que d’une pensée extérieure au monde matériel ; ce ne peut être que celle d’un Esprit que l’on peut identifier à Dieu. Ainsi, les états mathématiques sont comme en pont entre la réalité en soi et la réalité empirique. La réalité en-soi de la matière est ainsi clairement liée d’une façon ou d’une autre à l’Esprit extérieur à la matière. De façon analogue une partition musicale représente potentiellement la musique qui sera actualisée par les musiciens. Mais cette partition a été pensée par Amadeus !
Ce lien métaphysique, réalité en soi, potentiel, actualisation entre parfaitement en cohérence avec la pensée de Thomas d’Aquin. La réalité en soi se trouve dans le monde de l’Esprit mais n’est pas l’Esprit lui-même. Ce qui est représenté par Michel-Ange, le doigt de Dieu est tout proche de sa créature sans la toucher. Cet ancrage de la réalité ontologique de la matière dans le monde de l’Esprit est consubstantiel au christianisme. Si Dieu crée le monde, il y a d’une façon ou d’une autre une trace dans la Création. En outre, l’Incarnation, la Résurrection, les miracles, l’action de Dieu dans le monde, la prière seraient inconcevables sans un lien entre le monde empirique et celui de l’Esprit.
Enfin, l’analyse de l’actualisation présentant un caractère aléatoire irréductible conduit certains physiciens à penser que celle-ci provient d’ailleurs de l’Espace-temps et donc de l’Esprit. La physicien et philosophe Antoine Suarez introduit la notion d’anges quantiques envoyés en permanence par l’Esprit créateur pour répondre aux sollicitations d’actualisation du monde empirique. Le prix Nobel de physique Anton Zeilinger cite Berkeley : « être c’est percevoir et c’est être perçu », pour conclure « Dieu ultime observateur ». Ajoutons symétriquement, Dieu ultime source du monde actualisé. Ce qui rejoint cette réflexion de Saint Augustin comme quoi si Dieu cesse de penser la création, elle disparait.
Ainsi l’Esprit, hors du monde matériel, apparaît comme omniscient, infiniment proche de tous les éléments de la Création en tout lieu et en tout temps.
Il est donc parfaitement possible d’inférer une métaphysique compatible avec la foi catholique à partir de la mécanique quantique. Et je pense, ainsi que d’autres physiciens, que c’est même le chemin le plus court et plus naturel entre la physique quantique et la métaphysique.
Ajoutons que ces éléments donnés rapidement sont détaillés dans le livre qui peut se lire comme une médiation aboutissant à « l’empreinte de Dieu ».